Catherine Kapusta, membre de la commission Femmes d’Act Up-Paris, a été l’invitée de la semaine de L’Humanité au lendemain du 1er décembre. Cet article a été publié le mercredi 4 décembre 2002.
«Il y a deux semaines, le ministre de la Justice, Dominique Perben, proposait devant l’Assemblée nationale d’introduire dans une prochaine loi l’obligation d’un test de dépistage du sida, pour les personnes reconnues coupables d’agressions sexuelles. Chaque fois qu’un homme (politique en plus, et issu de la droite dure) décide d’employer les grands moyens pour protéger les victimes, féminines de surcroît, la scène me laisse perplexe. Mais cette fois, elle me plonge dans l’horreur. Je suis une femme et je suis séropositive. Deux choses qui font que je devrais comprendre mieux que quiconque la douleur et la rage dans lesquelles peuvent être plongées les femmes violées. Et pourtant il m’est impossible d’accepter, de cautionner une idée pareille. Parce que je suis séropositive, la simple idée que l’on qualifie de délit la contamination par le VIH me terrifie. Pourquoi pas, après, aller encore plus loin, et punir les personnes suspectées d’avoir transmis le VIH alors qu’elles se savaient séropositives ? D’où parlent-ils, ces gens qui voient dans le sida une arme, alors que nous essayons de survivre avec une maladie ? En somme, il faudrait que je choisisse entre une traîtrise envers ces femmes qui ont été violées, et une traîtrise envers les séropositifs. Comment se sortir de ce genre de choix ? Ce serait sans compter avec la perversité de ces propositions législatives. Le Garde des Sceaux invoque un souci de «santé publique», des associations de victimes avancent que l’imposition de ce test est nécessaire «en particulier pour éviter aux enfants [victimes de viol] des traitements très lourds». Mais nous, qui nous sommes battus pour que chacun et chacune puisse avoir accès aux traitements, dits «prophylactiques», susceptibles d’empêcher la contamination s’ils sont administrés dans les 48h après une exposition au VIH, savons bien que ce n’est pas vrai. Non seulement parce qu’il faudrait, pour pouvoir épargner ce traitement très lourd à la victime, que le violeur soit à la disposition de la justice, mais parce qu’en plus, il faudrait faire abstraction de «la fenêtre de séroconversion» pendant laquelle le virus est indétectable. Quand on sait par ailleurs que les personnes suspectées qui sont à la disposition de la justice dans le délai nécessaire consentent presque toutes au dépistage, et que les tribunaux tiennent compte, déjà, de la circonstance aggravante que constitue la contamination par une maladie sexuellement transmissible, on se prend à douter. Dominique Perben semble bien avoir avant tout un souci de répression. Une fois de plus, au nom de la soi-disant protection des victimes, on prend des mesures sécuritaires et criminalisantes. Hypocrisie. Tout cela ne change rien pour la victime, pour qui on ne parle pas plus de soutien que de prise en charge. Faudrait-il que je revienne sur des certitudes que j’ai en disant «ni coupable, ni victime» ? Lorsque je suis avec des femmes séropositives, ces mots prennent alors une autre dimension. Si j’essaie de me mettre à la place d’une femme qui vient d’être violée, c’est toute la dimension du mot, domination, qui me saute de nouveau à la figure.»