Act Up-Paris et les autres associations membres du TRT-5 ont formulé les commentaires et les amendements suivants, regroupés en trois grands thèmes :
– Le renforcement des droits des personnes dans la recherche. Cela demande une information plus complète et de meilleure qualité avant, pendant et après l’inclusion dans un essai thérapeutique. Les bénéfices individuels doivent par ailleurs être optimisés au cours et à l’issue de la recherche ;
– l’amélioration de la protection des personnes incluses dans la recherche. La loi doit couvrir toutes les recherches biomédicales, y compris les recherches dites « non-interventionnelles ». En cas de recherche sensible, l’évaluation éthique d’un protocole est nécessaire tout au long de la recherche et pas seulement avant son initiation ;
– l’amélioration de la transparence de la recherche biomédicale vis-à-vis du grand public et des associations. Dans un domaine aussi sensible que celui de la recherche biomédicale, la transparence est vitale. L’opacité ne peut qu’entraîner suspicion et défiance
Commentaires et propositions sur le projet de révision de la loi Huriet
1. Le bénéfice pour les personnes incluses dans la recherche doit primer les intérêts de la science et de la société (Appel à la vigilance pour le maintien de l’art L. 1121-2)
Proposition
Nous sommes extrêmement favorables à l’alinéa 6 de l’article L. 1121-2 précisant que « L’intérêt des personnes qui se prêtent à une recherche biomédicale prime toujours les seuls intérêts de la science et de la société ».
Exposé des motifs
Le projet de loi supprime la distinction entre les recherches avec bénéfice individuel direct (BID) et les recherches sans bénéfice individuel direct (SBID). Nous ne sommes pas opposés à la suppression de cette distinction car l’existence d’un bénéfice dans les essais qualifiés de « avec Bénéfice Individuel Direct » est difficile à évaluer, et varie selon le bras de traitement. Cependant, la suppression de cette distinction ne doit pas aller de pair avec un affaiblissement de la qualité de la prise en charge dans les essais. Bien souvent, dans les pathologies graves sans alternatives thérapeutiques, participer à la recherche est le seul moyen d’avoir accès aux soins. Cette dimension de la recherche ne doit pas être niée, non plus que l’aspiration légitime des personnes qui se prêtent à des recherches de voir leur prise en charge améliorée. C’est pourquoi il est extrêmement important de préciser que « l’intérêt des personnes qui se prêtent à une recherche biomédicale prime toujours les seuls intérêts de la science et de la société ».
De plus, cet alinéa ne peut être supprimé sous peine de contredire la convention d’Oviedo (Convention européenne sur Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine).
Exemple
L’essai Resist 2 est un essai de phase III de la molécule tipranavir développée pour les personnes séropositives au VIH en échec thérapeutique. Nous avons obtenu du laboratoire Boehringer que les personnes du groupe contrôle puissent bénéficier du médicament 8 semaines après le début de l’essai si le traitement du bras contrôle ne se révélait pas assez efficace, contre un délai de 16 semaines prévu initialement. Cette modification du protocole n’était pas nécessaire pour des raisons scientifiques, mais l’était pour des raisons éthiques.
Commentaire
Nous demandons aux parlementaires de veiller au maintien de l’alinéa n°6 de l’article 1121-2. Nous demandons que le décret d’application de la loi prévoie que le CPP évalue le caractère optimal de la prise en charge proposée dans chaque bras de traitement, et qu’un bénéfice insuffisant soit un motif de refus du protocole.
2. La loi doit prévoir la participation des associations aux Comités de protection des malades
(Proposition d’amendement à l’art L. 1123-2)
Proposition
Nous demandons que les associations représentant les patients fassent partie intégrante des CPP et que la composition des CPP, incluant les associations, soit mentionnée dans la loi.
Exposé des motifs
La participation des associations au travail d’évaluation des CCPPRB->mot531, qui était possible, mais n’était pas mentionnée explicitement, dans la loi Huriet de 1988, a été jusqu’à présent inexistante. Pourtant, l’évaluation d’un projet de recherche, notamment dans sa dimension éthique, ne peut être complète sans la perspective des premiers concernés : les patients. Par ailleurs, la [loi sur les droits des malades du 4 mars 2002 a mis les patients au cœur du système de santé, et a reconnu leur rôle primordial. La loi sur la recherche biomédicale ne peut être en contradiction ou en retrait par rapport à la loi du 4 mars. Enfin, les CPP changeant de statut pour devenir des autorités administratives, leur composition doit être inscrite dans la loi.
