La tenue de la 10ème conférence sur les rétrovirus et les maladies opportunistes (CROI) dans la ville de Boston, aux universités prestigieuses, devait être un bon présage d’une manifestation de haute qualité. Ce fut le cas.
impressions générales
Bon nombre de travaux de recherche fondamentale, de pistes nouvelles en cours d’exploration devaient aboutir lors de cette conférence à des présentations qui feraient date. Sans tomber dans un optimisme béat, ni sans pêcher par excès de critique, il faut dire que ce rassemblement des scientifiques qui travaillent sur le VIH a produit des débats montrant la voie dans laquelle la recherche actuelle est engagée. On ne peut pas dire qu’on ne les avait pas vu venir, il était seulement nécessaire que certains travaux aboutissent pour vérifier que le chemin emprunté était le bon. En effet, malgré les résultats extraordinaires des antiprotéases, suivis de l’apparition des HAARTs, on avait vu sombrer les hypothèses d’éradication puis apparaître les troubles métaboliques, les lipodystrophies et les problèmes cardio-vasculaires. Le strict respect des traitements a cédé la place aux interruptions programmées, de nouvelles molécules sont apparues et tout ceci concourt à permettre de nouvelles stratégies thérapeutiques plus efficaces, plus simples, plus sûres. Il faut bien comprendre que du temps est nécessaire pour permettre d’évaluer des stratégies au long cours. L’apparition de nouvelles molécules antivirales, par exemple, ne demande pas seulement un temps de validation pour leur emploi mais bouscule aussi les stratégies de traitement : elles permettent de mieux s’adapter aux cas particuliers, redonnent de l’espoir aux personnes dans l’impasse, complètent parfois un arsenal médicamenteux lacunaire. Rien d’étonnant donc qu’après une intense période de travaux de recherche, il faille faire un peu le point sur les nouvelles perspectives que nous offrent les résultats récemment acquis. Mais cette 10ème CROI fut aussi l’occasion de découvrir de nouvelles pistes à explorer : la difficile quête d’un vaccin a connu bien des déceptions mais les chercheurs poursuivent toujours plus avant des travaux dans des directions inexplorées jusque là et ce, grâce à des techniques qui ont fait leur apparition. Les travaux d’autres disciplines viennent aussi apporter des idées nouvelles, incitant les médecins à plus d’audace pour dépasser les limites atteintes par les techniques traditionnelles. Et les malades ? Les années passant, les perspectives changent, les habitudes et les envies aussi. Plus concrètement, faisons le tour des principaux domaines traités lors de cette 10ème CROI.réplication virale et pathogenèse
Des chercheurs se sont intéressés à divers facteurs qui limitent l’action des antiviraux. Parmi ceux-ci figurent certains mécanismes de nos cellules qui en éliminent les antiviraux, une sorte de moyen de faire le ménage. Ces mécanismes, responsables de la limitation de nombreux traitements, notamment en cancérologie, sont plus ou moins influencés par les médicaments absorbés et concourent aux phénomènes d’interaction médicamenteuse. Ainsi, un non nucléosidique entraîne la diminution des mécanismes d’élimination des non nucléosidiques. Mais tout ceci est aussi fonction de prédispositions génétiques, ce qui ne facilite pas la tâche. Et pour parfaire la complexité du tableau, il y aurait un lien entre l’expression des récepteurs CCR5 et CXCR4, nécessaires à l’entrée du virus dans les cellules, et ces fameux canaux d’élimination. Ainsi, certaines prédispositions génétiques favoriseraient l’élimination des inhibiteurs de protéase mais aussi l’expression des récepteurs CXCR4, d’où un intérêt renforcé pour les médicaments qui empêchent l’entrée du virus par ce moyen. Evidemment, tout cela est de la technique de laboratoire et n’a pas encore de validation claire dans la « vraie vie ».nouveaux antirétroviraux
Dans les nouveautés de ce crû 2003 de la conférence américaine, un nouveau venu : l’inhibiteur de maturation. Son nom est pour l’instant PA457. L’effet antiviral de cette nouvelle molécule agit sur une étape tardive de la formation du virus dans les cellules infectées. Elle agit en fait sur la formation des protéines qui forment l’enveloppe interne du génome viral, le core, en empêchant leur constitution correcte. L’étude de cet antiviral en est à la phase de laboratoire et devrait être testée en clinique en 2003. En essai clinique de phase III, l’emtricitabine (FTC) est étudié également chez l’enfant. Outre que la rapidité des études pédiatriques de nouveaux produits n’est pas chose courante, il y a ici un intérêt particulier dans la mesure où l’emtricitabine est un analogue nucléosidique à longue durée de vie : une seule prise par jour devrait permettre d’atteindre une