L’OMS : pour les lecteurs du Monde, le supra docteur de la planète, d’une impartialité et d’un humanisme exemplaires, qui prescrit aux Etats pauvres les remèdes salvateurs en demandant aux Etats riches de se pencher sur leur douleur… et d’arrêter de fumer. Ne soyons pas naïfs : ni impartial, ni humaniste, surtout pas docteur, l’OMS est loin d’être ce que Le Monde nous décrit.
L’OMS, en matière de sida, est avant tout un éternel frein pour l’accès aux traitements, autant par tradition que par soumission aux Etats du Nord (qui veulent limiter les frais). L’OMS déconstruit laborieusement tout ce qui pourrait ressembler à une avancée, favorise toutes les mesures qui consistent à reculer pour mieux sauter, freine des quatre fers pour ne pas appliquer ses propres résolutions. Nous avons adoré la dernière. Elle s’appelait A 53. Il ne reste que quelques mois pour la mettre en application avant la prochaine Assemblée Mondiale de la Santé en mai. Autant dire qu’il y a toutes les chances qu’elle reste lettre morte.
Rappel à l’OMS et à ces Etats membres, qui s’étaient eux-mêmes enjoint à :
– collaborer avec le Secrétariat de l’OMS… pour mettre régulièrement à jour les bases de données existantes afin de fournir aux Etats Membres des informations sur le prix des médicaments essentiels, y compris les médicaments contre le VIH ;
La base de donnée existante, sur les sources et prix des principaux médicaments VIH, ne mentionne toujours que les prix « moyens », « plus haut » et « plus bas » de chaque molécule – bref, aucune donnée exhaustive – et surtout, ne permet pas de remonter à la source des industriels qui produisent les versions les plus économiques. Si elle a le mérite d’exister, ce mérite ne revient pas à l’OMS, mais à MSF, sans lequel aucune donnée n’aurait été actualisée… Quant au récent « appel à proposition d’intérêt », sorte d’appel d’offre bâtard destiné à recenser les industriels proposant des traitements VIH à tarif réduit, il a été retardé et contraint à la modestie par le peu d’enthousiasme qu’il a suscité au sein de l’Organisation.
–améliorer l’accès aux traitements et à la prophylaxie des maladies liées au VIH par … la mise en place d’une politique énergique d’utilisation de produits génériques, des achats en vrac (sic), des négociations avec les sociétés pharmaceutiques, des systèmes de financement appropriés et des mesures d’incitation à la production locale et aux importations parallèles qui soient compatibles avec les législations nationales et les accords internationaux adoptés ;
Les recommandations de l’OMS/ONUSIDA en faveur de l’accès au cotrimoxazole – traitement préventif essentiel des maladies opportunistes liées au VIH – ont été dénigrées à l’intérieur même de l’institution qui les a validées. Tout a été mis en œuvre pour qu’elles ne soient ni diffusées, ni appliquées, tandis qu’on estimait encore à la direction du médicament de l’OMS que ces recommandations n’étaient pas suffisamment fondées sur des arguments scientifiques. Rien, absolument rien, n’a été fait pour aider les pays à faire des « achats en vrac » ou des négociations globales avec l’industrie, ou pour promouvoir une politique de production locale de génériques. Anecdote significative : alors que l’Union Européenne tenait conférence de presse pour présenter son nouveau programme, innovant en matière d’accès aux traitements – notamment génériques – contre le VIH, le palu et la tuberculose, la directrice générale de l’OMS tenait une conférence concurrente sur le tabac, au même endroit, à la même heure, drainant à elle et vers des sujets qui lui tiennent plus à cœur la plupart des journalistes présents ce jour-là à Bruxelles. Une semaine plus tard, elle organisait à Winterthur, en réponse à l’Union Européenne, une sorte de « contre sommet » destiné à lancer un tout nouveau slogan qui résume à lui seul l’idée que se fait l’OMS de la lutte contre ces trois principales maladies transmissibles : « une poignée de pilules (pour la tuberculose), un condom (ça c’est pour le sida), et une moustiquaire (pour le palu) ».
