Ce mercredi à Boston il sera encore question d’aller regarder plus en détail sur certains aspects du sida qu’on ne peut pas oublier. Mais il sera aussi question de l’avenir. En effet, entre la plénière de ce matin qui interroge les conditions de mise en œuvre de la stratégie d’accélération du mouvement vers l’objectif de fin de l’épidémie et un symposium de fin de journée qui évalue ce que sera l’avenir des traitements antirétroviraux, les organisateurs ont sans doute pensé qu’il était temps de délivrer les messages avec lesquels tout le monde devra rentrer chez soi. Mais auparavant, nous nous serons intéressés d’une part au fruit de la transmission mère-enfant, le devenir des nouveau-nés qui sont infectés par le VIH et nous aurons aussi été voir ce qui se passe dans un endroit peu exploré, le système nerveux.
La plénière de mercredi
Première présentation. – Patricia M. Flynn nous emmène ce matin sur la piste des enfants néEs séropositifVEs. Il n’est pas inutile de rappeler que dans les années 80 et au moins pendant une décennie, 16000 enfants sont néEs séropositifVEs. On estimait alors que leur mortalité sans traitement pourrait être de 50%. Les choses se sont mises à changer en février 1994, lorsque le comité indépendant de l’essai ACTG 076 a décidé l’arrêt prématuré de l’essai qui évaluait l’usage de l’AZT contre placebo en tant que traitement prophylactique pour éviter la transmission du VIH de la mère séropositive à l’enfant. LE résultat était spectaculaire, montrant 67% de réduction de la transmission périnatale. Depuis lors, la situation n’a cessé de s’améliorer avec l’évolution des traitements antirétroviraux. On estime aujourd’hui à 2 millions le nombre de transmissions périnatales évitées grâce aux antirétroviraux. Pour autant il restait tout de même en 2016 160000 enfants séropositifVEs avec environ 400 naissances de bébés séropositifs par jour. Le modèle de prévention de la transmission mère-enfant utilisé aujourd’hui n’est pas toujours appliqué comme il convient. Aux Etats Unis, 69 enfants sont néEs séropositifVEs en 2013. Cependant, même pour ceuxELLES-là les conditions de vie se sont considérablement améliorées, les traitements réduisant drastiquement la mortalité. La cohorte pédiatrique collaborative internationale sur le VIH et l’éducation, CIPHER, qui a inclus 38187 enfants de 1982 à 2014 dans le monde, montre que 88% bénéficient d’un traitement antirétroviral initié entre 0,9 et 7,9 ans et que, même si 38% seulement ont des mesures de charge virale suivies, 72% sont en contrôle virologique. Mais il faut préciser que 79% d’entre eux sont des enfants d’Afrique sub-saharienne.
Même si de plus en plus d’enfants séropositifVEs sont sous traitement, leurs options thérapeutiques se réduisent avec le temps et l’apparition de résistances, dues pour beaucoup à une observance insuffisante des traitements. Les conditions de vie et le contexte socio-économique y sont pour beaucoup. Les complications qui surviennent chez ces enfants ressemblent à celles des adultes, cardiaques, rénales, osseuses, métaboliques ou cancéreuses. Mais les conséquences sont différentes puisqu’elles affectent le développement, perturbent, souvent retardent, la puberté et sont parfois des exacerbations d’effets connus chez les adultes. Les troubles de la croissance affectent ces enfants partout dans le monde mais sont souvent aggravés dans les pays à faible ressource du fait du cumul avec d’autres facteurs comme la malnutrition. Le développement nerveux se voit plus ou moins affecté selon l’usage des antirétroviraux. Mais si ces observations restent controversées, il n’en demeure pas moins que les enfants séropositifVEs sont moins performants que les autres. Des données d’enquête suggèrent que les enfants séropositifVEs sont plus fréquemment atteints par des troubles psychiatriques et ce, dans tous les pays même si, là aussi, le contexte défavorable ne fait qu’aggraver les situations. Sur le plan du développement sexuel, une cohorte d’adolescentEs néEs séropositifVEs (10 à 18 ans) permet d’observer que 28% découvrent la sexualité à un âge médian de 13 ans pour les garçons et 14 ans pour les filles. Parmi ceuxELLES-ci, 62% n’ont pas utilisé de protection, un tiers seulement a révélé son statut et 42% avaient une charge virale supérieure à 5000 copies/ml. Les jeunes filles enceintes ne présentent pas de différence avec les filles séronégatives mais les bébés des séropositives ont souvent un score de poids plus faible.