efficacité suffisante. L’usage du Ténofovir DF en lieu et place de la d4T semble se confirmer : à efficacité égale, la nouvelle molécule se montre moins toxique pour les mitochondries, ce qui est déjà un progrès, même si les troubles lipidiques n’ont pas l’air améliorés. Le tipranavir, inhibiteur de protéase à la forme originale, poursuit la longue route des essais de validation. Tout porte à croire qu’il sera efficace chez des personnes ayant déjà subi pas mal d’autres inhibiteurs de protéase auxquels le virus est devenu résistant. Le TMC114 est un nouvel inhibiteur de protéase intéressant. Les premières études montrent une remarquable efficacité in vitro sur tous les virus résistants à sa classe de médicament. Testé chez des malades ayant un virus particulièrement résistant aux inhibiteurs de protéase, il semble tenir ses promesses de laboratoire puisqu’il a permis une réduction importante de charge virale. Ses effets indésirables semblent essentiellement d’ordre digestif. La grande vogue, ce sont les moyens de combattre l’entrée du virus dans les cellules. Pour cela tout est en test : des récepteurs CD4 solubles qui, se fixant sur les virus, empêchent leur accroche sur les cellules cibles ; de plus en plus d’inhibiteurs de co-récepteurs CXCR4 et CCR5 sont proposés. Tous les laboratoires se pressent pour trouver leur formule. Peu de ces produits sont pour l’instant en étude clinique. Restent les inhibiteurs de fusion du laboratoire Roche, les fameux T20 et T1249. Depuis que le T20 est en cours d’utilisation, les recherches sur la fusion et sur son mécanisme sont nombreuses. On étudie les mutations virales et leur effet positif ou négatif sur l’efficacité du T20. On étudie aussi ses associations avec les autres antirétroviraux : divers essais d’interaction médicamenteuse montrent qu’il n’y a pas d’interaction entre le T20 et les autres médicaments. Les essais de validation du T20, désormais connu sous le nom de Fuzéon®, ont été publiés. On n’aura pas manqué cette nouvelle tant les discussions sur le prix exorbitant de ce produit ont été vives depuis la CROI. Comme on l’attendait, ce produit a montré une efficacité intéressante chez tous ceux qui sont en impasse thérapeutique. De plus, un phénomène intéressant intervient dans ce succès ; certaines mutations du virus, suite à la pression d’autres antiviraux, permettent au T20 d’être plus efficace : le virus est devenu moins efficace dans son processus d’entrée dans la cellule et le T20 a plus de temps pour agir. Mais cela ne doit pas nous faire perdre de vue que le T20 a aussi ses faiblesses et notamment celle de provoquer une évolution facile du virus qui, ainsi, lui échappe. Les essais présentés font aussi état de divers effets indésirables sans risque majeur. Le T-1249 est un nouvel inhibiteur de fusion mieux adapté au rôle qui lui est dévolu que son prédécesseur, le T20, avec lequel il partage le mode d’action. Son intérêt réside dans une efficacité conservée vis-à-vis de souches ayant acquis une résistance au T20. Les premiers essais sont encourageants.arni
Directement issue de la génétique, la technique des « interférences ARN » ou ARNi a fait fureur à Boston. Mais si cette technique fascine, elle reste encore dans le domaine expérimental. Tout au plus quelques souris de laboratoire ont pu en «bénéficier» pour l’instant. Sans vous exposer à quelque « crampe de cerveau », une petite explication sur ces phénomènes initialement découverts par les botanistes chez les pétunias. Il s’agit de petits fragments d’ARN présents à l’état naturel sous forme d’ARN double brin. On estime que leur rôle naturel peut être celui d’antiviral, de protection contre l’expression de gènes étrangers et d’élimination d’ARN déficients ou altérés. Leur présence dans une cellule permet de supprimer la transcription d’un gène par inhibition de l’ARN messager cible. Il suffit de connaître la séquence de l’ARN messager que l’on veut éliminer pour produire l’ARNi correspondant. On imagine aisément (enfin après avoir consulté le glossaire, s’être creusé un peu le crâne et avoir pris une aspirine pour s’en remettre) l’intérêt de cette technique dans le domaine de l’infection à VIH : il s’agit ni plus ni moins que de cibler le gène du VIH introduit dans nos cellules ou tout du moins un petit bout indispensable à sa production. Evidemment, le talon d’Achille de cette histoire n’est autre que de savoir comment amener les fameux ARNi entiers dans nos cellules. Et ironie de l’histoire, à quoi a-t-on pensé pour cela ? à des virus bien sûr ! Ce n’est probablement pas pour demain matin. On arrive péniblement pour l’instant à bricoler quelques gènes faciles à identifier chez des souris de laboratoire. Mais c’est une affaire à suivre.thérapies basées sur l’immunité