Rappel à Mme Gro Harlem Brundtland, qui découvrait il y a six mois que le sida était un problème, et qui, lors de la dernière AMS, et en tant que Directrice Générale était priée par l’Assemblée :
–de donner dans le budget ordinaire de l’Organisation un rang de priorité élevé à la lutte contre le VIH/sida,
De quelle façon s’est traduite cette haute priorité dans les budgets de l’OMS ? Aucune information ne filtre pour le moment. Il faudra attendre le bilan qui doit être fait par le Conseil exécutif, sous peu, pour en savoir plus. Espérons que les nouvelles seront bonnes à ce sujet lors de la prochaine Assemblée Générale en mai. Et que l’objectif sera réitéré pour l’année suivante. A moins que les priorités soient tournantes et que l’on passe à autre chose ? « Le sida, c’était l’année dernière ». Ici où là, on l’entend murmurer « il n’y a pas que le sida ». Autant avoir une nouvelle priorité chaque année, comme ça, on peut être sûr qu’il est impossible de mettre quoi que ce soit en place. Quelle sera donc la priorité de l’OMS en 2002 ? La lutte contre les maladies mentales… s’est-on laissé dire. A moins que ce ne soit l’alimentation des nourrissons ? Les chaises musicales de la Santé, tout un programme.
– de veiller à ce que l’OMS poursuive de façon dynamique et efficace son dialogue avec l’industrie pharmaceutique, en concertation avec les Etats Membres et les associations de personnes vivant avec le VIH/sida, pour rendre les médicaments contre le VIH/sida plus accessibles pour les pays en développement, grâce au développement des médicaments, à la réduction des coûts et au renforcement de systèmes de distribution fiables.
Bilan : un dialogue ni dynamique, ni efficace et surtout pas transparent ; une concertation qui ressemble plus à une volonté de maintenir la paix sociale avec les associations de personnes atteintes. Le « groupe de contact » chargé de ces questions est naturellement infiltré par les représentants des grands labos, auréolés de leurs promesses non tenues, tandis que les fabricants de génériques ne sont pas invités, malgré des demandes incessantes de la société civile. Les résultats des « négociations » ? Quelques vraies fausses remises sur quelques centaines de boîtes d’antirétroviraux, une donation déguisée d’une poignée de pilules d’antiprotéases au Sénégal, le pays le plus vendu aux labos qui soit. Les baisses négociées en Ouganda sur une plus grande échelle, par la mise en concurrence des génériqueurs et des fabricants de marque, ne sont pas présentées avec la même emphase que la compromission sénégalaise. Elles n’ont, il faut le dire, pas été facilitées par l’OMS.
–de coopérer, sur leur demande, avec les gouvernements et d’autres institutions internationales au sujet des options qui s’offrent, au titre des accords internationaux pertinents, y compris les accords commerciaux, pour améliorer l’accès aux médicaments…
–de donner des avis aux Etats membres sur le schéma thérapeutique approprié contre le VIH/sida, en collaboration avec d’autres organisations internationales compétentes, ainsi que sur les problèmes gestionnaires, juridiques et réglementaires à résoudre pour rendre le traitement plus abordable et plus accessible ;
L’OMS n’a pas constitué d’équipe qui soit à même de prodiguer sur le terrain, des conseils ou un appui technique approprié aux pays qui cherchent à « préserver les intérêts de santé publique » tout en mettant leur législation pharmaceutique en conformité avec les accords de l’OMC, et s’interrogent sur les procédures à suivre pour améliorer l’accès à des traitements abordables. M. Tarantola, numéro 2 de l’OMS, le constatait en personne pendant la dernière réunion du « groupe de contact pour l’accès aux traitements VIH » : «la demande croissante en appui technique de la part de nombreux pays nécessite des moyens accrus, notamment en terme de ressources humaines ». Une réunion était prévue en janvier pour étudier le problème… Un peu tard, et un peu court, M. Tarantola.