La transition des enfants séropositifVEs vers le système de prise en charge médicale des adultes est variable et dépend pour beaucoup de l’organisation des systèmes de soins. C’est une période critique au cours de laquelle on observe de 10% à 25% de perte de suivi médical et un taux de décès plus élevé.
Les traitements antirétroviraux ont transformé la vie des nouveau-néEs séropositifVEs d’une triste fatalité en une vie de maladie chronique. Cependant, la qualité de vie dépend pour beaucoup de l’âge d’initiation du traitement. L’observance des traitements reste un défi majeur pour beaucoup. L’impact des conditions sociales comme la pauvreté, la maladie, la perte de membres de la famille et la stigmatisation par le VIH est très important.
Deuxième présentation. – Helen A. Weiss pose ce mercredi matin la question de savoir si nous sommes bien sur la pente descendante que nous espérons. Au-delà elle souhaite revoir les facteurs clés qui sont à prendre en compte pour aboutir au défi de la fin du sida prônée par l’ONUSIDA.
Il est indéniable que le visage de l’épidémie a changé partout au monde. Une personne séropositive qui démarre un traitement antirétroviral a une espérance de vie de 10 ans supérieure à ce qu’elle était pour ceuxELLES de 1996. Bien que l’incidence mondiale a sensiblement baissé depuis le début du millénaire au niveau mondial, il y a tout de même encore 5000 nouvelles contaminations par jour dans le monde. La pente de décroissance qui devrait nous amener en dessous d’1 infection par million en 2020 est amorcée. Les progrès accomplis ont permis l’élimination de la transmission mère-enfant ainsi que le risque de transmission transfusionnel. Nous avons les outils qui permettent le contrôle de la transmission chez les usagers de drogue injectable ainsi que la transmission sexuelle. Pour autant, il reste des obstacles qui limitent l’efficacité de ces outils qu’ils soient constitués par les limites des systèmes de santé, les obstacles légaux et politiques, les barrières psychologiques, la stigmatisation, la peur de la révélation ou simplement l’argent.
Comment aller plus loin ? Est-ce que 30 millions de personnes sous traitement conduit inexorablement à moins de 500000 nouvelles contaminations par an ? Le maintien des dispositifs utilisés jusqu’en 2015 n’y suffit pas. Il faut passer à la vitesse supérieure. Le « Fast track » consiste en un développement de toutes les interventions connues, traitement antirétroviral, prévention de la transmission mère-enfant, circoncision volontaire, préservatifs, populations clés, PrEP, programmes d’aide sociale, thérapies de substitution aux opiacés, aides financières…
On observe déjà les effets de certains programmes, la mise sous traitement et la circoncision dans la communauté de Rakaï en Ouganda initiée en 2005 et en forte progression depuis montre une régression nette de l’incidence du VIH, la proportion de personnes séropositives dont la charge virale est contrôlée est passée de 40% en 2009 à près de 80% en 2016. Et de même la cascade de prise en charge (Personnes diagnostiquées – personnes en traitement – personnes à charge virale contrôlée) dans de nombreux pays d’Afrique à forte prévalence progresse d’année en année. Pour autant, l’exemple de l’essai ANRS 12249 en Afrique du Sud montre les obstacles qui restent à franchir. Il a montré combien il était difficile d’amener au soin des populations jeunes, nouvellement diagnostiquées, éloignées des lieux de soins, qui n’ont pas de personnes séropositives dans leur entourage. Les barrières sont la stigmatisation que provoquent des lieux de soins spécifiquement VIH, le risque de révélation du statut sérologique, la mobilité des personnes. Des constats similaires ont été apportés par d’autres cohortes. Dans le même registre, un programme d’accès à la prévention et aux soins proposé à des travailleuses du sexe au Zimbabwe, bien que proposant un accès très amélioré à ces femmes, n’a pas démontré de meilleur résultat en matière de contrôle viral.
Les progrès de la cascade varient aussi selon les régions du monde. Ainsi, les moins avancés sont les régions d’Europe de l’Est et d’Asie centrale, du Moyen Orient et d’Afrique du Nord, d’Afrique de l’Ouest et centrale. Ainsi, dans la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, les usagerEs de drogues injectables vivant avec le VIH sont traitéEs de 5% à 37% selon les pays. De ce fait, 17203 nouveaux cas s’ajoutent tous les ans. En atteignant 73% de personnes en charge virale indétectable, les nouveaux cas ne seraient que 4991, et en y ajoutant les mesures de réduction des risques leur nombre serait réduit de 95% soit 786 cas.
