Article co-écrit avec les camarades de Winslow Santé Publique


INTRODUCTION

4 ans et demi après le début de la pandémie de SARS-CoV-2, le virus responsable de la maladie du COVID, il est estimé qu’environ 28,5 millions de personnes ont déjà été tuées de manière directe ou indirecte par ce virus, et qu’au moins 65 millions de personnes souffrent de formes chroniques et souvent extrêmement invalidantes de la maladie suite à une (ré)infection. Les patient-es expert-es et notamment Elisa Perego, patiente et chercheuse, ont utilisé dès début 2020 le terme de COVID Long, terme choisi à dessein comme suffisamment large pour décrire la chronicité de la maladie ainsi que les effets divers et parfois décalés dans le temps de l’infection au SARS-CoV-2 sur le corps humain, avec des conséquences pouvant être multi-systémiques, incluant les lésions sur les organes, les maladies cardiovasculaires et pulmonaires, les dommages neurologiques, les décompensations ou déclenchements de diverses maladies, mais aussi les problèmes métaboliques, le dysfonctionnement immunitaire et les infections opportunistes. Depuis son émergence fin 2019, les découvertes scientifiques sur le fonctionnement de ce virus et ses effets à moyen et long terme sur le corps humain ont été régulières et continues. Elles appellent à faire un état des lieux tant sur l’état de la recherche scientifique que sur le traitement politique, médical et médiatique de cette pandémie, en rendant visibles les parallèles que l’on peut tirer avec l’épidémie de VIH-SIDA.

Alors qu’on voit ressurgir des pathogènes anciens (malaria, dengue), et que des nouveaux vont inévitablement apparaître, l’OMS nous annonce vouloir améliorer la résilience des pays face aux futures pandémies. Pourtant celle de SARS-CoV-2 est toujours en cours (selon les termes mêmes d’une responsable de l’OMS fin 2023) et les mesures visant à protéger des réinfections la population générale mais aussi les personnes à plus haut risque ou celles vivant avec un COVID Long, ont toutes été levées (fin du port du masque obligatoire, campagnes de vaccination anecdotiques) ou n’ont jamais été mises en place (amélioration de la qualité de l’air intérieur). L’histoire de l’épidémie de VIH-SIDA aurait pourtant dû nous préparer et nous permettre d’éviter de perdre un temps précieux pour la pandémie de SARS-CoV-2 : cela n’a pas été le cas.

A moins d’avoir passé les dernières années à éplucher la littérature scientifique sur le sujet, il est difficile de saisir à quel point notre perception et notre évaluation des risques face au COVID est en décalage total avec l’état des connaissances scientifiques à date. Des modes de transmission du virus aux moyens de prévention disponibles, en passant par le fonctionnement du virus et ses effets à long terme sur notre organisme ou son niveau de circulation au sein de la population générale, tout est tragiquement mal compris. Il y a comme une sensation désagréable de déjà vu et il est plus que temps d’éclaircir tout cela.

COVID : DES BASES POUR COMPRENDRE ET AGIR

La première chose à identifier pour lutter contre une pandémie virale, ce sont les modes de transmission du virus. Comment ne pas revenir alors sur la désinformation systématique et organisée depuis 2019 autour des modes de transmission du virus du COVID ?

Le virus du COVID est aéroporté. Comme le virus de la grippe ou la bactérie de la tuberculose, il se transmet par l’air que l’on respire et que l’on partage avec les autres. Quand on respire ou que l’on parle, on émet des aérosols, c’est-à-dire des nuages de particules très légères qui vont se comporter comme de la fumée de cigarette. Lorsque l’on est infecté-e par le virus du COVID, ces aérosols deviennent infectieux et dans une pièce mal aérée, ils vont s’accumuler et remplir tout l’espace disponible. Il suffit ensuite de quelques minutes à quelques dizaines de minutes pour inhaler une dose suffisante de COVID et être contaminé-e, même en se tenant à plusieurs mètres de la personne contagieuse. Les aérosols étant inodores et invisibles à l’œil nu, et la majorité des personnes infectées par le virus du COVID étant asymptomatiques ou pré-symptomatiques, il est impossible de percevoir avec nos yeux si l’on baigne ou pas dans un nuage d’aérosols contagieux. On peut par exemple s’infecter en allant dans une pièce mal aérée où se trouvait une personne contagieuse, comme les toilettes d’un restaurant ou une salle de réunion inoccupée.

Affiche issue de la campagne de prévention “STOP COVID-19 HANGING AROUND” du Département de la Santé et de la Protection sociale du Royaume-Uni.

Bien qu’il y ait un consensus scientifique clair depuis début 2020 sur le fait que le virus du COVID est aéroporté, l’OMS et les gouvernements ont dès le départ focalisé l’attention sur les postillons et les surfaces contaminées, niant ou minimisant fortement le rôle majeur joué par les aérosols. L’OMS publie ainsi un communiqué sur twitter le 23 mars 2020 expliquant que le virus du COVID n’est pas aéroporté et qu’affirmer le contraire serait même de la désinformation. Le virus se transmettrait principalement via les grosses gouttelettes émises en toussant, en éternuant ou en parlant, et le contact avec des surfaces contaminées par ces gouttelettes. Pour se protéger il est alors recommandé de se tenir à 1 mètre les uns des autres, de désinfecter les surfaces fréquemment, de se laver les mains régulièrement et d’éviter de se toucher les yeux, la bouche ou le nez. Il faudra attendre une lettre ouverte de plusieurs centaines de scientifiques adressée quelques mois plus tard à l’OMS pour faire reconnaître l’importance de la transmission aéroportée, et c’est seulement en avril 2024 que l’organisation mettra à jour définitivement sa classification des pathogènes aéroportés comme le virus du COVID ou celui de la grippe. Entre-temps, nous avons eu la confirmation de l’inanité de la transmission contact pour ce virus, le risque de transmission par ce biais étant quasi nul, et probablement peu important pour les gouttelettes.

