Corinne et Melvin militent à la Permanence Droits Sociaux d’Act Up-Paris. Leurs parcours sont différents : Corinne, séropositive depuis 37 ans, activiste de la lutte contre le sida, est aujourd’hui Co-secrétaire générale et travailleuse sociale communautaire ; Melvin, homme cis gay de 29 ans et séronégatif, milite depuis quelques années et participe à l’accompagnement des séropos précaires. Découvrez ce binôme de militantEs, mais surtout ce qu’il défend.

Corinne : Quand l’association Act Up Paris est créée, j’ai à peine 25 ans en juin 1990 et j’ai le VIH depuis 1987. J’ai 22 ans et on me dit que j’en ai pour 2 ans max, mais je lutte déjà, je n’ai pas le choix. Je suis une meuf lesbienne, séropo, toxico, prolo qui vit en banlieue qui fait de son mieux face à une épidémie qui nous décime. Mon attachement à Act Up et ce sentiment de ne plus jamais me sentir seule viendra lorsque je découvre Cleews Vellay, que je n’ai pas connu, je me retrouve dans sa colère et sa rage, dans son discours, sa manière de s’exprimer. Il parle des personnes incarcérées séropos qui meurent en prison dans l’indifférence générale, des toxicos, des personnes sans papiers, des personnes migrantes et des femmes qui meurent aussi du sida. Sa sensibilité aux enjeux sociaux me touche profondément, il parle de ce que moi et d’autres vivons dans nos quartiers, je me sens proche, j’ai la rage et le slogan « j’ai envie que tu vives » me parle, j’existe et mon attachement à Act up ne me quittera jamais. Je ne supporte pas l’injustice sociale depuis gosse, c’est viscéral. Et je vais me battre pour mes droits, nos droits avec et aux cotés des séropos qui m’entourent et encore aujourd’hui, c’est le pouvoir d’agir qui me construit dans ma lutte. Ce n’est que lorsque je comprends que je vais vivre peut-être un peu plus longtemps, en 1998, à 33 ans, que je vais reprendre mes études et m’affirmer peu à peu comme travailleuse sociale communautaire. Je travaille déjà depuis longtemps avec et aux cotés des personnes précaires, à la rue. La professionnelle que je suis sera indissociable de la femme activiste et séropositive que je suis. À 58 ans aujourd’hui, je continue de me battre pour défendre le principe fort porté à Act Up Paris et au sein de la permanence depuis toujours « Rien pour nous, sans nous ».

Melvin : Ma rencontre avec Act Up est différente. Je suivais l’association sur les réseaux sociaux depuis de nombreuses années. Elle m’intéressait beaucoup. Est venu le jour où j’avais plus de temps mais surtout l’envie d’en apprendre davantage sur l’association, son histoire et ses valeurs. Je me suis rendu à une RH. J’ai compris qu’on pouvait faire beaucoup de choses à d’Act Up-Paris. Ce que j’ai fait. J’ai commencé par des actions de prévention, d’abord des interventions en milieu scolaire. Peu à peu, je me suis rapproché de la Permanence Droits Sociaux, où je milite désormais, aux côtés de Corinne, Nicolas et Arthur notamment.

À gauche, Corinne, travailleuse sociale communautaire et Co-secrétaire générale d’ Act Up-Paris. À droite, Melvin, militant à la Permanence Droits Sociaux.
Photo de Melvin : © Anna Margueritat


Corinne, travailleuse sociale communautaire à la Permanence Droits Sociaux et Co-secrétaire générale d’Act Up-Paris


Melvin, militant à la Permanence Droits Sociaux

© Anna Margueritat

Un engagement entre écoute et soutien

Corinne : En tant que militantEs, notre rôle est d’accueillir des personnes séropositives, atteintes d’hépatites et/ou co infectéEs au sein d’un espace bienveillant, non jugeant un lieu où ils-elles pourront exprimer leurs demandes, leurs besoins, leurs peurs, leurs angoisses, leurs préoccupations. Et à leurs côtés, nous ferons de notre mieux pour les soutenir dans leurs démarches d’accès à leurs droits.

La permanence droits sociaux repose sur l’équation Information = Pouvoir, une personne bien informée de ses droits peut mieux les défendre et y accéder. L’écoute et l’empathie sont la base pour tisser un lien de confiance avec les personnes et leur permettre d’évoquer leurs difficultés. Nous sommes confrontéEs à des personnes en grande souffrance, en situation d’exclusion et d’urgence sociale et une file active qui ne cesse d’augmenter. La dimension humaine est très prégnante au sein de la permanence.

Et les personnes séropositives qui viennent à la permanence évoquent aussi les discriminations qu’elles subissent, la sérophobie, les LGBTIphobies, le racisme, le refus de soins, le rejet social… Lutter contre le VIH-Sida, c’est aussi lutter contre les discriminations.

La Perm, c’est un lieu d’empowerment. Nous ne faisons pas à la place des personnes vivant avec le VIH, on fait avec elles et à leurs côtés et rien ne peut se faire sans leurs accords. Nous respectons leurs choix et elles prennent et s’impliquent dans les décisions qui les concernent.

Melvin : L’accompagnement administratif et social consiste à guider les bénéficiaires dans leurs démarches. En ce qui me concerne, je fais de l’accompagnement social et juridique. La plupart du temps, on suit des personnes qui ne connaissent pas leurs droits ni comment y accéder. On les aide pour des demandes de logement social, des dossiers MDPH et invalidité, des demandes de droit au séjour pour soins, des demandes d’asile, pour accéder aux droits de santé ou pour toutes autres démarches administratives, juridiques ou sociales.