Lors de l’assemblée générale des Nations Unies du 8 juin 2016 a été adopté le principe du Fast track pour mettre fin à l’épidémie de sida en 2030 avec pour principe de ne laisser personne de côté. LE travail d’Helen A. Weiss est tourné principalement vers les jeunes et les adolescentEs. Leur nombre va aller croissant dans la prochaine décennie, notamment en Afrique. Or le VIH est la première cause de mortalité des adolescentEs en Afrique sub saharienne et la deuxième cause au niveau mondial. La couverture en traitement antirétrovirale chez ces jeunes doit être drastiquement augmentée si l’on veut réduire l’incidence. D’une manière générale, le dépistage nécessite d’être développé chez les jeunes, les hommes, les populations clés, et les personnes qui font leur premier test doivent être encouragées à recommencer. Toutes les opportunités de contact avec le système de santé doivent être utilisées et le dépistage communautaire doit être développé. Ainsi, l’initiation du traitement chez les jeunes dépistéEs positifVEs peut se faire plus rapidement si les structures de dépistage sont organisées pour le faire. L’initiation rapide du traitement immédiatement après le diagnostic est un gage de réussite plus fréquente de contrôle de la charge virale.
Ces dernières années, de nombreux efforts ont été accomplis pour tendre vers l’objectif visé, le « 90 90 90 » et on en voit les effets. Mais tous ces efforts demandent à être financés et les ressources nécessaires devraient être à la hauteur de l’enjeu. Malheureusement ces ressources n’augmentent pas. Les Etats Unis ont adopté une coupe de budget d’aide bilatérale de 600 millions de dollars en 2018, ce qui selon la fondation Kaiser Permanente représente une possible augmentation du nombre de nouvelles infections de 200000 par an et une réduction de 800000 traitements par an. On a beau dire qu’il faut faire plus avec moins, il y a une limite à ce concept.
En conclusion, l’infléchissement de la courbe est possible si l’on intensifie le dépistage et la mise sous traitement conjuguée, si l’on ne laisse personne de côté, si l’on connait bien les réponses adaptées à chaque foyer de l’épidémie, et enfin si le financement mondial est augmenté à court terme à la hauteur du besoin.
Session orale « Et la tête, docteur ? »
Ce n’était pas, évidemment, le titre choisi par les organisateurs pour cette session de présentations orales mais pourtant c’est bien de la tête, plus exactement du système nerveux dont il est question. Les études et résultats proposés dans cette session portent tous sur la question du développement du VIH dans le système nerveux et de la potentialité que cela constitue un réservoir viral.
- Une étude américaine menée sur 69 personnes séropositives a mesuré que la moitié d’entre euxELLES avait des cellules infectées par le VIH dans le système nerveux central. De l’ARN VIH transcrit est détectable chez un petit nombre de personnes. La détection de cellules infectées dans le système nerveux n’est pas significativement associé à la présence d’ADN proviral du VIH dans le sang pas plus qu’elle n’est associée à des niveaux d’inflammation du système nerveux ou du sang.
- Une autre étude a évalué l’ampleur des dégradations du cerveau de personnes séropositives par imagerie IRM. Il résulte de cette étude que des rétrécissements se produisent dans le cerveau de personnes infectées par le VIH en l’absence de traitement. Heureusement, l’initiation d’un traitement arrête ce processus. Cela conforte l’hypothèse que des dommages peuvent être causés au cerveau de personnes séropositives qui ne sont pas sous traitement et que ces dommages peuvent s’aggraver avec le temps.
- Une étude menée sur 1672 participantEs séropositifVEs a évalué le risque d’échappement virologique au niveau du cerveau indépendamment du sang. Elle a montré que ces échappements conduisent au développement de mutations de résistance du VIH au sein du système nerveux. Dans cette étude, les traitements à base d’antiprotéase exposaient à 3 fois plus de risques d’échappement viral au niveau du cerveau que les autres traitements ; les traitements avec atazanavir présentaient un risque d’échappement au niveau du cerveau comparable aux traitements sans antiprotéase ; les cas d’échappement où l’on retrouve la mutation M184V/I présentent une variété de souches aux mutations multiples conférant à ces virus une résistance à au moins un médicament, ce qui réduit l’activité du traitement au niveau du cerveau.
- Une équipe de l’Imperial College de Londres a étudié différents outils d’évaluation de déficiences cognitives chez les séropositifVEs et a montré que la prévalence de ces déficiences variait selon les outils choisis. Elle propose donc une méthode nouvelle dont la spécificité peut être déterminée a priori et qui s’avère plus rigoureuse à déterminer les cas de déficiences cognitives que les méthodes Frascati et GDF. Cette nouvelle méthode dite NMM demande à être validée en regard de différents biomarqueurs.