Les sociétés savantes françaises, comme beaucoup, ont choisi la confusion : elles annoncent prendre en compte le risque aérosol mais restent, pourtant, sur des protocoles contact-gouttelettes pour le COVID, afin de mieux le mêler aux autres “viroses de l’hiver”, alors même que le virus circule toute l’année au-delà du seuil épidémique. La sécurité des établissements hospitaliers face aux infections est toujours mesurée par la consommation de gel hydroalcoolique, la recommandation du masque – chirurgical, donc pas celui qui convient – étant réservée aux personnes symptomatiques alors que la moitié des personnes infectées et contagieuses ne présentent pas de symptômes. Partant de là, au sein même des hôpitaux, l’obscurantisme peut régner sans frein, et on voit la promotion de “danses du gel hydroalcooliques”, et des vidéos de communication d’établissements de soins où le lavage de mains et les sourires remplacent le masque.

Et dans la société ? Ne pas savoir comment se transmet un virus, c’est être dans l’incapacité de se protéger soi et les autres. C’est se croire invulnérable et hors de danger en adoptant des pratiques à risque alors que les outils de réduction des risques existent. Comment a-t-on pu oublier ce qu’il s’est passé tout au long de la pandémie de VIH-SIDA ? Le VIH n’est pas présent partout, il existe dans 5 liquides contaminants : le sang, le sperme, la cyprine, le liquide pré-séminal et le lait maternel. De plus, pour qu’il y ait infection, un de ces liquides doit se retrouver en contact avec une muqueuse (buccale, vaginale, anale, etc.) ou une lésion. Si les modes de transmission du VIH sont aujourd’hui bien identifiés, il a pourtant fallu des décennies de prévention par des associations pour pallier les manquements des institutions et des gouvernements, et faire comprendre à la population générale comment se protéger face à ce virus. On ne peut pas attraper le VIH en respirant le même air qu’une personne séropositive, en l’étreignant, en l’embrassant, en lui serrant la main ou en buvant dans le même verre qu’elle. Par contre le TasP, le préservatif, la mise à disposition gratuite de seringues jetables ou plus récemment la PrEP, font partie des outils de prévention utiles et adaptés pour éviter de nouvelles contaminations. Pour le COVID, se tenir à deux mètres de distance dans une salle pleine de virus n’a jamais permis de se protéger ou de protéger les autres, pas plus que d’être séparé par une vitre en plexiglass à la caisse d’un supermarché ou au comptoir d’une pharmacie. Se laver régulièrement les mains est très utile pour réduire la contamination des maladies se transmettant principalement par les mains comme la gastro-entérite, mais ne sert strictement à rien contre un virus aéroporté. Continuer de promouvoir le port du masque chirurgical qui n’est pas ajustable et fuit sur les côtés, au lieu du masque FFP2 bien ajusté, est insuffisant.

Mais il faut dire que nous sommes entrés dans une période d’invisibilisation totale de la pandémie où évoquer l’existence même du COVID est devenu tabou et où l’utilisation de moyens de protection individuels est stigmatisée, y compris dans les lieux de soins. En 2024, porter le masque en allant chez son médecin ou à l’hôpital déclenche au mieux des réactions misérabilistes et paternalistes (“Le COVID c’est fini, vous pouvez enlever votre masque”, “Pourquoi vous portez le masque, vous avez une maladie grave ?”, “C’est dommage, je ne vois pas votre sourire”), mais aussi de plus en plus souvent moqueuses, violentes et discriminatoires, allant jusqu’au refus de soin (“Enlevez votre masque ou je ne pourrai pas vous soigner”). Certaines personnes déjà particulièrement précaires et handicapées choisissent parfois de ne plus porter le masque en lieu de soin pour ne pas subir encore plus de violences médicales, et vont à leurs rendez-vous médicaux la boule au ventre. D’autres sont en abandon de soins.

Comme pour le préservatif, il y a de manière générale une forte tendance à individualiser la responsabilité de l’utilisation des moyens de protection disponibles, mais aussi à culpabiliser les personnes qui cherchent à se protéger et à protéger les autres : “T’inquiète je n’ai pas de symptômes, est-ce que tu ne me fais pas confiance ?”, “Tu n’as qu’à porter un masque si tu as peur d’attraper quelque chose mais c’est ma liberté de ne pas le porter”, “C’est inconfortable, je préfère sans”. Pourtant, en temps de pandémie d’un virus très contagieux et aéroporté, le port unilatéral du masque est insuffisant. La réduction des risques ne peut être que collective lorsqu’on respire un air partagé.

Au-delà de la désinformation sur les modes de transmission du virus, plus personne n’est incité à se faire dépister et à s’isoler lors de l’apparition de symptômes caractéristiques du COVID (qui sont souvent en partie similaires à ceux d’une grippe ou d’un rhume). D’ailleurs l’assurance maladie rappelle sur son site que lors d’un test positif COVID il n’est plus nécessaire de s’isoler ou de porter un masque mais qu’il faut “éviter les personnes fragiles”, formule discriminatoire au possible. Impossible de suivre précisément la circulation du virus. En regardant les données de suivi épidémique d’autres pays comme les États-Unis ou le Royaume-Uni, on apprend pourtant avec stupéfaction qu’entre septembre 2023 et janvier 2024, il n’y a sûrement jamais eu autant de personnes réinfectées par le virus du COVID de toute la pandémie. Ces personnes, si elles développent un COVID Long, ne sauront sans doute pas que leurs problèmes de santé proviennent d’une (ré)infection COVID. Pas de dépistages, pas de COVID, pas de COVID, pas de COVID Long.

