Les réactions qui suivent répondent au communiqué de presse du Ministère de la santé du Cameroun et à l’entretien accordé au Cameroon Tribune par M. Olanguena Awono dans son édition du 24 Janvier 2005[[cet entretien est disponible dans le document pdf associé à ce texte]]. Elles sont le fruit d’un travail commun entre le REDS (Réseau Droit Ethique et Sida) à Yaoundé et Act Up-Paris.
À propos de l’évaluation par une équipe interne de FHI en décembre 2004
Family Health International (FHI) est le promoteur de l’essai, par conséquent cette ONG est responsable du bon déroulement de l’étude et du respect du protocole. Il n’est donc pas étonnant que l’évaluation interne menée en décembre 2004 n’ait pas relevé de problème particulier dans la conduite de l’essai à Douala. En effet, ce sont le protocole et les modalités de prise en charge des personnes dépistées séropositives au VIH à l’entrée et au court de l’étude ainsi que le dispositif prévu pour le «counselling» de prévention que nous contestons. Or, ces modalités et ce dispositif sont précisés dans la notice d’information patient et font partie des dispositions réglementaires mis en place par FHI. FHI est juge et partie et son n’audit ne peut avoir dès lors qu’une valeur interne : vérifier sur le terrain si Care Health Program, ONG chargée du programme de prévention qui accompagne l’essai, applique les prescriptions du promoteur FHI. Ce que nous contestons ce n’est pas l’application du protocole mais le protocole lui-même.À propos du choix de France 2 de ne pas monter l’interview avec M. Kaptué, président du Comité National d’Ethique
Eric Colomer, le journaliste qui a réalisé le documentaire, Sida: l’Africa test, diffusé sur France 2, a choisi de ne pas utiliser l’entretien avec M. Kaptué, ce qui n’a pas manqué de nous étonner. Le journaliste ne souhaitait pas mettre en cause ce vieil homme qui est un grand scientifique et qui, très tôt, s’est engagé dans la lutte contre le sida au Cameroun[[lire à ce propos le communiqué diffusé par France 2 disponible en document associé à notre texte]]. Néanmoins, nous pourrons proposer prochainement une retranscription intégrale de l’entretien. Il est possible de voir sur le site de France le reportage de E. Colomer et l’on pourra constater qu’il y avait matière à mettre en cause le bon fonctionnement du Comité national d’éthique dans l’évaluation du protocole Tenofovir. Notons que Monsieur Kaptué à fait pression sur la rédaction de France 2 afin que l’entretien avec une personne incluse dans l’essai ne figure pas dans le documentaire diffusé. Dans un fax sur papier à entête du Comité national d’éthique, envoyé à Philippe Pecoul, rédacteur en chef de France 2, il écrivait : «[…] conformément aux normes éthiques de la recherche impliquant la participation des êtres humains, aucune publication ni reportage ne peut être fait sur une étude en brisant la confidentialité des sujets participant à la recherche». À quelle norme fait-il référence ? En l’absence de loi camerounaise qui encadre la recherche biomédicale, le professeur doit en principe se référer à la déclaration d’Helsinki consacrée aux recherches médicales sur des sujets humains [[qui peut être consultée sur le site de l’association médicale mondiale à l’adresse http://www.wma.net/f/policy/b3.htm?OpenDocument ]]. L’article 21 de la charte précise que «le droit du sujet à la protection de son intégrité doit toujours être respecté. Toutes précautions doivent être prises pour respecter la vie privée du sujet, la confidentialité des données le concernant et limiter les répercussions de l’étude sur son équilibre physique et psychologique». Cet article est une obligation faite au promoteur et aux investigateurs des essais. Ils n’ont en effet pas le droit de divulguer l’identitée et les coordonnées d’une personne incluse dans la recherche. Cela n’interdit évidemment pas à une personne participant à l’essai de s’exprimer sur cet essai si elle le souhaite. Dans le cas présent ni l’identité ni les coordonnées de la personne incluse dans la recherche qui s’exprime dans le documentaire n’ont été fournies par les responsables de l’essai. Bien au contraire il semblerait qu’une pression a été excercée sur elle afin qu’elle renonce à l’entretien.À propos de l’audit de l’essai par le gouvernement qui vise à évaluer si l’essai est mené en conformité avec le protocole