Exemple
Le TRT-5 a obtenu en 2001, après une longue mobilisation, l’interdiction de l’essai ARDA, qui prévoyait pour les patients inclus une anesthésie générale (dont on connaît les risques) pour les besoins de la recherche, dans une étude sans bénéfice individuel direct. Le CCPPRB avait pourtant accepté l’essai ; la Direction générale de la santé (DGS), manquant de vigilance, ne s’était pas opposée à sa mise en place. Sans l’intervention des associations, cet essai inacceptable aurait eu lieu. La participation des associations au CCPPRB aurait sans doute permis d’éviter une tel dysfonctionnement, et cet avis favorable incompréhensible.
3. Une meilleure évaluation par le CPP de la protection des droits des patients
(Propositions d’amendement à l’art L-1123-7)
A) L’information sur les modalités de prise en charge au terme de la recherche doivent être explicitées
Proposition, exposé des motifs, exemple : voir ci-dessous le point 4 intitulé « les modalités de prise en charge au terme de la recherche doivent être évaluées ».
B) L’intelligibilité de la notice d’information au patient et du formulaire de consentement doit être évaluée
Proposition
Nous souhaitons que l’intelligibilité de la notice d’information patient et du formulaire de consentement éclairé soit évaluée par le CPP.
Exposé des motifs
Le consentement éclairé des personnes incluses dans la recherche est un élément essentiel sans lequel la recherche ne peut être considérée éthique. Mais le consentement ne peut être « éclairé » que si l’information donnée aux personnes dans la notice d’information patient est intelligible.Pourtant, bien souvent, les notices d’information ne sont que du « copié-collé » du protocole ; les termes employés sont ceux des médecins et non ceux des malades et du grand public. C’est pourquoi nous demandons que l’intelligibilité de l’information donnée soit évaluée par le CPP au même titre que sa pertinence et son exhaustivité.
Exemple
Cet extrait d’une notice d’information patient pour un essai portant sur le Sarcome de Kaposi (SK), dont nous avons eu connaissance en janvier 2002, est éloquent : « Le mécanisme physiopathologique du SK implique une prolifération endothéliale vasculaire et une formation rapide de nouveaux vaisseaux sanguins (la néoangiogénèse). Les métalloprotéïnases sont des enzymes favorisant le développement de nouveaux vaisseaux sanguins et donc l’extension des lésions tumorales. Les MMP-2 et MMP-9 sont des métalloprotéinases très impliqués dans la néoangiogénèse du SK. »
C) La création de comités indépendants doit être inscrite dans la loi
Proposition
La création de comités indépendants doit être inscrite dans la loi.
Exposé des motifs
Certaines recherches particulièrement sensibles supposent une vigilance éthique quasi-quotidienne. Les comités indépendants, qui existent déjà mais dont l’existence n’est pas inscrite dans la loi, ont pour mission d’étudier régulièrement les données au cours de la recherche. Le comité indépendant peut ainsi être amené à stopper ou amender une recherche si, par exemple, un bras de traitement se révèle plus efficace qu’un autre, ou si un médicament testé provoque des effets indésirables graves. Le comité indépendant, comme son nom l’indique, est composé de personnes totalement indépendantes de l’investigateur et du promoteur.
Exemple
L’essai Gighaart évaluait l’efficacité d’une gigathérapie (entre 7 et 9 médicaments) précédée d’une période d’interruption de traitement de 8 semaines chez des personnes en échec thérapeutique séropositives au VIH. L’essai a été arrêté avant son terme car le traitement « Gighaart » était bien supérieur au traitement classique. Pour des raisons éthiques, l’essai ne pouvait continuer d’inclure des personnes dans le bras le plus défavorable. Un comité indépendant a permis de mettre en évidence ces données avant la fin de l’essai.
4. Les modalités de prise en charge au terme de la recherche doivent être évaluées
(Proposition d’amendement à l’art L. 1122-1-4°)
Propositions
Les modalités de prise en charge au terme de la recherche doivent être précisées dans la notice d’information au patient, dès lors qu’une telle prise en charge est nécessaire dans l’intérêt des personnes incluses ; et non seulement « le cas échéant », c’est-à-dire lorsqu’elle a été prévue par le promoteur. Par ailleurs, les modalités de prise en charge en cas d’arrêt prématuré de la recherche et en cas d’exclusion doivent aussi
Exposé des motifs
Les modalités de prise en charge des personnes en fin de recherche, en cas d’arrêt prématuré de la recherche ou en cas d’exclusion sont très rarement mentionnées dans la notice d’information au patient, et sont d’une manière générale peu anticipées par les promoteurs et investigateurs de recherches. Ceci est particulièrement problématique pour les essais qui évaluent de nouveaux médicaments dans une pathologie sans alternative thérapeutique (comme l’échec thérapeutique dans le VIH) : entrer dans un essai est alors le seul moyen d’avoir accès à une prise en charge. L’absence de prise en charge au terme de la recherche, en cas d’arrêt prématuré de la recherche et en cas d’exclusion pose des problèmes éthiques graves. C’est pourquoi ces aspects doivent être précisés dans la notice d’information au patient et évalués par le CPP.