Posons-nous maintenant la question : depuis le début des années 80, combien de personnes ont été contaminées par le VIH et sont décédées du SIDA parce qu’elles ne pensaient pas être à risque ? Parce qu’elles se sentaient invulnérables à cause de la désinformation et de l’absence de prévention ? Parce qu’elles ne savaient ni comment le virus se transmettait, ni à quel point il circulait dans leurs communautés ? Parce que l’information et les soins n’étaient pas accessibles pour des personnes en situation de handicap, par exemple les personnes malentendantes ? Parce qu’elles n’avaient pas accès aux outils de protection et de dépistage pourtant disponibles ? Aujourd’hui combien de personnes sont réinfectées par le virus du COVID et développent un COVID Long parce qu’elles ne savent pas que le virus circule toute l’année et à un niveau plus élevé que lorsque tout le monde était confiné chez soi ou portait le masque ? Parce qu’elles se pensent protégées et protéger les autres en se lavant les mains et en toussant dans leur coude ? Parce qu’elles ne se font plus dépister et ne s’isolent plus lorsqu’elles ont des symptômes ? Parce qu’on leur a laissé penser que le COVID était une grippette, un simple rhume ? Parce que le fait qu’il n’y ait plus de masque même à l’hôpital, leur laisse penser qu’il n’y a plus de risque? Les pandémies ont une histoire qui nous enseigne à chaque fois la même chose : les réponses en matière de santé doivent être cohérentes, efficaces et concrètes pour tout le monde.

REPRÉSENTATIONS DE LA MALADIE : DU VIH-SIDA AU COVID

VIH-SIDA : une infection inoffensive pour les hétéros ?

Couverture du magazine Playboy de février 1986 intitulé “CAN SEX SURVIVE AIDS ?”

Retour en 1986, 5 ans après l’alerte donnée aux États-Unis par le CDC (Centers for Disease Control) d’Atlanta annonçant la recrudescence de cas de pneumonies et de cancers rares affectant exclusivement des homosexuels, épisode qui marque le démarrage officiel de la pandémie de VIH-SIDA. Dans une série d’articles dédiés aux mythes et réalités autour du VIH-SIDA que l’on retrouve dans les numéros de février et de juin du magazine Playboy, on nous explique que le SIDA est un risque uniquement pour les personnes immunodéprimées, et que pour les personnes avec un système immunitaire en bonne santé l’infection au VIH est inoffensive et transitoire. Il serait de plus assez rare d’être infecté par le VIH lors d’un rapport vaginal hétérosexuel et il y a donc peu de chances que le virus se propage parmi les hétéros (ouf). Le VIH serait de manière générale extrêmement difficile à attraper et contrairement à certaines prédictions pessimistes, il serait donc tout à fait improbable que l’épidémie de VIH-SIDA se transforme en pandémie. Et puis même si le virus se propageait, d’après les propos des CDC à l’époque, dans 90% des cas l’infection au VIH n’entrainerait pas le SIDA. Le SIDA ne serait pas une conséquence directe du VIH puisque pour avoir une chance non nulle de développer le SIDA après une infection au VIH, il faudrait remplir tous ces critères : avoir un historique d’infections multiples en particulier avec les virus de la mononucléose et les cytomégalovirus, être en mauvaise santé et avoir un système immunitaire affaibli par le stress, utiliser des drogues (en particulier le poppers), avoir des prédispositions génétiques ou encore souffrir de malnutrition. Mais si vous êtes hétéro et en bonne santé, il n’y a absolument rien à craindre. On nous raconte d’ailleurs avec enthousiasme l’histoire d’une infirmière britannique testée positive au VIH après s’être malencontreusement piquée avec une aiguille contenant du sang contaminé et qui a seulement eu une grosse grippe quelques semaines après l’accident (caractéristique de l’infection VIH), avec une récupération rapide et sans incident notable par la suite. Encore une fois, rien à craindre de ce virus. En 1986, le VIH-SIDA est un non-événement pour la population générale. Seules les personnes LGBT avec leurs pratiques et leurs modes de vie “anormaux” sont considérées comme à risque. Et iels peuvent bien crever en silence tant que les hétéros valides restent hors de danger, supposément immunisés contre le SIDA avec leur système immunitaire fonctionnel et leurs modes de vie “normaux”.

Le VIH-SIDA est depuis le départ une épidémie politique, alimentée avant tout par les entraves à l’accès à l’information et à la prévention, au dépistage, aux soins et aux droits, sur fond de haine des personnes LGBT. Aucune contamination n’est une fatalité, ce ne sont que des choix politiques. En 2024, après des décennies de lutte et d’accumulation de connaissances scientifiques sur le VIH, mais aussi à cause de la réécriture de l’histoire par la classe dominante (comme le montre le collectif ACT UP Oral History Project), il est difficile de s’imaginer que dans les années 80 tout ce qui concerne ce virus était mal compris par le grand public et que le danger était sciemment invisibilisé par les gouvernements et les institutions de santé publique. Des modes de transmission du virus aux moyens de protection disponibles, en passant par le fonctionnement du virus, ses effets à moyen terme et les personnes à risque, en façade : tout laissait penser que pour la plupart des gens, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter.

COVID : une maladie inoffensive pour les valides ?

Détournement d’une vieille campagne de publicité Lucky Strike pour illustrer les propos du médecin français Gérald Kierzek qui prône la réinfection COVID dans les colonnes du Figaro en Décembre 2021 : “[Le variant] Omicron est probablement une chance.”

La pandémie de COVID est un éternel recommencement des erreurs de l’épidémie de VIH-SIDA. La comparaison paraît de prime abord insultante car elle semble minimiser la spécificité de l’épidémie de VIH-SIDA : une épidémie politique, alimentée avant tout par les discriminations et les violences envers les personnes LGBTQIA+, les personnes racisées, les hémophiles, les TDS et les usagerEs de produits psychoactifs. Pourtant, de façon analogue au rôle joué par les LGBTphobies, le racisme, le validisme, la putophobie et la toxicophobie pour l’épidémie de VIH-SIDA, le validisme et son renforcement depuis le début de la crise COVID, avec l’habituation aux “pertes” des personnes dites vulnérables ou âgées, a fait le lit de la pandémie de SARS-CoV-2. Du VIH-SIDA au COVID, le mot d’ordre des gouvernements et des institutions est resté le même : “who cares if they die”. Les personnes handicapées et malades chroniques sont déjà précarisées, maltraitées, séparées au quotidien du reste de la population générale et même parfois incitées à mourir. Depuis 2019, c’est infiniment pire. Dès l’apparition des premiers clusters COVID, le gouvernement et les institutions médicales nous ont rabâché les oreilles avec les catégories essentialisées des “personnes en bonne santé” d’un côté et des “personnes fragiles et vulnérables” de l’autre. À les écouter, les jeunes adultes, les enfants, les personnes avec un système immunitaire “fonctionnel” n’ont jamais rien risqué face au COVID. Il n’y a que les personnes handicapées, les personnes âgées, les personnes immunodéprimées qui sont à risque. D’ailleurs, ce serait à elles seules de se protéger, dans un environnement devenu hostile. Et au final, dans un honteux retournement de responsabilités, à elles de porter une improbable “faute” pour les restrictions sanitaires passées.