Dans dix jours que le Pr Peter Doumbe déposera les conclusions du comité chargé de faire la lumière sur la controverse autour des tests. Qui compose ce comité ? A-t-on pris soin d’y inclure des experts associatifs indépendants ? Les associations de personne vivant avec VIH et les représentants des personnes incluses vont-ils être auditionnés? C’est ce que nous ne savons pas. Par ailleurs, de même que l’audit interne de FHI a conclu qu’il n’y avait pas de problème particulier dans la conduite de l’essai en référence à ce qui est prévu par le protocole, l’enquête du ministère de la santé devrait faire de même ; du moins si elle se s’attache uniquement à examiner si le protocole et les dispositions qui s’y rattachent sont respectés. Encore une fois c’est précisément certaines dispositions du protocole lui-même que nous mettons en doute d’un point de vue éthique.À propos de la distinction entre éthique et humanitaire faite par Monsieur Urbain Olanguena Awono ministre de la Santé publique dans l’édition du Cameroon Tribune
Extrait de l’interview [[<1>]] :Question : Le principal reproche qu’on fait à cette étude est de ne pas prendre en charge les volontaires devenus séropositifs pendant le déroulement de la recherche. Est-ce fondé ?» Réponse : Il faut bien séparer les questions éthiques des questions humanitaires. Cela me semble très important, parce qu’il faut éviter l’amalgame. Au plan humanitaire, il est tout à fait normal que les personnes enrôlées dans l’étude soient totalement prises en charge, s’il s’avère que pendant cette étude, elles sont « séroconverties », comme nous disons. Et même si cela n’est pas une exigence éthique, le ministre de la Santé publique a donné à l’équipe de recherche et aux institutions qui appuient cette étude la prescription de prendre en charge ces personnes.Or, dans la charte éthique d’éthique de la recherche dans les pays en développement de l’ANRS (Agence de Recherche sur le Sida française) il est précisé à l’article 6.12 : «Au terme d’un essai thérapeutique, les traitements ayant démontré leur efficacité doivent être mis à la disposition de la personne ayant participé à la recherche» [[La charte peut être consultée sur le site de l’ANRS à l’adresse http://www.anrs.fr/index.php/article/articleview/695/1/257 ]]. Si l’on peut considérer que cette disposition ne s’applique pas directement à l’essai Tenofovir elle établit un lien entre l’éthique dans la recherche et la mise à disposition d’un traitement à l’issue de la recherche. C’est d’ailleurs ce qui se passe pour les personnes qui ont participé à l’essai Triomune® ANRS 1274 qui s’est déroulé à Yaoundé. Le CNLS est chargé via une convention signée avec l’ANRS de la mise à disposition gratuite des traitements ARV pour les personnes ayant participé à la recherche. Par ailleurs, si l’efficacité du Tenofovir comme traitement prophylactique permettant de réduire de façon significative l’infection par le vih est démontrée par l’essai, quelles mesures l’État camerounais a-t-il prises pour la mise à disposition de la molécule aux participants à l’essai comme l’exige la charte d’Helsinski à son article 30 [[Article 30 de la charte d’Helsinki : «Tous les patients ayant participé à une étude doivent être assurés de bénéficier à son terme des moyens diagnostiques, thérapeutiques et de prévention dont l’étude aura montré la supériorité.»]] Y a-il une convention signée entre l’État camerounais et FHI ou le laboratoire Gilead qui garanti que le produit sera disponible gratuitement ou à un prix abordable au Cameroun? Enfin, aucune instruction du ministre de la Santé publique du Cameroun n’a été donnée à l’équipe de recherche et aux institutions qui appuient cette étude afin que soient pris en charge gratuitement (suivi, traitements des infections opportunistes et ARV si nécessaire) les personnes qui se seraient «séroconverties» pendant l’essai. Si c’est le cas le ministère aurait tout intérêt à rendre publique les protocoles relatifs à ces prises en charge. Enfin, l’antenne suisse de Médecins Sans Frontières à Doula a pris la décision unilatérale de recevoir et de prendre en charge les personnes découvertes séropositives à l’entrée et au cours de l’essai, sans que la moindre convention n’ait été signée avec le promoteur ni les autorités sanitaires.