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Retrouvez l’interview de Nicolas et Arthur, respectivement coordinateur social et travailleur social de la Permanence Droit Sociaux d’Act Up-Paris

Melvin : On fait aussi de l’accompagnement hors les murs. Quand c’est nécessaire, on se rend, avec les bénéficiaires, à leurs rendez-vous au sein des institutions. Toutes les barrières sont mises pour décourager et dissuader les usagers. C’est révoltant. Et l’atmosphère est très tendue, d’autant plus que le public doit venir très tôt le matin et attendre des heures. On est confrontéEs à des institutions comme la CAF ou la préfecture qui sont gardées par des personnes armées, ce qui génère des tensions. Ces accompagnements aident les gens car, souvent, les bénéficiaires ne maîtrisent pas les codes des institutions. Ma maîtrise des codes et ma connaissance du monde institutionnel me permettent de faire le lien entre l’extérieur et l’intérieur. Et en tant qu’homme blanc, c’est plus simple. On est les seulEs à le faire, parce qu’on souhaite faire un accompagnement jusqu’au bout, pour protéger les gens. Notre présence se veut facilitatrice, face à une violence institutionnelle totalement décomplexée.

La Permanence est un lieu de transmission …

Corinne : La Perm est aussi un lieu de transmission, on ne s’engage pas sur les thématiques sociales par hasard. La charge émotionnelle est très importante au sein de la permanence de par la rencontre avec les personnes séropositives et les problématiques auxquelles elles sont confrontées. Il est nécessaire d’avoir des temps d’échanges sur nos ressentis, nos pratiques entre les personnes qui y interviennent et entre les militantEs, partager nos savoirs. C’est un espace qui permet aux personnes de s’exprimer sur le vivre avec le VIH et vieillir avec le VIH et de se rencontrer aussi. L’expertise à Act Up s’est construite au fil des années par et pour les personnes séropositives et avec les militantEs. Il est important de connaitre les luttes du passé pour mener celles d’aujourd’hui.

Pour moi être aux côtés de personnes comme Nicolas, Melvin militant depuis déjà quelques années et Arthur, c’est important ce que l’on partage, nos échanges, nos questionnements, nos doutes, nos colères, nos inquiétudes… Tant que le sida sera là, il faudra une Permanence Droits Sociaux AUP. Je souhaite que cette génération connaisse la fin du Sida. Pour moi, ce ne sera pas le cas mais poursuivre la lutte avec cette équipe et aux cotés des PVVIH continue de faire sens. J’ai à recevoir autant d’eux-elles que j’ai à leur donner.

Je souhaite que cette génération connaisse la fin du Sida

Melvin : En tant que jeune militant, j’ai bénéficié de cette transmission. J’ai pu m’imprégner de ce que l’association et les militantEs ont collecté pendant des années grâce à l’empowerment. C’est grâce à Corinne et Nicolas, grâce à ce qu’ils m’ont appris, que je peux désormais agir auprès des gens.

… prêt à accueillir des militantEs ?

Corinne : S’engager à Act Up et au sein de la Perm, c’est aussi contribuer à réfléchir et organiser des temps de convivialité. On voudrait en organiser plus souvent car ce sont des moments informels de rencontres et d’échanges, d’abord entre les PVVIH mais aussi avec les militantEs et il y a un besoin criant d’en vivre davantage. J’ai envie de dire aux futurEs militantEs « Vous voulez vous rendre utile ? Venez passer un moment convivial et chaleureux », parce que lutter contre le VIH, c’est aussi lutter contre l’isolement des séropos et venir les rencontrer.

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Melvin : Act Up et la Perm, c’est aussi une vie interne qui réconforte… Être militantE à Act Up-Paris, c’est loin d’être du salariat déguisé, au contraire. Face à toutes les violences du quotidien auxquelles nos communautés sont confrontées, retrouver ses camarades de lutte, c’est retrouver une safespace. La Permanence Droits Sociaux, c’est de la camaraderie, c’est 25 ans de solidarité.

Que faut-il retenir de ces 25 ans ?

Corinne : Je suis là depuis longtemps, la permanence droits sociaux a eu 25 ans en 2023, elle a une histoire et je suis contente de voir son évolution avec d’autres champs d’expertise. Elle s’est professionnalisée tout en gardant son identité et sa dimension communautaire, elle est composée de 2 salariéEs : Nicolas coordinateur social et Arthur, qui nous a rejoint récemment, et 2 militantEs, Melvin et moi-même. Nous sommes très présentEs et engagéEs. C’est une dynamique qui fonctionne et je suis fière de faire partie de cette équipe.

La lutte contre le Sida avec Act Up-Paris, les personnes séropositives, la Permanence, les militantEs, a permis de gagner de nombreux droits. Mais depuis une quinzaine d’années, les gouvernements successifs mènent une politique d’austérité, ultrasécuritaire et raciste qui prive de droits, du contrôle social renforcé qui criminalise la pauvreté et les étrangèrEs … Cela s’est accentué avec la dématérialisation de l’accès aux droits, la déshumanisation des services publics. La lutte contre le Sida, c’est lutter pour la justice sociale, contre toutes les discriminations d’où qu’elles viennent et le principe de l’égalité des droits pour touTEs.

Melvin : Ce que nous constatons chaque jour, c’est que la devise républicaine n’a pas de réalité concrète. La plupart du temps, les institutions ne sont pas accessibles aux personnes invalides, les rendez-vous ne sont pas respectés, les personnes sont discriminées, les droits sont réduits … Liberté, Égalité, Fraternité … Il faut continuer de lutter, car ces mots appartiennent au passé. Aujourd’hui et depuis bien longtemps, dans les préfectures, ils n’existent plus.