On a également séparé le COVID aigu du COVID Long, le COVID aigu étant censé être un risque (mortel) pour les personnes à comorbidités spécifiques, le COVID Long en être un pour quelques personnes malchanceuses. Dans les médias, on présente le COVID Long comme une maladie malencontreuse, un peu bizarre et mystérieuse, handicapante certes mais heureusement rare et passagère (“Vous guérirez en un an et demi!”). Souvent, les symptômes ou effets organiques les plus inquiétants pour le grand public sont mis de côté, et on ne précise pas que, selon les chiffres de l’ONS, les personnes déjà invalidées par une maladie chronique sont à risque augmenté de COVID Long additionnel. On rappelle qu’en France 20 millions de personnes souffrent de maladies chroniques, soit plus d’un tiers de la population. Au final, COVID comme COVID Long sont un risque important pour toustes, et le risque est encore plus élevé pour les personnes déjà vulnérabilisées.

En 4 ans et demi de pandémie de COVID, on en a mangé du “vivre avec le virus” et des promesses de retour à “la vie d’avant” sans aucun changement dans les façons de partager l’air ensemble, tout cela grâce à l’acquisition d’une supposée “’immunité collective”. La seule condition était d’accepter tacitement la libre circulation du virus et le sacrifice des plus à risque que soi. “Vivre avec” dans le cadre du SARS-CoV-2, cela ne devrait pas signifier vivre comme si le virus n’existait pas, mais mettre en place collectivement des solutions pour baisser autant que possible sa circulation et son fardeau. Le COVID est de fait une menace existentielle pour les personnes handicapées, comme le VIH-SIDA l’a été prioritairement pour les personnes LGBT, les hémophiles et les toxicomanes. Mais il ne faut pas oublier que sur le long terme, le virus du COVID a la capacité d’handicaper massivement les personnes encore considérées comme bien portantes. D’après l’OMS, environ 10 à 20 % des (ré)infections conduisent à un COVID Long, cette forme chronique et invalidante de la maladie du COVID : dysfonctionnement cognitif (incapacité à réfléchir et à se concentrer, trous de mémoire), arrêts cardiaques, dysautonomie, AVC, épuisement chronique, micro caillots, inflammation cardiaque, malaises post-effort, fibroses, développement de maladies opportunistes, auto-immunes ou neuro-dégénératives, dommages aux organes… la liste est longue et variée, d’autant plus que le virus peut faire décompenser des maladies préexistantes. Les études ont notamment montré une prévalence plus élevée du COVID Long chez les personnes porteuses du VIH par rapport à la population générale, en lien avec un taux élevé d’IL-6. Aux États-Unis, on parle déjà de mass-disabling event.

Les catégories de personnes “fragiles” et “vulnérables” sont donc mouvantes et poreuses en temps de pandémie d’un virus aéroporté qui se transmet majoritairement de façon asymptomatique et alors même que toutes les mesures de prévention et de protection ont été levées.

Les symptômes foisonnants cachent mal les faits : le COVID long est une maladie chronique et systémique, et chaque réinfection se cumule aux précédentes, augmentant le risque total de la développer. La représentation naïve du COVID comme un simple rhume est à jeter à la poubelle. Le virus du COVID est aussi un tueur silencieux. Si l’on peut mourir au moment de la phase aigüe de l’infection, une majorité des décès, parfois non respiratoires, ont lieu hors hôpital et de façon décalée dans le temps. Car loin de rester cantonné au système respiratoire, le COVID est aussi une maladie vasculaire systémique car le SARS-CoV-2 peut venir se loger pendant des mois voire des années dans l’ensemble des organes du corps humain et les endommager : cœur, cerveau, système digestif, reins, pancréas…

Les effets cardiovasculaires décalés dus au COVID représentent une grosse part du fardeau invisible de celui-ci. Ces événements dus au tropisme vasculaire du virus du COVID, à la thrombo-inflammation, aux dommages à l’endothélium, à la rupture de plaques, mais sans doute aussi à la persistance virale qui générerait des micro-caillots, sont lourds. Leur étendue n’est pas encore précisément déterminée faute d’investigation.

Microscopie à fluorescence de micrographies représentatives montrant des micro caillots dans la circulation sanguine d’un patient témoin (A) et de patients atteints de COVID Long (B-D). Source : Kell DB, Laubscher GJ, Pretorius E. A central role for amyloid fibrin microclots in long COVID/PASC: origins and therapeutic implications. Biochem J. 2022 Feb 17;479(4):537-559. doi: 10.1042/BCJ20220016. PMID: 35195253; PMCID: PMC8883497.

