Lundi 27 octobre, Varsovie. Un vent de panique souffle ce matin dans les couloirs de la 9ème conférence européenne sur le sida.
Tandis que les membres d’EATG du TRT5 et d’Act Up-Paris distribuaient le communiqué de presse et l’affiche dénonçant les insuffisances de l’accès compassionnel au Tipranavir un vent de panique a soufflé chez Boehringer Ingelheim : le bruit selon lequel le stand de la firme allait subir tous les outrages des activistes s’est répandu comme une traînée de poudre jusqu’au centre de presse de la conférence et bon nombre de personnes dont les responsables de la sécurité ont accouru pour assister à l’objet de la rumeur. Ils ont dû être déçus ! Au-delà de la panique lancée probablement par un concurrent machiavélique, le sujet de notre communication a été apprécié par les congressistes et bon nombre d’entre eux sont venus spontanément au stand de l’EATG discuter de cette question. La presse locale a d’ailleurs découvert par la même occasion l’existence de l’EATG et s’intéresse au regard que portent les activistes au travail présenté ici.
«Men who have Sex with Men»
La conférence est maintenant dans son rythme de croisière. Les dégustations de vodka de la soirée d’ouverture n’ont apparemment pas atteint les capacités intellectuelles des participants. La session plénière de ce lundi a abordé deux thèmes d’actualité : l’épidémiologie européenne et la situation de la recherche vaccinale en Europe.
Les données épidémiologiques de l’Europe présentées par le danois Jens Lundgren confirment l’explosion des contaminations par usage de drogue injectable dans l’Europe de l’est ainsi qu’au Portugal. L’analyse par pays montre aussi des augmentations du nombre de séropositifs dans certains pays de l’ouest mais ces valeurs sont très fortement corrélées avec l’immigration de personnes venues de l’est. L’analyse par catégorie montre aussi une augmentation des contaminations à l’ouest dans le milieu gay (qualifié prudemment de «MSM», c’est-à-dire «Men who have Sex with Men») principalement en Grande Bretagne. Globalement les problèmes essentiels sont :
– à l’ouest, le nombre important de personnes qui découvrent leur séropositivité à l’occasion de l’apparition d’une maladie opportuniste ;
– à l’est, en plus du même problème, le manque dramatique d’accès aux antirétroviraux.
De plus, on constate l’émergence de cas de tuberculose associés à la séropositivité. C’est là un signe montrant nettement le lien entre précarité et séropositivité. Par ailleurs, après 6 ans de thérapies actives, on observe toujours une réduction forte de la mortalité. Cependant, il semble que tant les traitements que l’infection accélèrent à long terme l’effet des pathologies liées à l’âge comme les maladies cardiaques ou les atteintes osseuses.
Manque de cohésion des recherches vaccinales
Giuseppe Pantaleo, un de nos spécialistes européens des vaccins, a rappelé la situation de la recherche vaccinale (lire à ce sujet nos comptes rendus sur la conférence Aids Vaccine 2003) et a rappelé que l’Europe est à la traîne en terme de coopération. En Europe chacun travaille dans son coin, a-t-il souligné alors que les Etats Unis s’organisent efficacement en créant un réseau de coopération englobant tous les partenaires de la recherche publique et privée. Bien entendu, sa présentation devait rappeler ici l’intérêt de l’initiative mondiale sur les vaccins VIH entamée cet été en concluant que tant de ressources sont perdues à cause du manque de cohésion des recherches vaccinales.
Le reste de la journée a été consacré aux présentations écrites (posters) et orales. Parmi ces dernières, l’on rentiendra de la session sur les traitements quelques aspects remarquables : très influencée par les besoins marketing, cette présentation montrant que Kaletra marche aussi bien en deux prises qu’en une prise par jour. La démonstration fut sans faille jusqu’à la question posée par une personne de l’audience : «a-t-on interrogé les patients pour savoir s’ils préfèrent prendre 8 pilules en une fois par jour ou 4 pilules en deux fois ?». Réponse de l’orateur : «euh, non, on n’a pas étudié la question sous cet aspect».
Un concept fait son chemin mais nécessite beaucoup d’études et de travail : la stratégie thérapeutique en deux temps, d’abord un traitement d’attaque puis un traitement d’entretien. L’étude TIME présentée ici montre un intérêt certain notamment en terme de réduction d’effets indésirables mais montre aussi la difficulté : le temps de traitement d’attaque doit certainement être adapté aux conditions initiales. Au-delà d’une charge virale à 100.000 copies, le temps du traitement d’attaque devrait être plus long. Cette limite devient d’ailleurs souvent une référence de gravité de l’état initial alors qu’il s’agit souvent d’une limite arbitrairement choisie. Dans le même registre, Kaletra en monothérapie a été étudié au sein d’une cohorte de personnes dont, après divers événements, le traitement initial a été modifié. Et les résultats sont intéressants en terme de maintien de la virémie en dessous des seuils de détectabilité ainsi que l’absence d’apparition de nouvelles mutations du virus. D’autres inhibiteurs de protéase boostés donneraient-ils les mêmes résultats ? C’est à étudier.
De son côté, l’étude Jaguar montre que la Didanosine (Videx) reste active même chez des personnes qui ont été fortement traitées et ont accumulé des résistances diverses et nombreuses.
Interruption de traitement
Enfin, une intéressante présentation sur les bénéfices d’une interruption de traitement avant une thérapie de sauvetage, question qui avait soulevé une controverse lors de la dernière conférence américaine à Boston, a permis de voir que la réponse est loin d’être tranchée. Rappelons que cette quetion est venue de résultats contradictoires entre un essai américain démontrant le caractère délétère d’une interruption avant une reprise d’un traitement puissant chez des personnes en impasse thérapeutique, tandis que l’équipe de l’essai Gighaart démontrait le contraire. Dominique Costagliola nous a présenté des données complémentaires comparant les personnes ayant participé à Gighaart et ceux d’une autre étude présentée en poster ici même et intitulée « Reverse ». Dans ce dernier essai, une fois de plus, l’interruption de traitement donne des résultats catastrophiques. Mais la différence immédiatement perceptible est la durée d’interruption.
L’étude « Reverse », contrairement à « Gighaart » proposait une interruption de traitement chez des personnes en échappement allant jusqu’à 26 semaines au lieu de 8 et incluait des critères de reprise basés sur la réversion des mutations du virus. L’analyse précise des différentes souches de virus mutés avant, pendant et après l’interruption montre en effet une grande différence entre ces deux essais et permettrait d’expliquer la différence de résultats. En effet, les malades de « Gighaart » ont pratiquement le même virus à l’issue de l’arrêt de traitement, ce qui n’est pas le cas de « Reverse ». Ces données contredisent ce qui était communément admis par les cliniciens et montrent que l’on est loin d’avoir tout compris à l’interruption de traitement. Un premier pas qui rappelle encore une fois que les hypothèses les plus solides sont parfois balayées par l’épreuve de la réalité clinique.