Dans le cadre de la journée internationale des femmes, Act Up-Paris, Aides, Le Kiosque info sida, le Mouvement français pour le planning familial et Sida Info Service, ont organisé les premiers Etats généraux Femmes et sida. Nos associations souhaitaient pour la première fois offrir une tribune d’expression aux femmes séropositives et aux femmes concernées par le sida pour les remettre au cœur de la lutte contre le sida.
Il semble encore nécessaire de le rappeler : en France, 42 % des nouveaux cas de séropositivité sont des femmes, dans les pays d’Afrique sub-saharienne, on compte aujourd’hui deux fois plus de contaminations chez les filles de 15 – 24 ans que chez les garçons de la même tranche d’âge. Or pendants près de 20 ans, les femmes ont été les oubliées de la recherche comme de la prévention. Depuis quelques années, elles commencent à être un objet médical «à part» et un nouveau sujet de discours dans la lutte contre le sida. L’enjeu de cette journée était d’aller plus loin, d’offrir aux femmes séropositives l’occasion de partager leur vécu et surtout interpeller d’une même voix, professionnelLEs de santé, responsables de santé publique et les laboratoires pharmaceutiques.
Près de 200 femmes étaient présentes le 7 mars. D’abord en ateliers thématiques : le vécu de la maladie, les traitements et effets indésirables ; vivre sa sexualité ; le désir d’enfant, puis en plénière sur le thème «Nord/Sud, Est/Ouest, les femmes, le sida, ici et là-bas». La journée s’est terminée par une synthèse, où les échanges ont été riches et fructueux. L’engagement des femmes est une vraie réalité dont les professionnelLEs de santé et les pouvoirs publics doivent désormais, et enfin, prendre en compte. Les exigences des femmes malades sont des réalités à considérer pour faire progresser la lutte contre la maladie.
– Il est temps que la recherche publique et privée prenne en considération les spécificités féminines dans ses études.
– Il est temps que les médecins fassent preuve d’un vrai respect pour les femmes vivant avec le VIH : tant par le respect de la confidentialité, y compris vis-à-vis du mari présent lors de certaines consultations, que par le respect du libre choix des femmes, en dehors de leurs considérations parfois moralistes.
– Il est temps que la précarisation des minorités cesse car elle fait le jeu de l’épidémie dans notre pays.
– Il est temps que les pays du Nord prennent leurs responsabilités vis-à-vis du Sud car lutter contre le sida «c’est une bataille à faire ensemble».
– Il est temps que la Female Aids Compagny, producteur unique du préservatif féminin, prenne en compte les attentes des femmes et baisse ses prix.
– Il est temps, enfin, pour les hommes de nous rejoindre dans ces combats.
Le travail des associations a été salué et touTEs ont mis l’accent sur la nécessité de temps de parole tels que ces premiers Etats généraux et sur la nécessité de lieux de parole réservés aux femmes et à leur combat. La lutte contre l’épidémie passe avant tout par l’engagement des femmes séropositives, les premières concernées.
Extraits du discours d’ouverture des Etats Généraux «Femmes et sida».
Depuis son apparition, le sida touche les femmes. Il y a dix ans, en France, on comptait 1 femme pour 7 hommes parmi les cas de sida, aujourd’hui on dénombre 1 femme pour 3 hommes. Sur les 5 000 à 6 000 nouvelles contaminations par an, la moitié concerne des femmes. Sur les 42 millions de personnes infectées dans le monde, la moitié sont des femmes. Alors que les femmes sont au cœur de cette épidémie, il apparaît trop souvent que tout se joue à notre insu, à côté de nous.
Les professionnelLEs qui ont accepté de venir savent très bien que la lutte contre cette maladie n’a pu se faire qu’avec les malades. TouTEs considèrent que cette participation des malades est unique dans l’histoire de la médecine et que cela a modifié d’une façon irréversible le rapport médecin-malade avec tous les bénéfices que l’on connaît. C’est donc, nous, les femmes séropositives qui pouvons leur permettre de mieux comprendre que cette maladie ne se vit pas de la même manière que pour les hommes. Physiologiquement et socialement, nous sommes différentes. Lorsque nous apprenons notre séropositivité, c’est notre féminité qui est bouleversée : faire l’amour, faire face aux problèmes gynécologiques qui se multiplient, avoir des enfants ; c’est le regard de la société sur nous, des hommes aussi, qui change ; c’est la stigmatisation sur notre mode de vie, notre couleur de peau, notre pays d’origine, cette stigmatisation qui permet aux gens de penser toujours à un éventuel passé plus ou moins obscur, à une faute. La société nous dit encore «coupables» de vagabondage sexuel, «victimes» de partenaires inconscients.
Il n’y a pas de raison que cela change si nous nous ne décidons pas de
sortir de ce cercle vicieux. […] Nous devons être les premières actrices de notre santé. C’est par la mobilisation des femmes africaines que l’accès aux médicaments dans leur pays deviendra une réalité et que cesseront les discours qui privilégient encore la prévention sur les soins et les traitements. En 2002, sur 28 millions de personnes qui vivent avec le VIH en Afrique, à peine 30 000 ont accès aux antirétroviraux. Toute la problématique de l’Afrique se résume à définir quand et comment traiter les femmes au moment de l’accouchement, et encore pour une minorité d’entre elles. Ces femmes n’auront que ça : le soulagement d’avoir unE enfant séronégatifVE peut-être, mais la certitude de mourir, ce qui ne laissera que peu de chances de survie à leur enfant. Car pour nous toutes, il y a aussi toujours cette vieille histoire de la médecine, qui attribuera la plupart de nos maladies à une hystérie de femme. Les études commencent à nous donner raison, en démontrant qu’il s’agit bien de troubles physiologiques. C’est bien dans nos corps et non dans nos têtes que sont les spécificités de cette maladie.
Notre situation changera enfin si nous parlons, si nous exigeons que nos spécificités de femmes soient entendues et prises en compte. L’avancée de la maladie ne peut se faire que par la prise de parole et la prise en considération de nos réalités de femmes face à la maladie.
Quiconque veut bien y réfléchir sait que les femmes, si majoritaires soient-elles en nombre, ont toujours été minoritaires en droit, et le sont encore aujourd’hui – dans des recoins plus obscurs peut-être – mais avec constance. Etre une femme séropositive, c’est souvent faire face à un médecin, à un laboratoire, à un employeur et éprouver cette infériorité dans notre propre corps.
N’oublions pas que le gouvernement est prêt à tout pour anéantir toutes ces années de lutte contre le sida. Beaucoup pensaient avoir réussi à les convaincre : la santé est incompatible avec la répression. Quelle curieuse angoisse devant la surenchère législative des mesures sécuritaires, qui prennent nos vies à rebours au lieu de les défendre. Le nouvel appareil législatif va nous ramener des années en arrière en matière de prévention et d’accès aux soins. En flattant tous les amalgames, entre immigration et insécurité, entre usage de drogues et toxico-délinquance, entre prostitution et trafic d’êtres humains, en niant, ensuite, nos existences minoritaires, nos discours et nos droits élémentaires. Lutter contre le sida en France, c’est exiger que les étrangerEs malades puissent avoir accès aux mêmes soins que les personnes en situation régulière. La santé est incompatible avec la répression.