Ce contenu a 19 ans. Merci de lire cette page en gardant son âge et son contexte en tête.

Nous arrivons à Moscou tôt le matin après une nuit en train agrémentée de vapeurs de vodka de quelques joyeux voyageurs. Le temps est gris, il neige. Nous avons rendez-vous dans les locaux du réseau russe de réduction des risques, le Russian Harm Reduction Network. C’est là que nous avons rencontré Pavel, un solide gaillard un peu réservé. Il parle d’une voix très calme de son pays, la Sibérie, comme pour ne pas nous effrayer par ce qu’il va nous raconter.

La situation

Pavel vient de Krasnoïarsk. Là-bas on compte 3500 séropositifs dont 100 sont sous traitements grâce à un projet canadien. Mais l’année prochaine, cette coopération prendra fin et personne ne sait ce qu’il adviendra de leur prise en charge. En dehors de ce programme, seules deux ou trois personnes bénéficient de l’accès aux antirétroviraux. Évidemment, ce ne sont pas des usagers de drogues, car, ici comme ailleurs en Russie, on leur refuse tout traitement [voir nos précédentes chroniques : [ ; 06. FrontAids ; Au bord du gouffre.]]. À Tomsk, une autre ville de Sibérie, on compte 700 séropositifs. Le nombre exact de personnes recevant un traitement est de… un. Pavel se demande si l’aide du Fonds mondial de lutte contre le sida parviendra jusqu’à Tomsk. Lui aussi aurait besoin d’un traitement, mais il n’en bénéficie pas. Alors il attend que le programme prévu par le Fonds mondial soit en place.

Pavel intervient également dans les prisons de Tomsk, de Krasnoïarsk et d’autres villes de Sibérie. Les prisonniers sont testés à leur entrée en prison, on leur rend le résultat un peu comme un sentence et puis c’est tout : pas d’information, pas de conseils, pas de soins. Mais le problème, selon Pavel, c’est surtout à leur sortie de prison. Les ex-détenus ne savent rien, même pas qu’il est nécessaire d’aller dans un centre sida pour être suivi, ni même qu’il existe des traitements. Très souvent, ils retrouvent une pratique d’injection, et, par ignorance, peuvent contaminer d’autres personnes en partageant leur seringue. Tout le travail de Pavel en prison est d’informer les détenus sur les pratiques de prévention.

Initiative Sibérienne

Pavel travaillait auparavant dans un centre sida qu’il a quitté parce que les responsables «l’utilisaient» selon ses propres termes. Il nous explique que les centres sida recrutent des activistes pour attirer l’argent des organisations internationales qui financent l’activisme et les groupes d’auto-support. Mais les activistes sont exploités par ces structures et n’ont rien à dire. Il a essayé de comprendre quelles relations pouvaient exister entre ces organisations et les centres sida mais cela lui a toujours été caché. C’est pour cette raison qu’il a décidé de quitter ce système et de monter sa propre organisation, Initiative sibérienne. Il voudrait ainsi obtenir directement de l’aide et des traitements pour son groupe de séropositifs, sans passer sous les fourches caudines des centres officiels. Son objectif est de mettre en place une prise en charge des séropositifVEs grâce à l’auto-support. Les séropositifVEs sont nombreux en Sibérie, mais ils/elles sont peu actifVEs, car ils/elles ont peur de rendre public leur statut sérologique. L’absence d’informations sur la maladie, les modes de contamination, la prévention, les traitements, le suivi est patente. L’ignorance, la peur, la haine et la stigmatisation ont le champs libre.

La plupart des usagers de drogue ne fréquentent pas le centre sida de leur ville. Ils savent bien qu’on leur refusera un traitement. Pour les médecins, les usagers de drogue ne peuvent pas suivre un traitement parce qu’ils ne seraient pas observants. Mais ils ne voient pas non plus d’un bon œil que les séropositifs fassent de l’information et organisent des formations.

Pavel doit mener son combat sans aucun moyen. Son association n’a pas de téléphone, pas de connexion internet, encore moins d’ordinateur. Initiative Sibérienne est surtout, précise-t-il, un groupe de personne qui veulent changer les choses. Jusqu’à présent, le travail consistait essentiellement à mener des actions de prévention, mais Pavel voudrait faire beaucoup plus. Des ONG proposent des aides pour des associations comme celle de Pavel, mais il craint qu’elles n’aboutissent dans les centres sida officiels. « Nous ne voulons pas être exploités en travaillant pour les autres. Nous voulons être autonomes», nous dit-il. Pour le moment, il envisage de s’associer au réseau de réductions des risques de Tomsk.

Activiste, c’est quoi au juste ?

Pavel veut aussi nous parler de ce qu’il appelle l’activisme touristique. Il est pratiqué par des «militants» qui travaillent dans des structures officiels comme les centre sida. Ces personnes servent de faire-valoir, ils sont invités à Moscou ou ailleurs pour des conférences, mais, en réalité, elles ne aucun rôle actif dans le système. Pour lui, son objectif est d’être un véritable activiste de l’auto-support. Mais il admet que les autres ont aussi leur place. Il ne voudrait pas se couper des centres, de leurs spécialistes, car c’est grâce à eux qu’il tire ses connaissances et ses informations. Il comprend que des gens puissent accepter ce jeu pour avoir accès aux traitements ou pour être mieux considérés. Pavel pense malgré tout qu’il est possible de travailler avec eux.

Pavel nous adresse une dernière demande : « Ne vous contentez pas d’écrire des reportages, travaillez avec nous, aidez-nous ». Il y a quelque temps, une équipe était venue faire un reportage sur les groupes d’auto-support à Krasnoïarsk. Ces groupes font un travail magnifique. Pourtant quand il a vu le reportage, il n’était question que du travail des responsables du centre sida, les activistes avaient disparu.