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Depuis l’arrivée des traitements, on meurt moins du sida. L’allongement de la durée de vie s’accompagne maintenant d’expériences de vie en couple sur un long terme, que les partenaires soient séropositifVEs ou sérodifférentEs, hétérosexuelLEs ou homosexuelLEs.

A Act Up-Paris, les militantEs ont exprimé le désir de se retrouver autour d’une table ronde intitulée «Couples & VIH» pour apporter leur témoignage sur les sexualités, les contradictions, les désirs, les difficultés qui animent leur couple. Nous souhaitions à l’occasion de cette rencontre libérer la parole de touTEs, séropos, séronegs, afin de mieux articuler la perception que nous avons de la vie à deux lorsque le VIH est de la partie, et pour ouvrir des pistes de réflexion.
Retour sur un état des lieux.

Le couple ne protège pas.

La majorité des personnes présentes étaient en couple lorsqu’elles ont eu connaissance de leur séroconversion au VIH. Ce constat prend plus de sens lorsque l’on sait qu’il n’existe aucun message de prévention à l’attention des couples, homos ou hétéros. Aujourd’hui, on les laisse seulEs gérer leur sexualité. Leur apporter un message de prévention, c’est remettre en question une idéologie dominante qui présente le couple comme un moyen en soi de se protéger du sida. Comme si la sexualité n’existait pas en dehors de cette sacro-sainte cellule. Comme si la croyance en la fidélité du/de la partenaire suffisait pour se garantir de toute prise de risque. L’absence de message de prévention dans les médias à destination des couples laisse le champ libre à l’illusion que le sida ne peut pas perturber leur apparente tranquillité. Cette conception inspirée de la religion et du modèle bourgeois du XIXème siècle ne prend évidemment pas en compte les couples sérodifférents et séropositifs. Nulle part on ne trouve de message qui pourrait leur être destiné. Pourtant, l’introduction du VIH modifie considérablement la donne. La vie change aussi lorsqu’un couple séronégatif bascule dans la séropositivité. Il vivait plus ou moins dans l’illusion de la fidélité et, en fait, il prenait des risques. Il s’agit alors de repenser entièrement la sexualité en termes de prévention. Il s’agit aussi d’abandonner les faux clichés du couple fidèle hors d’atteinte.

Je t’aime, tu m’aimes, je nous protège, tu nous protège.

Nous sommes d’accord : la séropositivité engage notre responsabilité. Cette responsabilité est partagée par les deux partenaires. Cependant, différentes pratiques ont été évoquées par les participantEs à la réunion. Tout d’abord, certainEs séropos ont exprimé un sentiment de double responsabilité devant leur conjointE. Ils ont dit se sentir à la fois responsables de leur propre santé et de la santé de leur partenaire, avec l’impression de prendre à leur charge la safe attitude qui permettra à l’autre de s’épargner les complications de santé, la prise de traitements, les moments d’angoisse. Ils/elles ont insisté sur le fait que c’est là une façon non intellectualisée de partager l’amour. D’autres personnes ont insisté sur le caractère irrationnel de la sexualité en couple et la difficulté d’articuler la responsabilité, tout le temps. Il arrive que l’on soit l’objet d’une pulsion que l’on a du mal à contrôler : à cet égard, des témoignages ont fait apparaître une forme de déni du risque. La recherche romantique de la preuve d’amour amène à des déclarations paradoxales du type « je m’en fous si je prends un risque puisque c’est toi et que je t’aime ». Prononcées dans des moments d’exaltation, ces déclarations disent combien nous sommes des êtres de chair faillibles, enclins au trouble des sentiments et de la raison. Elles demeurent difficiles à analyser, se terrent dans les parties obscures de notre conscience. Sans doute correspondent-elles à une démonstration d’amour dont l’expression serait « ta séropositivité ne me fait pas peur, alors aimons-nous sans capote». Nous ne sommes pas des héros, nous sommes seulement complexes, tellement humainEs. Mais exprimées dans la désinvolture de l’instant, ces paroles hypothèquent sérieusement l’avenir.

Prévention au long cours.