Tant d’encre a coulé dans la presse française au sujet des résultats d’essais Vacciter (ANRS 094) et Vacc-il2 (ANRS 093) que le sujet est bien connu. Il s’agissait pour ces deux essais de faire usage d’un vaccin à but curatif pour voir si l’on pouvait obtenir une prolongation du contrôle immunitaire lors d’arrêts de traitement antirétroviral. Les résultats présentés montrent que cette piste est intéressante mais demande à être confirmée tant sur le plan de la méthode de vaccination que sur les résultats obtenus. Pas de quoi enfiévrer la France entière ni d’ailleurs les congressistes rassemblés à Boston. Cela reste un résultat de recherche attendu et prometteur mais ne doit surtout pas inciter les malades à se précipiter vers le prochain centre de vaccination.effets indésirables
De nombreux travaux ont été présentés à la CROI 2003 qui ont permis de mieux cerner les problèmes d’effets indésirables des traitements mais aussi de la présence du virus. A côté des inévitables cohortes qui montrent la dure réalité des risques cardio-vasculaires, des cancers, des atteintes neurologiques nettement accrues chez les séropositifs, il faut noter un exposé particulièrement complet de Jacqueline Capeau (Faculté de médecine Saint-Antoine, Paris) sur les progrès dans la compréhension des lipodystrophies. Cela lui vaut d’ailleurs d’être très sollicitée pour présenter à nouveau ce remarquable travail de synthèse comme nous n’avons pas manqué de le faire lors de notre récente RéPI (Réunion Publique d’Information).transmission materno-fœtale, pédiatrie
Les essais de réduction de la transmission mère-enfant se poursuivent principalement dans les pays en développement où la mise sous traitement n’est de loin pas la règle comme on le sait si bien. Mais cela présente des inconvénients majeurs dans ce type de traitement à court terme. En particulier, diverses études montrent bien maintenant le risque non seulement de développement de résistances aux produits employés chez la mère traitée pour l’accouchement, l’AZT et la névirapine, mais aussi de transmission de ces souches résistantes à l’enfant lorsqu’il est contaminé. Le principal problème posé est que ces produits plus répandus que d’autres dans les pays pauvres ne seront plus utilisables pour soigner les personnes ainsi devenues résistantes. Il est clair, par ailleurs, que l’allaitement naturel des enfants est aussi une source de contamination, y compris par les souches éventuellement résistantes, et ce d’autant plus que la mère a un système immunitaire dégradé. Cependant, les résultats montrent que cette voie de transmission donne heureusement moins de cas qu’on aurait pu le craindre.coinfection VIH et hépatites
L’originalité en la matière a été apportée cette année avec ce résultat surprenant : l’infection par le virus GBV-C dit virus de l’hépatite G confère au porteur séropositif au VIH une certaine protection. Les études présentées montrent que la mortalité est moindre chez ces coinfectés. Il s’avère cependant que ce virus « protecteur » n’infecte pas longtemps son porteur, notre système immunitaire nous en débarrasse assez facilement. Dans le domaine de la coinfection VIH-VHB, un intérêt certain se porte actuellement sur le Ténofovir DF. En effet, cet agent anti-VIH nouveau est actif contre le VHB. Des études complémentaires sont en cours. Une autre présentation a permis d’apprendre que la morphine réduit l’effet des thérapies à l’interféron chez les personnes coinfectées VIH-VHC ainsi que l’effet naturel des lymphocytes CD8 qui sont la principale réponse immunitaire à l’infection virale.vaccins
Décidément, les recherches sur les vaccins sont difficiles et avancent très lentement tant le VIH est variable et échappe facilement aux stratégies vaccinales testées. La dernière en date consiste à se baser sur les anticorps naturels produits par les personnes infectées et à produire des substances vaccinales avec une technique qui pourrait s’apparenter à la prise d’empreintes. Ainsi, on « moule » l’anticorps pour produire un antigène servant de vaccin afin que la personne vaccinée puisse en fabriquer un anticorps. Reste à savoir si cette technique ne risque pas d’être à nouveau battue en brèche : il nous a été expliqué la course folle des anticorps produits par nos défenses immunitaires et les mutations du virus pour y échapper. Il semble que cette poursuite est sans fin. A chaque progrès du système immunitaire le virus répond par une mutation, parfois même très petite, qui lui permet d’échapper à la vigilance de nos défenses.résistances