Exemples
- L’essai de phase III du DPC 083 de BMS qui portait sur des personnes séropositives au VIH en échec thérapeutique a été arrêté car la molécule présentait un mauvais profil de tolérance. Cependant, quelques personnes la toléraient bien et en tiraient un bénéfice majeur. Quand l’essai a été arrêté, le laboratoire a refusé de continuer à leur fournir le médicament.
- L’essai de phase III SILCAAT qui évalue l’IL-2 chez les personnes séropositives au VIH a été arrêté par le laboratoire Chiron pour des raisons économiques. Le sort des personnes incluses dans l’essai était très incertain et rien ne garantissait la poursuite du traitement.
- En France, 36 personnes en échec thérapeutique avancé ont été incluses dans l’essai de phase III de T-20, puis exclues pour les besoins de la recherche (faute de correspondre aux critères d’inclusion) et non pour raisons médicales. Parmi les personnes exclues, celles qui avaient besoin du médicament pour leur propre santé y ont finalement eu accès plus de 6 mois plus tard sur pression des associations. L’impossibilité d’accès au médicament en cas d’exclusion n’était pas mentionnée dans la notice d’information.
5. Le rendu des résultats individuels doit être envisagé
(Proposition d’amendement à l’art. L. 1122-1-6°)
Proposition
Les personnes incluses dans des recherches ont le droit d’être informées des résultats globaux de la recherche, mais aussi de leurs résultats individuels.
Exposé des motifs
Le droit des personnes incluses à être informées des résultats globaux de la recherche a déjà été inscrit dans la loi sur les droits des malades du 4 mars 2002. Il faut y ajouter le droit pour la personne à obtenir ses résultats individuels quand ils ont une valeur individuelle.
6. Les études non-interventionnelles doivent relever de la loi
(Proposition d’amendement à l’art L. 1121 ‘ 1)
Proposition
Nous proposons que les études non-interventionnelles soient incluses dans le champ d’application de ce projet de loi au même titre que les autres recherches biomédicales : elles en sont pour l’instant exclues par l’alinéa n°2 de l’article L. 1121-1.
Exposé des motifs
Les études non-interventionnelles doivent être soumises au même processus d’évaluation scientifique (voir ci-dessous le point 1) et éthique (voir ci-dessous les points 2 et 3) que les autres recherches. L’exception prévue dans le projet actuel n’est pas justifiée. En effet :
- Dans ce projet de loi, les comités de protection des personnes dans la recherche (CPP) ont des attributions renforcées en matière d’évaluation scientifique des projets de recherche. Les études « non-interventionnelles » doivent être soumises aux mêmes procédures d’évaluation scientifique que les autres projets, et obéir aux mêmes règles de méthodologie, de pertinence scientifique, etc. Sans évaluation par les CPP, aucune instance n’évalue ces projets, ce qui laisse libre champ à une recherche inutile, cachant bien souvent des intérêts commerciaux.
- L’absence d’évaluation scientifique a des implications éthiques : « ce qui n’est pas scientifique n’est pas éthique »[[Jean Bernard, ancien président du Comité consultatif national d’éthique des sciences de la vie et de la santé.]]. Peut-on accepter que des patients perdent leur temps à remplir des questionnaires (d’observance ou de qualité de vie par exemple), que des médecins perdent leur temps à remplir des dossiers, que des milliers ou des millions d’euros soient dépensés, sans que cela aboutisse à un progrès de la connaissance, et donc de la prise en charge des malades ? Les recherches non pertinentes scientifiquement sont un gaspillage que nous ne pouvons cautionner.
- Enfin, une évaluation éthique des projets est nécessaire, parce que le caractère « non-interventionnel » de certaines recherches est sujet à caution. En effet, la mise en place de cohortes « observationnelles » par les firmes pharmaceutiques constitue bien souvent une stratégie permettant d’inciter, par des moyens détournés, les prescripteurs à utiliser de nouveaux médicaments encore mal connus, juste après leur autorisation de mise sur le marché (AMM). Il appartient donc aux CPP de vérifier que ces études sont effectivement « non-interventionnelles » et ne provoquent pas de modification de la prise en charge pour les personnes en amont de leur inclusion.
Exemple
Alertée par le TRT-5, l’Agence du Médicament a demandé au laboratoire Abbott de modifier de façon substantielle la cohorte Kaleobs, mise en place pour étudier l’observance au médicament Kaletra. Cette étude constituait une incitation à la prescription pour les médecins, qui recevaient un Palm Pilot en cadeau quand ils participaient à l’étude. Le risque de voir Kaletra prescrit à une personne pour qui ce médicament ne correspondrait pas à une prise en charge optimale était alors réel.