Ces accidents cardiovasculaires, notamment s’ils mènent à un décès, sont rarement reliés à l’infection par le virus du COVID puisqu’il est impossible de savoir si la personne aurait ou non, sans infection préalable, subi cet événement. Une étude américaine analyse en ce moment même les résultats d’autopsies systématiques sur le comté de San Francisco, pour tenter d’évaluer ce fardeau. Mais concernant l’augmentation des risques cardiovasculaires, il n’y a plus aucun doute. Récemment, une méta-analyse italienne sur une cohorte de plus de 228 000 personnes a montré que les risques cardiovasculaires augmentés persistent pendant 3 ans après l’infection, peu importe l’âge. Cet aspect de la maladie est très mal connu par le grand public, alors que l’état d’hypercoagulabilité qu’entraîne le COVID a été documenté dès le début de la pandémie pour les personnes hospitalisées ou non. Sans doute estime-t-on que la fréquence de ces événements serait plus basse aujourd’hui grâce aux vaccins, mais la population se réinfecte de plus en plus fréquemment. Ces problèmes sont clairement invisibilisés, jusqu’aux cabinets de cardiologues qui préconisent prévention comportementale et alimentaire pour entretenir sa santé cardiovasculaire, mais ne mentionnent toujours pas l’importance d’éviter les infections par le virus du COVID. Pourtant, depuis 2022, toujours grâce à d’importantes cohortes de suivi, on sait que pour les personnes infectées par le virus du COVID le risque de maladie coronaire aiguë est augmenté de 72%, avec une augmentation de 63% des infarctus du myocarde. Les arrêts cardiaques sont 2,5 fois plus fréquents. Le risque d’embolie pulmonaire triple presque. Ces augmentations de risques sont aussi observées chez les personnes qui ne présentaient aucun des risques cardiovasculaires habituels (les fameuses personnes “en bonne santé”).

La British Heart Foundation, qui alerte ses adhérents sur le COVID, estime à 100 000 le nombre de morts cardiovasculaires en excès entre 2020 et fin 2022 en Angleterre, dont une part importante serait liée au virus lui-même. Tous ces décès ou événements graves de santé ne sont, pour l’instant, pas reliés officiellement à l’infection. Et l’on voit des articles dans la presse s’étonner de ces augmentations, sans jamais parler du virus lui-même malgré la littérature scientifique abondante. Cet angle mort s’applique à d’autres maladies pour lesquelles le virus du COVID augmente également significativement le risque de décès, notamment la sclérose en plaques (multiplication par 4 des risques de mortalité post-infection), le lupus, etc… Ces éléments étant des décompensations décalées de maladies préexistantes, ils ne rentrent dans aucune statistique COVID. Le COVID est également un facteur de risque considérable lors d’une grossesse. Au Royaume-Uni, les 3 conditions à l’origine du plus grand nombre de décès maternels depuis 20 ans sont les thromboses, le COVID et les maladies cardiaques (les thromboses et les maladies cardiaques pouvant aussi être liées au COVID).

Continuer de faire l’autruche sur cette pandémie, c’est donc prendre le risque de se retrouver un jour ou l’autre dans la case “fragile” ou “vulnérable” et/ou de mourir prématurément à cause d’une énième réinfection. Peut-être faut-il commencer à se demander pourquoi est-ce que l’on continue de faire confiance aux institutions quand elles nous affirment qu’une épidémie est sous contrôle et qu’il n’y a rien à craindre. A-t-on oublié le rôle majeur joué par les CDC et les gouvernements dans la propagation du VIH-SIDA et les millions de décès qui auraient pu être évités ?

Des manifestants d’ACT UP accrochent une banderole indiquant « CDC Kills » sur le toit du Center for Disease Control à Atlanta, le 9 janvier 1990.

Le COVID Long tue

Et oui, quid des morts du COVID Long ? Quelqu’un en a-t-il déjà entendu parler ? Encore une fois on se heurte aux représentations du malade-type, le personnage principal d’un conte bien commode (pour certain-es), et l’image “uniforme” de sa mort. Dans l’imaginaire des gens, comme le SIDA qui n’était censé tuer que les homosexuels, le COVID tuerait exclusivement les personnes âgées, « fragiles » et « vulnérables ». Si les décès directs liés au COVID étaient comptabilisés au début de la pandémie lorsqu’il fallait encore justifier les mesures de confinement, la visualisation de ces décès a été progressivement invisibilisée. En France, nous en sommes officiellement à 180 000 morts du COVID en 4 ans (uniquement à l’hôpital), sans aucun hommage aux morts. Et le décompte continue silencieusement, car le SARS-CoV-2 est toujours un risque mortel direct en phase aiguë pour les personnes avec certaines comorbidités, notamment les personnes immunodéprimées. Mais ce chiffre est aussi sous-évalué puisqu’il n’y a pas de prise en compte du COVID Long comme cause possible de décès. Et pourtant le COVID Long tue aussi, différemment. Les effets décalés du COVID sont nombreux et inclus dans le terme de COVID Long. Ainsi les fibroses, les caillots arrivant a posteriori (1-2 mois après la contamination) et les infarctus, AVC et embolies pulmonaires, l’hypertension artérielle, la dysimmunité… sont autant de facteurs de décès survenant bien après la fin de la phase aiguë d’une (ré)infection par le virus du COVID. On a ainsi découvert que de nombreuses personnes sont décédées chez elles pendant la pandémie, probablement infectées par le virus mais non dépistées, comme dans cette étude qui montre qu’à Paris il y a eu 14 fois plus de morts subites pendant le confinement, dont beaucoup de thromboembolies sans doute dues à cette infection.

Derrière ces décès liés au COVID Long, il y a des noms. Un exemple parmi tant d’autres : Fiqah, une femme noire décédée des suites de son COVID Long le 17 février 2024, et dont le nom a été crié devant la maison blanche à Washington DC lors d’une manifestation de personnes vivant avec le COVID Long.

Tweets de Fiqah en septembre 2023, quelques mois avant son décès.

La plupart des personnes passent sous les radars faute de diagnostic de COVID Long dès le départ, ou parce que leur dégradation est attribuée à une maladie préexistante. Certaines, lourdement impactées par la maladie et abandonnées par les médecins sans aucun espoir d’amélioration, se suicident. D’autres subissent des problèmes immunitaires qui les rendent vulnérables à d’autres infections opportunistes (par ex Brandon Gilles, qui souffrait de COVID Long et d’Encéphalomyélite Myalgique, avec une neutropénie associée, est décédé d’une candidose). L’infection au SARS-CoV-2 a aussi des conséquences pulmonaires qui peuvent être graves (notamment la BPCO) ce qui amène encore une fois à des décès décalés dans le temps.

