Extraits de Act Up, une histoire de Didier Lestrade (éditions Denoël)
« Ça commence comme ça : un beau jour, vous faites le test pour une raison quelconque et il est positif. En une fraction de seconde, votre vie n’est plus la même. (…) Vous commencez par faire des bilans. Vous vous habituez à aller à l’hôpital, où vous n’avez jamais foutu les pieds depuis cette appendicite, un été en vacances à St Brieuc quand vous aviez treize ans. Dans la salle d’attente, il y a des malades qui ne rigolent pas et dans la pièce où vous faites vos prises de sang, l’infirmière qui est en stage de formation rate trois fois la piqûre (le sang gicle) pendant qu’un autre malade, à côté, se fait faire une perfusion d’un produit que vous ne connaissez même pas et qui donne à sa peau cet aspect brunâtre si particulier. (…)
Ensuite, vous prenez l’habitude de vous réveiller le matin en vous regardant sous toute les coutures dans le miroir. Vous surveillez le moindre bouton, la moindre rougeur parce que s’il y a bien une chose que vous ne voulez pas développer, c’est bien un kaposi. Votre peau commence à sécher, des petites choses arrivent comme des crises d’herpès de plus en plus rapprochées et puis toutes ces fatigues inexpliquées. Un jour vous faites un zona. Ca vous écrase pendant trois mois, ce qui vous donne un sentiment de découvertes : vous déclinez, c’est normal. Si tout va bien, vous allez perdre 60 à 100 CD4 en moyenne tous les ans. C’est pratique, vous pouvez calculer votre espérance de vie. Si ça va mal, il faudra commencer un traitement. Et aujourd’hui, on ne rigole plus : c’est la trithérapie d’emblée. Vous allez tomber dans le traitement standard, d4T + 3TC = indinavir. Et puis, avec des vitamines et les autres traitements, vous allez devoir vous habituer à prendre des pilules par poignées. Et là, vous allez vraiment le sentir. Trois mois pour vous en remettre : des maux de tête, des nausées, l’épuisement, la perte d’appétit, les douleurs dans les membres et le ventre, les irruptions cutanées et je passe les autres effets secondaires qui tiennent en trois pages.(…)
Au bout d’un an de trithérapie, votre corps se modifie. Vous perdez cette adorable petite graisse qui enrobait vos bras, vos jambes et votre cul, qui avait tellement de succès. Votre visage change littéralement de forme. Vous devenez plus maigre et le pire, c’est que votre ventre grossit, de manière incompréhensible. Vous ressemblez à une grenouille ou à un autre représentant du règne animal. Vous vous sentez vraiment affaibli et difforme, vous perdez d’un coup quatre points dans votre estime personnelle qui n’en possède que dix sur l’échelle normale. (…)
De toute façon, il faut être franc, vous ressemblez déjà à un vieux : vos cheveux tombent ou alors ont perdu tout leur éclat. Vos ongles se cassent pour un rien. A cause du 3TC, votre visage est complètement rouge. Vous êtes tellement faible que le fait d’aller acheter un Figolu au supermarché vous épuise (et pourtant ça ne pèse que 165 grammes). Personne n’est là pour vous aider à faire les courses. Vous avez des neuropathies périphériques : vos bras et vos jambes sont transpercés d’aiguilles, ça vous pique et ça vous fait tellement mal que vous ne pouvez plus dormir : vous vous réveillez à 4 heures du matin à cause de crampes impossibles à décrire qui vous font crier de douleur. Le pire, c’est le sexe. Au passage, vous avez perdu votre libido. Soit le choc traumatique post-hôpital, et vous devez aller chez le psy, soit ce sont les lipodystrophies. Les quoi ? Vraiment, vous n’êtes au courant de rien. (…)
Quelques mois passent, ou même un an ou deux pendant lesquels vous êtes atteint d’une déprime tellement puissante que vous ne tenez presque plus debout. Heureusement que le Prozac est là. (…)
Voilà ce que c’est que le sida. Il y a des millions de gens qui sont morts avant vous et vous croyez que vous êtes unique. Maintenant, allez baiser sans capote.»