Nous, femmes et hommes venus de toute la gauche (associative, mutualiste, syndicale, politique, culturelle) tenons à déclarer en cette veille d’élections législatives :
On n’insistera jamais assez sur l’ampleur du signal qui vient d’être donné le 21 avril. Signal qui se répète bien au-delà de nos frontières nationales. Ce sont les aspects les plus fondamentaux, jusqu’ici les moins interrogés, du fonctionnement démocratique de nos sociétés qui ne répondent plus aux exigences contemporaines. La fonction politique ne peut plus demeurer en l’état pas plus que celle des mouvements sociaux : aux politiques, le pouvoir en surplomb ; aux autres, les contre-pouvoirs ; et à chacune et chacun d’entre nous, aucune capacité d’intervention propre, directe, continue sur chacune des scènes de nos vies. Ce modèle n’est plus viable. Il y a une crise profonde du politique, de la façon dont on pratique la politique, de la démocratie. La droite républicaine est aussi concernée que la gauche. Mais la gauche l’est particulièrement, d’autant plus que partout en Europe les gouvernements sociaux-démocrates qui étaient majoritaires reculent devant les populismes et l’extrême droite faute d’avoir offert des solutions alternatives à la mondialisation néo-libérale.
Une mobilisation de toute la gauche et particulièrement de la jeunesse a écarté le risque désastreux de l’aventure Le Pen. C’est parce que nous y avons pris part pleinement que nous disons fermement que nous ne pouvons en rester à ce seul refus antifasciste.
Nous n’attendons rien d’un gouvernement de droite qui flatte toutes les démagogies sécuritaires, fiscales, souverainistes et qui caresse les électeurs du Front National dans le sens du poil contre les jeunes, les immigrés les quartiers populaires, contre les valeurs de libération issues de mai 68, en se repliant sur des conceptions régressives de la famille, de la discipline, de la nation. Jacques Chirac nous paraît ainsi, en quinze jours, faire autant de cas des 25 millions de voix qui l’ont fait président, qu’il n’en a fait de la fracture sociale au début de son précédent mandat. C’est pourquoi, nous appelons sans ambiguïté à battre la droite aux législatives. Il en va des espaces des libertés publiques pour toutes et tous, et tout spécialement pour les minorités, il en va des volontés de transformation profonde civile et fraternelle de la société.
Mais nous savons aussi que quel que soit le résultat des élections législatives, la gauche ne retrouvera sa route et le coeur des citoyens que si elle mesure pleinement l’étendue de la tâche et qu’elle fait sienne un changement radical de posture. Les comportements d’états-majors, de tractations de sommet, de pratique politique en décalage avec les discours tenus après le 21 avril, déçoivent la demande exprimée par les manifestations du premier mai et les innombrables forums et groupes de discussion qui surgissent un peu partout.
Il y a une vraie crise de la représentation politique (y compris sur le plan institutionnel de la 5° république). S’y ajoutent une crise sociale et une crise culturelle ; les mouvements sociaux, associatifs et culturels ne sont pas pris au sérieux dans leur volonté et leur capacité de refondre le politique dans toutes ses dimensions. L’insécurité sociale sous les formes les plus variées nourrit un désarroi chez ceux qui ont l’impression qu’on les abandonne et que les institutions politiques ne sont pas faites pour eux ou au mieux se servent d’eux. Cette insécurité sociale ne se règlera pas par davantage de prison, plus de policiers (la France détient déjà le record d’Europe en la matière) ou par des balles en caoutchouc. Une nouvelle génération est en train de se lever. Elle ne veut ni de l’état de guerre permanent sous houlette américaine, ni de l’insécurité écologique et sociale de la planète toute entière.
La gauche a désormais l’obligation d’inventer des contenus clairs et de les proposer au pays sur des questions comme la forme de vie que nous voulons, les valeurs et les différences qui renforcent notre pouvoir d’agir, l’Europe pour laquelle nous nous engageons, ce que nous mettons derrière les mots de communauté nationale…
La gauche doit faire advenir les nouveaux droits sociaux et culturels qui seuls peuvent rendre la vie de la cité vivable.
Elle doit activer un débat constituant sur les changements institutionnels fondamentaux qui rendraient la vie politique attentive aux mouvements de la société et créerait les conditions permanentes d’une démocratie pleinement participative.
Elle doit préciser la nature de la sécurité que nous devons atteindre en matière de santé, d’environnement, d’éducation, d’accès aux nouvelles technologies, de revenu, d’emploi, de logement, de retraite, bref de développement véritable des personnes.
La droite escamote ces questions en réduisant la sécurité au problème de la défense des biens et à la stigmatisation des couches populaires et de la jeunesse.
Rien n’est plus démagogique que d’osciller entre la critique absolue et stérile de la classe politique et le blanc seing passif. C’est pourquoi nous ne nous en remettrons pas à nos représentants « naturels », nous ne nous contenterons pas de leur demander passivement de nous « entendre ».
Nous appelons nos concitoyens à ne pas laisser se refermer les espaces de débats et d’initiatives ouverts dans la foulée des élections présidentielles et à en créer de nouveaux. Dans leur existence, ces initiatives sont constituantes. Sans elles, la gauche n’est pas toute la gauche et n’est plus vraiment la gauche.
C’est pourquoi nous proposons à tous ceux qui se réunissent et discutent en ce moment de faire connaître leurs contributions sous les formes de leur choix. Pour notre part, nous nous engageons à organiser un premier banquet constituant le 7 juin. Il servira à collecter, relier, faire circuler toutes ces propositions qui seront disponibles sur le site www.toutelagauche.org. Bref à inaugurer un réseau qui organisera une grande rencontre à Paris le 30 juin.
Paris le 24 mai 2002
Pour toute information complémentaire, rendez-vous sur le site www.toutelagauche.org
Premiers signataires :
revues Chimères, Mouvements, Multitudes, Regards, Transversales, Vacarme;
Act Up-Paris, Clémentine Autain, Francine Bavay, Alain Bertho, Patrick Braouezec, Robert Castel, Roland Castro, Monique Chemillier-Gendreau, Michel Deschamps, Pierre Duharcourt, Geneviève Fraisse, Jacques Généreux, François Gèze, Michel Laurent, Daniel Lescornet, Marie-Noëlle Lienneman, Noël Mamère, Roger Martelli, Philippe Mangeot, Jérôme Martin, Emmanuel Maurel, Gustave Massiah, Philippe Merlant, Arnaud Montebourg, Eric Montès, Yann Moulier-Boutang, Gérard Paquet, Victoire Patouillard, Stéphane Pocrain, Michèle Riot-Sarcey, Jacques Robin, Dominique Taddéi, Christiane Taubira-Delanon, Catherine Tricot, Pierre Vidal-Naquet, Patrick Viveret, Dominique Voynet, Gilles Vrain, Gilbert Wasserman