Évoquons enfin le rapport entre SARS-CoV-2 et diabète. Un lien de causalité était soupçonné dès le début de la pandémie face à l’augmentation brutale du nombre de cas de diabète, en particulier chez les enfants. Il vient d’être confirmé récemment : le SARS-CoV-2 peut infecter et se reproduire dans certaines cellules du pancréas, altérant leur structure et leur fonctionnement, et déclenchant une réaction auto-immune. Le virus du COVID peut donc déclencher le diabète, souvent appelé le “tueur silencieux” : on est, toujours, très loin du simple rhume.

Ainsi, les autorités politiques et sanitaires et leur vision court-termiste de la pandémie n’ont pas souhaité prendre en compte ni les événements décalés graves des réinfections, ni les maladies développées à moyen-long terme, qui dégradent durablement la santé des gens ou peuvent in fine mener à des décès. Comme le rappelle le Dr Ziyad Al-Aly dans un article, « Les gens développent une nouvelle maladie à la suite d’une infection qu’ils ont eue il y a trois ans ». Il y explique également que les risques de décès sont supérieurs pour les COVID Long pendant la 1ère année, et à 3 ans post infection pour les personnes hospitalisées. Ceci bat en brèche le discours selon lequel face aux virus, et notamment face au SARS-CoV-2, soit on meurt, soit on survit à l’infection aigüe selon son statut de vulnérabilité préexistante (et on serait tranquille ensuite). On peut devenir beaucoup plus vulnérable à cause du SARS-CoV-2, voire en mourir bien plus tard suite à des événements médicaux décalés dans le temps, ou encore par la précarité et la mort sociale provoquées par la maladie.

4 ans et demi après le début de la pandémie de SARS-CoV-2, plus de 5000 mort-es du COVID Long ont été recensé-es par les CDC aux États-Unis, qui admet la grossière sous-estimation. Combien en réalité ?

LA PERSISTANCE VIRALE DU SARS-COV-2 : INCERTITUDE SUR LES EFFETS À LONG TERME

Abordons maintenant ce qui est sans doute la piste la plus avancée pour expliquer une majeure partie les effets délétères du SARS-CoV-2 sur l’organisme. Soupçonnée dès le début de la pandémie, la persistance virale du virus du COVID dans les tissus des organes du corps humain n’est plus une hypothèse. Une étude de l’Institut Pasteur a ainsi montré la persistance dans les macrophages pulmonaires à 18 mois, avec la création de nanotunnels entre ces cellules du système immunitaire. Une autre étude a trouvé un système de détournement des nanotubes qui relient les neurones, ceci afin de les infecter.

Réplication virale active (ARN double brin) du SARS-CoV-2 dans le cortex préfrontal et neurone mourant de son infection. Image : Dr Danielle Beckmann

En s’appuyant sur la transcriptomique, une équipe belge a également mis en place un moyen de détecter la charge virale dans le sang et a commencé à tester les COVID Long, pour qui l’on a retrouvé la présence d’ARN viral à long terme après l’infection. Enfin, l’étude de Bomsel et Salmon a trouvé de l’ARN et de la Spike du virus, capable de se répliquer (antisense) 14 mois après l’infection dans la moelle osseuse, plus précisément dans les plaquettes et les mégakaryocytes, ce qui n’est pas sans rappeler la façon dont le VIH se cache dans les plaquettes . On est bien ici sur une infection chronique par le SARS-CoV-2 : les ARN double brin viraux (dsRNA) dans une cellule signent une réplication virale en cours, il ne s’agit pas de “restes de virus”.

Le rejet et l’invisibilisation de ces résultats scientifiques est patente. Toutes ces informations sont a priori très difficiles à présenter au public, même si elles commencent à émerger dans les médias aux États-Unis. Le public a envie de croire à la maladie “passagère” qui traverse le corps et s’en va : la persistance fait peur. Si le virus reste, il faudrait peut-être s’en protéger. Cela voudrait dire ne pas accepter les réinfections successives comme on a normalisé les infections aux viroses hivernales, ainsi que leurs fardeaux. En clair, mettre en place une politique ambitieuse de réduction des risques face aux virus aéroportés. Les morts annuels de la grippe ont notamment été acceptés par la population année après année, ce qui aurait pu et dû changer. Y ajouter les chiffres des décès COVID (38 000 en 2022 en France) a été présenté comme inéluctable et “normal”. Mais le COVID a aussi une forme chronique fréquente, très invalidante, voire mortelle. Or dans la presse, le COVID Long est présenté comme un syndrome post-infectieux, c’est-à-dire une maladie se déclarant après la phase infectieuse, qui elle serait “finie”. Le COVID comme infection chronique est un véritable angle mort de la communauté médicale qui ne travaille pas directement sur le COVID Long. Par ailleurs, et sauf exception, la plupart des essais cliniques antiviraux ou monoclonaux pour traiter le COVID ne concernent pour l’instant quasiment que la phase infectieuse aigüe de la maladie, encore une fois comme si le COVID Long était “déconnecté” du COVID aigu. Pourtant, les découvertes scientifiques démontrent inlassablement la dimension chronique de la maladie et son lien intime avec le virus lui-même, et des scientifiques commencent à réclamer des essais conjoints.