L’enjeu essentiel a alors surgi : la prise en compte de la prévention et du risque dans la durée est un des axes autour duquel le couple s’élabore. Cette prise en compte s’accompagne ordinairement de l’utilisation systématique du préservatif dans le cadre d’une responsabilité partagée. Rien n’étant plus insupportable et pesant que le doute, la seule réponse satisfaisante aujourd’hui, c’est la capote. Mais la peur de contaminer l’autre dans un couple sérodifférent amène aussi quelquefois à des blocages de la libido, plus ou moins prolongés, voire au sacrifice de la sexualité. C’est dire à quel point, dans ces situations-là, le VIH surinvestit la relation en orientant différemment l’accomplissement sexuel, mettant en péril la stabilité et la pérennité du couple. A l’inverse, un témoignage a fait part du relâchement partiel qui peut s’observer après quelques mois, aussi bien chez les couples séronegs que séropos. On accorde aisément une confiance peut-être imméritée à l’autre, et la prise de risque est hélas maximale. C’est là que nous aurions besoin de messages de prévention à l’attention des couples autour de la contamination et de la surcontamination, relayés par les médias à 20 heures et 22 heures, pour nous rappeler que le VIH se transmet tout aussi bien au chaud au fond du canapé, éclairés par la lumière bleutée de la télé. Le gouvernement et l’InPES (Institut national de prévention et d’éducation pour la santé) ne mettent en place aucune campagne de communication ciblée sur le couple. Leur immobilisme est une faute qui peut engager nos vies.

Désir d’enfant, homoparentalité, AMP.

Un deuxième volet a été développé autour de la parentalité. L’Assistance médicalisée à la procréation (AMP) a permis de dire non à la prise de risque et à la discrimination. L’AMP est autorisée aujourd’hui pour les couples sérodifférents hétéros qui désirent un enfant, sans que la femme prenne aucun risque au moment de la fécondation. Le sperme du conjoint séropositif est traité pour éliminer les souches virales avant l’insémination. C’est le changement récent de législation (mai 2001) qui permet la prise en charge des personnes séropositives. Cette autorisation législative résulte de l’action déterminée de militantEs d’Act Up et d’autres associations, comme Aides,qui ont établi une collaboration avec la Direction générale de la santé en 2001. Leur travail a permis d’affranchir les couples de la discrimination en réalisant leur désir biologique d’enfant. La législation répond au besoin médical de tenter d’enrayer la progression de la pandémie, et à la volonté de favoriser les relations sexuelles systématiquement protégées. Le bénéfice de l’AMP est donc tout autant sociologique et éthique. Hélas, les moyens mis en oeuvre sont dépassés par l’ampleur des demandes de couples sérodifférents.

Plus généralement, les droits des couples sérodifférents hétérosexuels renvoient au désir d’enfant chez les couples homosexuels. Dans le débat qui s’ouvre aujourd’hui en France, nos adversaires laissent croire que le désir d’enfant chez les homos ne serait pas conciliable avec les droits de l’enfant à bénéficier d’un environnement épanouissant. Lionel Jospin est l’un des premiers à faire valoir cette argumentation homophobe qui nous réduit à n’être que des potiches sexuelles, là où d’autres défendent et comprennent notre droit à un parcours de vie au moins égal à celui des autres citoyenNEs.

Comment peut-on nous déconsidérer au point de nous faire passer pour les bourreaux de nos enfants, incapables de faire leur bonheur ? Les hommes politiques semblent ignorer que l’homoparentalité est déjà largement répandue dans notre société. Elle emprunte des caractères divers (couples hétérosexuels recomposés en couples gays et lesbiens ; homosexuelLEs qui entreprennent entre eux/elles un accord de parentalité, etc.). L’American academy of pediatrics, qui regroupe près de 60 000 pédiatres aux Etats-Unis, après analyse de très nombreuses études, conclut que les enfants élevés par des couples gays ou lesbiens évoluent aussi bien que les autres. On estime en France à 100 000 le nombre de familles homoparentales. Aux dernières
nouvelles, tous leurs enfants se portent bien.

Mariage à l’essai.

La table ronde s’est terminée sur une réflexion autour du mariage gay. Nous sommes partiEs de l’idée que les couples séropos ont vécu l’absence de leurs droits civils et sociaux de façon traumatique durant l’hécatombe du sida des années 80-90. Il s’agit d’en tirer certaines conclusions : il faut mettre à disposition des homosexuelLEs les droits civils qui sont pour l’instant exclusivement réservés aux hétérosexuelLEs. Nous voulons mettre fin à la discrimination qui nous relègue au rang de citoyenNEs de seconde zone. Cette discrimination injuste alimente l’homophobie et finit par accentuer nos réflexes communautaires. Notre revendication porte sur la fonction symbolique du mariage. Demander le droit au mariage, ce n’est pas tomber dans le piège de l’illusion d’une vie à deux pour toujours, l’exemple des amiEs et des parents n’étant pas forcément encourageant… On ne veut pas forcément user du mariage, on veut pouvoir en disposer. C’est une question de reconnaissance de notre inscription citoyenne dans la société comme couple. C’est enfin un acte institutionnel fort qui renvoie à l’histoire de la vie privée et par lequel nous faisons primer notre intégration dans la République et la Nation sur les intérêts catégoriels de notre communauté. Ne laissons pas les réactionnaires homophobes nous reléguer à une demi-existence vide de perspective civile.