7.La transparence de la recherche vis-à-vis du public et des associations doit être assurée
(Proposition d’amendement à l’art L. 1121 – 15)
Proposition
La base de données mentionnée doit être accessible au grand public et comporter toutes les données nécessaires à l’information des patients. Toutes les recherches doivent figurer sur cette base de données sans exception à la règle. Enfin, l’autorité compétente doit fournir, à la demande des associations, l’intégralité du protocole de recherche.
Exposé des motifs
Dans un domaine aussi sensible que celui de la recherche biomédicale, la transparence est un principe incontournable. Pour permettre une transparence optimale du processus d’évaluation et d’autorisation des projets de recherche, nous saluons la création d’une base de données française et européenne. Cependant, il n’est pas précisé quelles seront les informations sur cette base de données : nous pensons que cela doit s’entendre notamment de l’intégralité de l’avis des CPP, qui restait jusqu’à présent, dans la configuration CCPPRB , réservé aux autorités compétentes. Toutes ces informations doivent être accessibles au grand public.Par ailleurs, rien ne justifie qu’un promoteur puisse s’opposer à la diffusion de l’information relative à la recherche qu’il promeut dans cette base de données. L’exigence de « secret industriel » est relative, et doit être examinée en regard d’autres intérêts comme les exigences de santé publique et les droits des patients.
Exemple
Le laboratoire Pfizer a refusé de nous communiquer le protocole d’évaluation d’un nouveau médicament, la capravirine.
8.Une mission d’évaluation doit être attribuée à l’AFSSaPS
(Proposition d’amendement à l’art L. 1123 ‘ 11)
Proposition
Une mission d’évaluation des CPP doit être attribuée à l’AFSSaPS, qui devra rendre un rapport au Parlement tous les trois ans.
Exposé des motifs
Le rapport de M. Claude Huriet sur le fonctionnement des CCPPRB a montré de nombreux dysfonctionnements et une grande hétérogénéité. Cette hétérogénéité des pratiques en fonction des CPP, qui est intéressante car source de pluralité, doit être encadrée par une évaluation régulière pour éviter de trop fortes disparités et une inégalité de protection des personnes en fonction de leur région. Cette évaluation, qui doit être continue, doit porter sur la qualité des avis (notamment pour ce qui concerne l’indemnisation) et sur le fonctionnement des CPP. Cette évaluation permettra de repérer les dysfonctionnements les plus graves, et d’améliorer au fil des années les pratiques des CPP.
Exemple
En 2000, le CCPPRB d’Aix-En-Provence a rendu un avis favorable pour un essai intitulé ARDA qui présentait des risques inacceptables pour les personnes dans une recherche sans bénéfice individuel direct. La DGS a finalement interdit la tenue de cette recherche, soulignant ainsi implicitement le dysfonctionnement de ce CCPPRB.
9. Les comités spécialisé à compétence nationale
Proposition
Nous proposons de renoncer à la création de comités spécialisés nationaux, et de garantir la qualité de l’évaluation en faisant appel à des experts extérieurs au CPP.
Exposé des motifs
La création de comités spécialisés nationaux porte atteinte à la diversité des CPP, qui est une garantie de l’indépendance et de la pluridisciplinarité de la recherche. Par ailleurs, l’expérience ratée du comité sur la recherche sur les embryons n’incite pas à développer des comités nationaux qui ne résoudront pas les dysfonctionnements des CPP (absentéisme, engorgement de certains CPP, etc.). Le texte de loi proposé est d’ailleurs si flou qu’il nous semble dangereux d’y souscrire en l’état. Enfin, la création de comités spécialisés nationaux n’est pas requise par la Directive européenne qui prévoyait la consultation d’experts pour garantir la qualité de l’évaluation des projets.
Il existe d’autres moyens plus pertinents pour mobiliser les compétences scientifiques et éthiques nécessaires à l’évaluation de certains projets de recherche. Nous proposons, à la place des comités spécialisés, la consultation de deux experts extérieurs au CPP (un expert médical spécialisé dans la pathologie ou dans la population concernée par l’étude et un expert associatif de cette pathologie ou de cette population). Ce recours à une expertise extérieure serait optionnel pour la majorité des recherches, mais obligatoire dans deux cas de figure : quand la recherche s’adresse à des populations vulnérables (enfants, maladie d’Alzheimer, etc. comme le requiert la Directive) ou quand elle concerne une pathologie sur laquelle les connaissances évoluent rapidement (sida, etc.)