Aux États-Unis, la recherche clinique sur la persistance virale démarre malgré tout, notamment avec Polybio, une importante équipe internationale financée par le secteur privé, et qui travaille également sur la persistance virale d’autres pathogènes, ainsi que les maladies post-virales associées (notamment l’Encéphalomyélite Myalgique – EM, fréquemment développée suite au COVID). Des scientifiques qui travaillaient auparavant sur le VIH essayent de tester des médicaments antiviraux sur les COVID Long, d’autres équipes réutilisent ceux utilisés contre le VIH (Truvada®, Maraviroc®). Des biomarqueurs pour objectiver la persistance virale lors des essais pourraient permettre de s’assurer de la pertinence des cohortes et des résultats des essais sur le sujet, et objectiver la baisse de la persistance. Ces biomarqueurs existent mais ne sont pas simples à déployer (transcriptomique, INF-,…). L’objectif serait des antiviraux et/ou monoclonaux à utiliser sur le long terme pour éliminer les réservoirs viraux, et pas seulement à prendre lors de la phase infectieuse aigüe. On voit ainsi passer sur les réseaux sociaux des témoignages de malades qui commencent à faire leurs propres mix de médicaments sans aucun suivi médical, en commandant les médicaments depuis l’étranger, ce qui n’est pas sans rappeler le phénomène des Buyers Clubs au début de l’épidémie de VIH-SIDA. Ces pratiques qui peuvent être dangereuses ou inadéquates s’expliquent par le désespoir des patients à qui l’on ne propose toujours que de la rééducation ou de la ré-adaptation, voire même de la méditation ou luminothérapie, pour certains 4 ans après la déclaration de leur COVID Long. Pas sûr pourtant que la méditation de pleine conscience soit suffisante pour nettoyer les réservoirs viraux de SARS-CoV-2 dans la moelle osseuse, le cerveau ou les intestins.

Les implications sur la Santé Publique de la persistance virale du SARS-CoV-2 et de la constitution de réservoirs viraux sont potentiellement énormes. La directrice du NIH a déclaré récemment dans une interview qu’il faudrait certainement mettre en place des traitements d’attaque de mix d’antiviraux, pour traiter ou éviter l’infection chronique au SARS-CoV-2. Il se trouve qu’en France nous avons des équipes compétentes, et différents chercheur-euses ont réalisé des études sur la persistance virale du SARS-CoV-2 dont les images ont fait le tour du monde (notamment l’étude de l’institut Pasteur). Pourquoi n’y a-t-il toujours aucune étude clinique qui a démarré ? Pourquoi n’accélère-t-on pas l’approbation des antiviraux concurrents du Paxlovid (principal antiviral utilisé lors de l’infection COVID aigüe), certains ayant moins d’effets secondaires ou interactions ce qui permettrait aux personnes à très haut risque d’en bénéficier ? Pourquoi ne pas tenter de prévenir le COVID Long ? Pourquoi ne pas tout faire pour éviter les décompensations de maladies chroniques préexistantes (sclérose en plaques, maladies cardiovasculaires, COVID Long déjà existant, EM déjà existante, etc) ou apparition de nouvelles (cf l’augmentation considérable des risques de développer des maladies auto immunes) ?

Tout-e scientifique spécialiste du COVID Long s’inquiète des effets à long terme de la persistance virale. Certain-es, comme Akiko Iwasaki lors de la conférence Unitetofight2024, expliquent que des souris ayant reçu une injection d’anticorps provenant de patients COVID Long ont développé des symptômes tels qu’une faiblesse musculaire et des modifications cérébrales, et commencent à émettre des doutes sur la sécurité des transfusions sanguines, que ce soit en raison de la persistance virale ou de la présence de microcaillots éventuels. Il n’y a pourtant toujours aucun essai clinique de prévu en France sur ces sujets. C’est comme si cela n’existait pas.

Il faut évoquer maintenant l’inconnu : les problèmes à plus ou moins long terme. On ne les connaît pas encore tous, loin de là. Voici ce que l’on sait maintenant et qui n’était pas forcément évident au début de la pandémie : outre le fait que la persistance virale serait présente jusqu’à chez 25% des personnes contaminées en post-infection, on a pu relier les symptômes du COVID Long à la détection de persistance virale. Le virus du COVID montre sa persistance dans différents sites organiques, entre 6 mois et 2 ans après l’infection, et, parfois, sans symptômes prolongés. On a donc potentiellement des COVID Long qui se baladent avec du virus au niveau des intestins, du cœur, du cerveau, des ganglions lymphatiques et autres, parfois sans s’en douter. Qu’est ce que cela donnera dans 5, 10, 15 ans, après de multiples réinfections ? Les connaissances scientifiques s’accumulent également sur le fait que les (ré)infections par le virus du COVID épuisent et font vieillir prématurément le système immunitaire, exposant les personnes contaminées à d’autres maladies infectieuses après « rétablissement ». On parle ainsi de lymphopénie lorsque l’on retrouve un nombre anormalement faible de lymphocytes dans le sang. Les patients infectés par le VIH ont systématiquement une lymphopénie résultant de la destruction des lymphocytes T CD4+ infectés par le VIH. Il se trouve que les patient-es atteints de COVID-19 ont une lymphopénie dans une proportion significative de cas, (dans le manuel MSD le COVID apparaît dans les causes les plus fréquentes de lymphopénie acquise), avec parfois une baisse des lymphocytes T à long terme (suivi sur 2 ans) et un épuisement des CD8+ pour les patient-es COVID Long.

La cause de la lymphopénie liée au virus du COVID n’est pas complètement comprise aujourd’hui et est certainement différente de celle du VIH ou d’autres virus, mais il s’avère que le SARS-CoV-2 peut directement infecter les lymphocytes et qu’une apoptose liée aux cytokines de ces cellules est probable. Quoiqu’il en soit, les dommages au système immunitaire sont documentés et se confirment, et la déclaration suivante dans un communiqué de F. Gao et al (NIH) permet de mieux comprendre les soucis rencontrés par le système immunitaire malgré la vaccination : “le SRAS-CoV-2 endommage la réponse des lymphocytes T CD8+, un effet semblable à celui observé dans des études antérieures montrant des dommages à long terme au système immunitaire après une infection par des virus tels que l’hépatite C ou le VIH. » Les auteurs concluent que ce dysfonctionnement provoque des dommages durables et peut « contribuer à un long COVID, rendant peut-être les patients incapables de répondre de manière robuste aux infections ultérieures par des variantes du SRAS-CoV-2 ou d’autres agents pathogènes”.

