Ce contenu a 26 ans. Merci de lire cette page en gardant son âge et son contexte en tête.

Lundi 14 décembre, Act Up-Paris a rencontré le laboratoire Dupont-Pharma représenté par Alain Araguès, son président, Valérie Grégoire, médecin produits VIH, et Bruno Baconnet, directeur médical et du développement. Suite à un courrier que nous leur avions adressé comportant un certain nombre de questions très précises, ils se sont efforcés de répondre à nos interrogations avec un apparent souci de transparence et de clarté auquel nous ne serons pas restés insensibles.

Voici, donc, pour les principaux effets secondaires, les délais d’apparition et de disparition qu’ils ont constatés à partir de l’ATU de cohorte – regroupant 3444 patients, parmi lesquels 628 ayant subi des effets secondaires, dont 226 touchant le système nerveux central :

– vertiges et ébriété : sur 78 personnes, les effets apparaissent en moyenne après 2,7 jours, et se prolongent 1,8 jours pour ceux qui arrêtent leur traitement, contre 22 jours (de 1 jour à 91 jours) pour ceux qui persistent. Cela voudrait dire qu’il faut tenir bon les trois premières semaines, et si possible commencer le traitement dans de bonnes conditions (un vendredi soir, ou en congé maladie).

– troubles du sommeil : ils apparaissent après 5,2 jours et disparaissent après 32,4 jours. Au bout de 22 jours, tout porte à croire que les personnes n’ayant ressenti aucun trouble de ce type n’en ressentiront pas durant la poursuite du traitement.

– Aucun chiffre ne nous a été donné sur les délais d’apparition et de disparition des crises d’angoisse, de l’irritabilité, ou des hallucinations (rares) ; d’après ce que nous avons constaté, elles surviendraient après 15 jours de traitement. En aucun cas le fractionnement des doses ou leur aménagement (par exemple leur prise « en cascade », augmentation progressive des doses) ne réduit ces effets secondaires. Cette pratique est donc à éviter, d’autant qu’en sous-dosage le Sustiva ne couvre pas la mutation K103N du virus.

Ces données ont donc confirmé ce que nous avions remarqué, à travers l’appel à témoin. Act Up a fait alors plusieurs propositions, auxquelles a souscrit le laboratoire – mais dont il aurait dû être à l’initiative depuis au moins un mois.

D’abord, qu’il fasse pression sur l’Agence du Médicament afin que la lettre d’information soit remise à jour. Ensuite, qu’il finance des essais au cours desquels seront pratiqués des dosages de neurotransmetteurs, afin d’établir si oui ou non le Sustiva perturbe leur équilibre, ainsi que des études sur les interactions du Sustiva avec les médicaments agissant sur le système nerveux central, entre autres les anxiolitiques.

Enfin, que les patients souffrant de troubles du système nerveux central soient regroupés en une cohorte spécifique, afin d’être suivis avec plus de soins qu’ils ne l’ont été jusqu’à présent, d’être mieux informés et mieux encadrés. Pour sa part, le laboratoire a annoncé une réunion d’experts (cliniciens, neurologues et psychiatres) pour janvier, puis une réunion de consensus pour février, à partir de laquelle seront formulées des recommandations. La mise sur le marché du Sustiva est prévue pour avril ou mai 99.


Historique de l’intox au sustiva.

Outre les témoignages dans notre entourage, de nombreux malades nous ont appelés pour témoigner de leur difficulté à suivre un traitement comportant du Sustiva : ébriété, ivresse, vertige, rash – des effets secondaires que le laboratoire avait effectivement annoncé – mais aussi – surprise – crises d’angoisse terribles, « à se taper la tête contre les murs », hallucinations (rares), speed, insomnies chroniques, pensées suicidaires, et cauchemars d’une violence telle que les malades craignaient de dormir ou même de s’assoupir.

En fait, la surprise n’en était pas vraiment une. Dès septembre, le laboratoire avait communiqué au groupe interassociatif TRT5 les données émanant des ATU (Autorisation Temporaire d’Utilisation) nominative et de cohorte, témoignant effectivement de troubles du système nerveux central. Mais ces informations recueillies directement auprès des premiers patients traités n’étaient, semble t-il, pas suffisamment significatives à l’époque pour permettre de tirer des conclusions précises et informer l’ensemble des malades.

Par contre, dès le 12 novembre, le laboratoire communiquait plus précisément sur la base d’un essai mené à terme fin octobre, incluant 413 malades sous Sustiva contre 297 en bras contrôle : 54% des malades sous Sustiva présentaient des troubles du système nerveux central contre 27% dans le bras contrôle. Les chiffres ne laissaient plus entrevoir de doute. Pour autant si le laboratoire semblait soucieux de faire circuler ces informations, les malades n’ont toujours pas été averti, la feuille d’information de l’ATU de cohorte (que chacun reçoit avec ses premiers cachets de Sustiva) n’a pas été modifiée par l’Agence du Médicament.

Que le Sustiva soit une molécule prometteuse et efficace, personne à ce jour ne peut le nier. Que nous soyons exposés à de mauvaises surprises en ayant recours à ce traitement avant l’Autorisation de Mise sur le Marché, c’est un risque que nous prenons lorsque nous ne pouvons plus attendre et qu’il nous faut une alternative thérapeutique. Nous nous sommes, en effet, battus pour que par le biais des ATU le laboratoire et l’Agence du Médicament permettent l’accès aux traitements nouveaux le plus rapidement possible pour les malades qui en ont besoin.

En revanche, à partir du moment où des troubles du système nerveux central ont été constatés, qu’aucune information ne soit faite en direction des malades – une information qui, selon la loi, transite obligatoirement par l’Agence du Médicament – est impardonnable.

Or, l’Agence du médicament n’a pas modifié la feuille d’information de l’ATU de cohorte ; alors que chez Dupont-Pharma on prétend pourtant avoir insisté en ce sens auprès d’elle.

Ainsi, les patients qui ont accédé au Sustiva par l’ATU de cohorte n’ont-ils jamais été informés de ce que leurs troubles étaient effectivement dûs à ce produit. Quant aux patients mis sous traitement par le biais de l’ATU nominative – dès le mois de juin, avant même que la feuille d’information incomplète ait été rédigée – ils n’ont évidemment été avertis de rien. Ce sont donc les malades qui ont payé le prix de cette lenteur à réagir. Et ce n’est que par le bouche à oreille que certains ont été prévenus des effets secondaires du Sustiva et ont pu alors être plus vigilants vis-à-vis de ce traitement.