Certaines mutations du VIH diminuant sa capacité réplicative, il n’y a pas que du négatif à avoir un virus résistant et un traitement moins efficace. Ainsi, l’apparition de certaines mutations dont la plus célèbre est baptisée M184V peut réduire la capacité réplicative du virus jusqu’à moins de 30%. L’apparition de résistances est fonction des traitements, du suivi régulier de ces traitements mais aussi de la variabilité des virus (dit polymorphisme génétique). La coinfection par deux souches VIH différentes a été étudiée par une équipe suisse auprès d’usagers de drogues intraveineuses. On note dans les résultats que tous, asymptomatiques à long terme, se sont retrouvés avec une perte accélérée de CD4 et une charge virale galopante due à une surinfection liée à une deuxième contamination par un virus différent. Cela permet de rappeler que la surinfection est dangereuse et que les relations sexuelles non protégées entre séropositifs exposent à ce risque. Ce résultat pourrait être tempéré par un autre dans le domaine de la transmission de virus résistants : il apparaît que les virus résistants se transmettent plus difficilement que les virus sauvages.stratégies de traitement
Les interruptions de traitement étaient évidemment au cœur des présentations de stratégies thérapeutiques. Pour ce qui est de la mise sous traitement des personnes en phase de primo-infection, les résultats donnés par la cohorte Primo ou l’essai Primstop (ANRS 100) semblent confirmer qu’il est réaliste de recommander un traitement plus tardif, comme le conseille le rapport Delfraissy. Tout au plus faudra-t-il encore attendre cet été, à la conférence de Paris, les résultats de l’étude Interprim pour savoir si l’usage d’interleukine 2 améliore ces résultats. Une étude a particulièrement capté l’attention des congressistes de Boston, puisqu’elle comparait traitement continu, interruption et reprise basée sur le nombre des CD4 et interruptions régulières, une semaine avec, une semaine sans. Le meilleur résultat est sans conteste celui de la stratégie de reprise basée sur l’immunité. En effet, si chez ces malades, le compte des CD4 est au final plus bas que chez les autres, dû à la technique employée, en revanche il ne s’avère pas plus dangereux (minimum d’échecs) et reste celui qui soumet les malades à la plus petite quantité de médicaments (33%). Seule originalité de cet essai : conduit en Thaïlande, la difficulté majeure a été d’ordre psychologique. Il s’agissait de faire comprendre aux patients surpris l’intérêt d’arrêter leur traitement, eux pour qui c’était une chance d’avoir pu en obtenir un. Une autre étude a été menée en collectant des données sur 1784 personnes incluses dans 13 études de cohorte de nombreux pays. Tous les malades inclus étaient en échec de traitement avec une charge virale mesurable depuis au moins 4 mois. Les observations rapportées par cette étude permettent de savoir quelle est la meilleure conduite à tenir dans ce cas. Or, si l’on constate que la disparition des CD4 est d’autant plus rapide que la charge virale est élevée, cette diminution est moindre sous traitement qu’en absence de traitement et ce, malgré des résistances parfois fortes du virus aux médicaments pris. Cela s’explique par la perte d’efficacité du virus muté par rapport à un virus qui n’est pas soumis à la pression des antiviraux. Cela a d’ailleurs conduit certains cliniciens à étudier la possibilité d’employer des allègements de traitement dans le but de maintenir le virus dans un état amoindri par des mutations. Quelques résultats sont encore à attendre, comme notamment ceux de l’essai ANRS Vista. La controverse a fait rage entre l’étude californienne CPCRA064 de J. Lawrence et les résultats de l’essai Gighaart de Christine Katlama. Refusée l’année dernière, la clinicienne a pu partager ses résultats, cette année. Rappelons qu’il s’agissait de montrer l’intérêt qu’il y a ou non à utiliser une interruption de traitement avant un traitement dit de sauvetage, c’est à dire chez des malades totalement en impasse thérapeutique. On voit aussitôt la perfidie des organisateurs puisque les résultats de Gighaart sont contradictoires avec ceux de l’étude californienne : cette dernière considère l’interruption comme délétère tandis que l’autre recommanderait plutôt cette stratégie. Un certain nombre de choses permettent d’expliquer ces différences de résultat. Principalement, le peu de bénéfice et la perte en nombre de CD4 dans le premier essai sont probablement dûs au fait que les malades en avaient encore à perdre (inclusions à 180 CD4 en moyenne) tandis que ceux de Gighaart ne risquaient plus grand chose de ce côté-là (26 CD4 en moyenne). L’autre différence est le traitement de sauvetage employé qui est réellement plus puissant dans Gighaart avec une moyenne de 7 médicaments.internet
Comme toujours, les anglophones qui veulent poursuivre leurs investigations sur cette passionnante conférence peuvent consulter son site internet à l’adresse http://www.retroconference.org