Devant la confusion entretenue par l’APF qui voudrait s’attribuer un militantisme qu’elle n’a jamais porté en appelant à la déconjugalisation de l’AAH alors qu’elle soutient un régime d’institutionnalisation validiste, une ligne de démarcation claire doit être tracée. Ses intérêts de sont pas les nôtres.
APF, hors de nos luttes !
Demain est le jour qui a été choisi par l’Association des Paralysés de France pour appeler à la mobilisation nationale et demander la déconjugalisation de l’Allocation Adulte Handicapé alors que ce sont les militant.e.s anti-validistes et les personnes concernées qui ont porté cette lutte sans relâche depuis des mois.
En tant qu’association gestionnaire, l’APF s’est fait remarquer ces dernières années par ses innombrables démonstrations de lâcheté et par ses compromissions bien plus que par son intransigeance à l’égard du respect de nos droits. Parce qu’il est évident qu’elle n’a pas la moindre intention de remettre en question les lieux d’enfermement et d’exploitation qu’elle gère, il nous importe que notre lutte ne soit pas instrumentalisée et accaparée une fois de plus par l’APF et qu’enfin une ligne de démarcation claire soit tracée entre les associations gestionnaires et nous : entre ces associations qui participent et supportent le système validiste qui nous oppresse et nous qui devons chaque jour nous battre pour nous arracher à sa ségrégation, à ses discriminations, à sa violence.
L’individualisation du calcul de l’AAH est une revendication militante fondamentale de la lutte que nous menons pour nos droits et notre émancipation. Elle concentre en elle une critique radicale de la structure profondément validiste et patriarcale de l’organisation sociale de notre société qui n’a jamais considéré le sujet du handicap et les personnes handicapées qu’avec condescendance et mépris, dans la continuité d’une tradition de pitié et de charité idéologiquement et politiquement renouvelée.
Assujettir notre AAH au revenu de nos partenaires est l’une des formes d’expression de la négation généralisée qui nous est renvoyée et qui justifierait – parce que nous serions infantiles et vulnérables – qu’il faille toujours nous aliéner pour nous protéger, décider pour nous parce que nous en serions incapables. Ainsi faudrait-il que nous soyons toujours placé.e.s sous emprise et livré.e.s à la merci d’autrui : enfermé.e.s dans des institutions spécialisées, dans des hôpitaux psychiatriques, dans nos familles et emprisonné.e.s jusque dans nos couples.
Quand nous nous battons pour la déconjugalisation de l’AAH, nous combattons la brutalité d’un validisme d’État qui n’a de cesse de discuter le respect de nos droits fondamentaux comme s’il ne s’agissait-là que d’une vulgaire mesure d’ajustement; comme si nous assigner à la pauvreté quand il nous faut vivre avec l’AAH n’était pas déjà une insulte; comme si la dépendance à laquelle nous sommes contraint.e.s dans nos couples était sans conséquence, sans violence et qu’il ne s’agissait pas de nous humilier, de nous inférioriser, de nous infantiliser, de porter atteinte à notre autonomie, à l’exercice de notre volonté et de notre liberté; comme si 34 % des femmes handicapées n’étaient pas victimes de violences conjugales et qu’il ne s’agissait pas de prendre pour nous le risque de nous y exposer avec une indifférence coupable.
Quand il s’agit pour nous de nous opposer à une insupportable subordination paternaliste et familialiste archaïque, de refuser le schéma brutal de l’emprise auquel nous sommes toujours renvoyé.e.s et d’appeler, avec la déconjugalisation de l’AAH, au renversement d’une domination structurelle, pour l’APF et les associations gestionnaires il n’en est rien, bien au contraire.
L’histoire a montré depuis longtemps que ce n’est pas la défense de nos droits qui concentre leur attention mais celle de leurs intérêts et qu’elles sont davantage occupées à chercher un salut pour les institutions et les ESAT dont elles sont les gestionnaires. Elles préfèrent assurer – moyennant finance – la survie de leurs établissements et celle d’un système de discriminations généralisées alors que le droit international les condamne et que le Comité de l’ONU réclame à la France leur fermeture précisément pour ce qu’ils sont: des structures de privation de liberté et d’exploitation par le travail où nous ne sommes en rien protégé.e.s mais vulnérabilisé.e.s, réduit.e.s à nos handicaps, où les violences sont multipliées et dissimulées, où nos paroles sont tues, où menaces et impunité font loi, où nous est imposée la vie en collectivité, où nous ne sommes plus libres ni de nos décisions ni de nos actions.
Ainsi l’APF et les associations gestionnaires qui fonctionnent comme elle voudraient-elles s’attribuer, dans le champ du handicap, le rôle de défenseur de nos droits en s’emparant de nos luttes, sans jamais lutter, sans jamais contrarier le validisme d’État parce qu’il leur est profitable, parce qu’elles lui sont redevables. Elles ont été installées par chaque gouvernement dans toutes les instances représentatives, appelées à siéger dans tous les comités, à participer à toutes les consultations, sans partage, sans qu’aucune contradiction ne puisse être opposée à leur discours intéressé alors que le conflit d’intérêts est évident. Elles préfèrent relayer sur nous des préjugés et des stéréotypes misérabilistes qu’elles instrumentalisent pour mieux trouver au régime d’institutionnalisation des excuses pour le justifier et se justifier d’en être en vérité les principales bénéficiaires, pour s’assurer d’être indispensables et largement financées.
Qu’importe si cela signifie de s’humilier en participant à des négociations faussées qui n’ont jamais abouti pour nos droits qu’à d’insupportables concessions et à des trahisons de leur part. Qu’importe s’il s’agit de renouveler les conditions de notre oppression en faisant obstruction à des investissements et à des alternatives pour la vie autonome qui pourraient être développées. Qu’importe à l’APF et aux associations gestionnaires s’il a fallu se rendre complices de tous les gouvernements qui se sont succédé pour les déresponsabiliser de leurs engagements, pour qu’ils puissent contourner et reporter leurs propres lois et contrevenir au droit international avec leur assentiment, tant que leurs intérêts sont préservés.
Ainsi participent-elles en réalité à la division antagonique de la société, à des politiques d’exclusion cyniques qui organisent notre dépendance, nous déshumanisent et nous tiennent à l’écart, en exil. Bien loin de combattre cette ségrégation comme elles voudraient le faire penser, elles la permettent, la confortent, en normalisent la violence et en banalisent le déterminisme social comme s’il pouvait être acceptable. L’APF et les associations gestionnaires ne sont pas de notre côté, leurs intérêts ne sont pas les nôtres. Qu’elles s’emparent de notre lutte pour la déconjugalisation de l’AAH en osant seulement parler de notre droit à l’autonomie et à l’autodétermination alors qu’elles défendent contre tout un modèle rationalisé d’emprise et d’assujettissement validiste où elles bafouent chaque jour ces mêmes droits montre une fois de plus, s’il en fallait encore une, que leur parole ne vaut rien : elle n’est qu’hypocrisie. Quant à leurs actes, ils parlent d’eux-mêmes : ils ne sont que compromission.
Signataires :
Act Up-Paris, la CHA, CLE Autistes, le CLHEE, Les Dévalideuses, Handi-Social, Objectif Autonomie
Contact Act Up-Paris : Emilie Guigueno