Le texte publié ci-dessous, signé par trois associations de lutte contre le sida, était initiallement destiné à un quotidien. Comme il concerne une mesure prise dans le cadre de la Loi sur la Sécurité Intérieure, qui doit être rediscutée en Commission Mixte Paritaire au Sénat demain mardi 4 février, il a été directement adressé aux parlementaires concernés.
Le 16 janvier dernier, l’Assemblée Nationale a imposé à toute personne suspectée de viol un test de dépistage du VIH. L’Académie de Médecine est à l’origine de cette mesure. Soumise au vote des députés dans le cadre de la loi sur la sécurité intérieure, cette disposition a été adoptée par la majorité UMP, mais aussi par certains socialistes. Soyons clairs : il s’agit d’une mesure abjecte qui prend les victimes de viol comme alibi pour criminaliser la séropositivité et remettre en cause le principe de volontariat qui fonde la politique de dépistage depuis 20 ans d’épidémie.
En cas d’exposition à un risque (relations sexuelles non protégées, rupture de préservatifs, exposition sanguine), il est possible de prendre un traitement antirétroviral pour éviter une contamination au VIH. Le traitement doit commencer rapidement : au plus tard sous 48 heures après la prise de risques, au mieux avant 4 heures. La thérapie dure 30 jours.
Après un viol, une des urgences pour la victime est de prendre ce traitement le plus tôt possible après l’agression, et pendant un mois, pour éviter une contamination au VIH. Ce traitement est contraignant et lourd d’effets indésirables. Eviter aux victimes de viol cette thérapie, tel est l’argument défendu par l’Académie de Médecine, et relayé par les députés, pour justifier qu’on impose à une personne suspectée de viol un test de dépistage : si ce test était négatif, la victime pourrait arrêter de prendre le traitement.
Mais une connaissance de base sur le VIH, sur la fenêtre de séroconversion ou sur les délais de prise du traitement suffit pour montrer que cette mesure n’aide en rien les victimes et ne permet en aucune façon de décider de l’arrêt de la thérapie. Par ailleurs, cette mesure transgresse un principe éthique essentiel à la lutte contre le sida : l’accès volontaire au dépistage. Dans un avis sur la question rendu public le 16 décembre 2002, le Conseil National du Sida le rappelle : «On ne saurait aller jusqu’à imposer un dépistage sous la contrainte physique, contraire à tous les principes d’éthique et de droits internationaux et à toutes les règles de déontologie médicale». Un crime aussi grave qu’un viol ne saurait justifier que l’on transgresse de tels principes.
Il est affligeant de voir des médecins défendre un tel dispositif, au mépris des connaissances sur le VIH et des règles primaires de déontologie. Il est désespérant de voir des députés de droite comme de gauche adopter une mesure qui depuis 10 ans n’avait été défendue que par le Front National.
Où étaient toutes ces personnes, quand, en 1996, nous avons lutté pour que l’accès aux traitements d’urgence, jusqu’alors réservé au seul personnel de santé, soit étendu à toutes les situations à risques, dont le viol ? Comment les députés osent-ils prétendre aider les victimes quand, depuis des mois, ils n’ont eu de cesse de diminuer les subventions publiques allouées aux associations travaillant dans le médico-social ?
L’Académie de Médecine et les députés se moquent de la prise en charge des victimes de viols. C’est bien la criminalisation de la séropositivité qui est visée. Les défenseurs de cette mesure entretiennent une confusion systématique entre l’auteur d’un viol et une personne suspectée, donc présumée innocente. Diagnostiquer le statut sérologique d’une personne suspectée de viol, et qui en est innocente, ne peut en rien servir la prise en charge des victimes. Cette confusion n’a donc qu’un but : faire de la séropositivité un motif aggravant du viol. En ce sens, la comparaison avec les tests ADN qu’il est possible de pratiquer sur des suspects est révélatrice des intentions réelles d’une telle mesure. Cette comparaison a été faite par l’Académie de Médecine comme par les parlementaires. Elle est plus qu’inquiétante: les tests ADN sont pratiqués pour confirmer ou infirmer l’innocence d’un suspect. Le test de dépistage du VIH n’a rien à voir avec la culpabilité ou l’innocence d’une personne accusée de viol. Là encore, cette confusion permet de faire de l’infection à VIH un motif d’aggravation pénale.
Mais sur ce sujet, laissons le professeur Henrion, de l’Académie de Médecine, s’exprimer. On peut le lire dans Le Monde, daté du 18 janvier 2003 : «Il serait logique qu’un violeur conscient de sa séropositivité soit sanctionné par des peines plus lourdes». Si on suit cette «logique», il faudrait accorder des circonstances atténuantes à un violeur qui prend la peine de mettre un préservatif. On voit bien à quel point la logique de l’Académie de Médecine est obscène.
La porte est donc ouverte à la criminalisation de la séropositivité. Les conséquences en matière de discrimination des personnes sont incalculables. Elles seront tout aussi dramatiques sur le plan sanitaire. Si le seul fait de connaître sa séropositivité est un motif de crime, autant ne rien faire pour connaître son statut sérologique. C’est toute la politique de dépistage, que le Ministère de la Santé a pourtant promu en décembre dernier, qui est remise en question.
Henrion, l’UMP et quelques députés socialistes ont pris les victimes de viol comme alibi pour criminaliser la séropositivité. Ces gens insultent les personnes violées en leur faisant croire à une amélioration de leur prise en charge et menacent directement les personnes atteintes du VIH. À tous, il faut le leur rappeler : le sida n’est pas une arme, c’est une maladie.