En pratique, cette anomalie du fonctionnement du système immunitaire (dysimmunité) peut se manifester par la réactivation de virus latents comme le virus de l’herpès ou le virus d’Epstein-Barr, mais aussi des problèmes fongiques (développement de champignons). Cela peut également expliquer un certain nombre de signaux faibles comme la recrudescence depuis 2020 des cas de tuberculose, inédite depuis 27 ans, et pour laquelle les CDC rappellent que le mécanisme le plus fréquent n’est pas une infection récente mais une réactivation d’une tuberculose latente, en lien avec une dysimmunité récente. Des épidémies émergent avec des nombres et formes plus graves de ces maladies qu’habituellement (rougeole, streptocoque A en Angleterre avec des décès inhabituels chez les enfants). Certains au Canada ou aux États-Unis commencent à tirer la sonnette d’alarme face à ces résurgences et l’émergence chez certaines personnes d’un état de maladies successives continuelles inquiétant, lié aux infections SARS-CoV-2. Comme l’explique Amy Proal, chercheuse travaillant sur le sujet : “Je pense que les gens commencent à remarquer qu’il y a beaucoup de personnes autour d’eux qui ne vont pas très bien. Et je pense que les gens savent au fond d’eux que ces infections [à répétition] ne sont pas une bonne chose”.

A terme, que deviendront les personnes réinfectées dont le système immunitaire est le plus impacté ? On espère que, lentement, leur système récupérera, mais on ne peut pas le savoir avec certitude avec seulement 4 ans de recul. Par ailleurs, certaines des conséquences possibles à long terme telles que le déclenchement de maladies neurodégénératives ou le risque futur de cancer, sont toujours en exploration. On sait par exemple aujourd’hui que les infections virales telles qu’ Epstein-Barr sont impliquées dans le développement de la sclérose en plaques. On sait aussi que les ré-infections font rechuter les personnes vivant avec un COVID Long : comment, avec un virus en circulation quasi constante toute l’année, pourront-ils éviter la dégradation de leur système immunitaire et de leur état de santé général ?

CONCLUSION

Une personne passe devant l’installation artistique « IN AMERICA How Could This Happen… » de l’artiste Suzanne Brennan Firstenberg, alors que la propagation du coronavirus (COVID-19) se poursuit, sur le DC Armory Parade Ground, à Washington D.C., États-Unis, 23 octobre 2020. REUTERS/Hannah McKay

Chaque virus est singulier, et doit être traité selon ses particularités. Les solutions techniques et politiques applicables pour l’un ne fonctionnent pas forcément pour l’autre. En revanche, certains mécanismes peuvent être similaires, que ce soit au niveau biologique, ou dans la réaction des autorités sanitaires et de la population. Il est essentiel d’apprendre des pandémies précédentes pour ne pas refaire les mêmes erreurs et surtout gagner du temps.

Appliquons dès maintenant le principe de précaution. Il s’est écoulé un peu plus de 10 ans entre l’identification du VIH-SIDA et la mise au point de traitements réellement efficaces. Les connaissances scientifiques se sont accumulées très lentement : au début on ne savait pas si l’infection par le VIH entraînait systématiquement le développement du stade SIDA, le taux de mortalité réel était très sérieusement sous-estimé et on ne connaissait absolument pas tous les effets à long terme de ce virus sur le corps humain. L’éclairage et les acquis des décennies de lutte contre l’épidémie de VIH-SIDA auraient dû nous permettre d’éviter de perdre un temps précieux pour le COVID. Il est urgent d’écouter enfin les personnes concernées. Ce que l’on sait aujourd’hui sur le virus du COVID, après 4 ans et demi de pandémie seulement, est suffisamment grave et sérieux pour agir dès maintenant.

On veut tout, tout de suite : le port du masque FFP2 dans tous les lieux de soin et la gratuité des tests PCR pour tout le monde, des campagnes de vaccination pour tousTES à partir de 6 mois, un suivi accessible et fiable de la circulation du virus en France, des purificateurs d’air partout, mais aussi des essais cliniques pour des traitements rapides, des antiviraux et autres moyens de limiter les dégâts liés à la persistance virale, des parcours de soin et soutiens sociaux adaptés, des dépistages par biomarqueurs des différentes conséquences du COVID. On veut des essais cliniques basés sur les causes et mécanismes des problèmes observés suite aux réinfections par le virus du COVID, pas uniquement de la gestion des symptômes. Autre chose en tout cas que de la recherche sur les “bienfaits” de la luminothérapie et des cures thermales, autre chose que de la “rééducation”. On a besoin de prévention et de traitements maintenant et pas dans 10 ans car il sera alors trop tard. La pandémie de COVID est une urgence sanitaire et une menace existentielle pour les personnes handicapées mais aussi pour toutes les personnes encore considérées comme bien portantes, plus particulièrement celles parmi les populations déjà les plus précarisées et marginalisées, discriminées dans l’accès au soin et/ou occupant majoritairement les métiers en première ligne face à un virus aéroporté : les personnes racisées, les femmes précaires, les personnes LGBTQIA+, les travailleurs et travailleuses du sexe, les personnes incarcérées.

Pour finir, rappelons que la démocratie sanitaire, c’est-à-dire la prise en compte réelle des malades dans la construction du savoir médical et la recherche de traitements (« Rien pour nous sans nous »), est un principe de base acquis par la lutte contre le VIH-SIDA. Ce principe de base est chaque jour malmené et méprisé par le gouvernement et les autorités sanitaires. Les personnes vivant avec le COVID Long doivent continuer de s’approprier le savoir médical. Au vu de la persistance du virus et de l’étendue des parties du corps humain affectées, de nombreux éléments restent à explorer (tels que les conséquences neurologiques, cardiovasculaires, les syndromes post-infectieux, les effets sur le système immunitaire, le développement de cancers ou de maladies auto-immunes…). Ces personnes doivent aussi et surtout pouvoir prendre part à la construction des études scientifiques, et être écoutées par les institutions et les soignant-es. À chaque étape, les recherches doivent se constituer avec les personnes concernées puisqu’elles doivent répondre à leurs besoins.

Face à l’inaction des institutions, nous devons prendre soin les un-es des autres et passer à l’action dès maintenant. Aujourd’hui comme en 1981, personne d’autre ne le fera pour nous.