criminaliser les personnes qu’on pourrait estimer responsable d’une contamination parce qu’elles n’auraient pas informé leur partenaire de leur statut sérologique et qu’elles auraient eu des relations non protégées. Cette contamination dite «volontaire», qui n’a pourtant rien de volontaire, désigne les seulEs séropositifVes — du moins ceux et celles qui n’ignorent pas leur statut sérologique — comme uniques responsables de la propagation de l’épidémie.
Un séropositif est actuellement en prison parce que la Cour d’appel de Colmar l’a considéré comme responsable de la contamination de plusieurs de ses partenaires, dont certaines avaient porté plainte contre lui. C’est en janvier dernier que sa condamnation a été confirmée : outre une amende importante, il est puni de 6 ans d’emprisonnement ferme. Les débats qui ont suivi les procès de cet homme, depuis juin 2004, ont trop passé sous silence sa situation, ainsi que celle des plaignantes. Il faut donc constamment se souvenir qu’il est aujourd’hui en détention, et qu’à ce titre, il ne dispose pas du même accès aux droits, aux soins et aux examens qu’une personne malade aurait à l’extérieur. Et aussi que les plaignantes sont séropositives, que cet état est irréversible et que l’une d’entre elles s’est suicidée peu avant le procès en appel.
Rappeler ces situations, c’est aussi s’obliger à assumer la complexité du débat. Prendre position donne toujours l’impression qu’on défendrait telle partie contre telle autre. Ainsi, critiquer cette condamnation reviendrait à mépriser la situation des femmes qui ont porté plainte. Inversement, se mettre à la place des plaignantes et comprendre la façon dont elles poseraient la responsabilité de leur partenaire serait une remise en cause insupportable des fondamentaux de la prévention du sida. Le débat de justice rend la discussion sur la responsabilité extrêmement simpliste et binaire, alors que les enjeux sont bien plus complexes.
Pour les plaignantes, mais aussi pour une association comme Femmes positives, qui, à Marseille, regroupe des personnes qui voient dans le recours en justice un moyen de poser la question de la responsabilité de leur partenaire, la plainte et la condamnation sont un moyen de se faire reconnaître comme victimes, mais aussi d’empêcher les accuséEs de contaminer d’autres personnes. On peut donc lire deux objectifs : la reconnaissance d’un statut spécifique et l’incitation, par la voie de la peine, à plus de responsabilité en matière de prévention. Concernant le statut de victimes, il n’apporte rien en terme de prise en charge sanitaire et sociale. Il est même dangereux tant il revient à identifier des séropositifVEs qui l’auraient mérité de ceux et celles qui auraient été contaminéEs «injustement».
En terme de prévention, pense-t-on qu’une telle condamnation pourrait inciter à plus de responsabilité ? Il est évident que cette décision ne peut en aucun cas inciter à se faire dépister — elle impliquerait même plutôt le contraire. Elle présuppose que la prévention repose sur la seule personne qui connaisse son statut sérologique. La peur d’une condamnation aurait-elle un effet pédagogique face au poids du déni et de la honte que le sida continue d’engendrer et que de telles décisions judiciaires ne peuvent qu’entretenir ? Elle peut avoir cet effet sur certaines personnes, et l’effet strictement inverse sur d’autres. Mais surtout, elle laisse croire aux séronégatifVEs, ou ceux et celles qui pensent l’être, qu’elles et ils ne risquent rien à baiser sans capote si leur partenaire ne leur dit pas être séropo.
Réaffirmer face à cette décision judiciaire la responsabilité partagée peut être pris pour de la langue de bois. Les personnes qui portent plainte, comme les membres de Femmes positives, reprochent aux associations qui tiennent cette position de n’avoir pas su écouter leur détresse et de ne pas poser clairement la responsabilité des personnes qui sont selon elles la cause de leur séropositivité. Face à ces reproches, il faudrait réévaluer la responsabilité partagée, l’adapter à la réalité de terrain.
C’est oublier un peu vite que la responsabilité partagée est avant tout un concept de prévention que les pouvoirs publics ne se sont jamais donné les moyens d’atteindre. La responsabilité partagée, loin d’être une forme juridique de répartition de la responsabilité, signifie au contraire que chacunE est pleinement responsable de soi et de l’autre. Cela implique de donner les moyens à touTEs d’être conscientE de ses responsabilités et acteur ou actrice de prévention : accès à l’information et aux campagnes rappelant que chacunE est concernéE, accès au matériel de prévention, lutte contre les discriminations et les rapports de domination fondés sur le genre, l’origine ou encore la classe sociale. Or, aucun de ces moyens n’existe vraiment. La justice intervient aujourd’hui pour sanctionner un comportement jugé irresponsable en matière de prévention du VIH. Quand les pouvoirs publics interviendront-ils enfin en amont pour modifier les comportements ? A quand le procès des politiques de prévention et de ceux, celles, qui les ont tenues ?
Il nous faut retravailler chacunE sur nos propres responsabilités vis-à-vis de la prévention : séropo, séronég, ignorantE de son statut. Pendant longtemps, je n’ai pas compris que certainEs séropositifVEs d’Act Up-Paris disent qu’ils, elles, se devaient d’être «plus» responsables que leur partenaire en matière de prévention. C’est à eux ou elles, séropositifVEs, que devraient “plus” revenir l’incitation à mettre la capote si ce n’est pas automatique, ou encore le refus d’une baise non protégée. Je ne comprenais pas ce «plus» responsable. En tant que séronégatif, je me sentais tout autant responsable de la prévention, vis-à-vis de mes partenaires. Et je voyais dans ce discours une contradiction avec l’idée de responsabilité partagée.
Mais cette responsabilité qui consiste à rester safe quand on est séronégatif n’est pas la même que celle qui vous oblige à protéger vos partenaires. Ne pas vouloir être contaminéE et refuser de contaminer son partenaire sont deux niveaux de responsabilité différents. On peut très bien travailler sur cette hiérarchie, en faire un objectif de fierté et d’empowerment, qui réactive et vivifie le modèle de la responsabilité partagée.
En 1983, des séropos se réunissent pour la première fois et élaborent les «principes de Denver» que l’on considère comme l’acte de naissance de l’activisme sida. Une de ces règles affirme que les séropos doivent «s’engager à adopter des pratiques à moindre risque, informer les partenaires sexuelLEs éventuelEs de (leur) état de santé». La responsabilité qui est ainsi posée n’est pas juridique. Elle est liée à l’exemplarité des comportements. Il s’agit là d’un modèle que les séronégatifs doivent suivre en s’interrogeant sur leur propre exemplarité : éviter les pratiques à risques, se faire dépister en cas de doute pour adapter ses pratiques, refuser la banalisation du sida et de la transmission, etc. Rien à voir, donc, avec une responsabilité pénale.
Aujourd’hui, notre discours — celui que nous avons par exemple en collant depuis le mois de février l’affiche «No Kpote = Discrimination» – vise à faire de la capote un réflexe, pour se prémunir contre les préventions imaginaires qui feraient de l’annonce de son statut sérologique une garantie d’une baise safe.
On peut, et on doit, travailler sur ces niveaux de responsabilité et les moyens de le faire valoir : accès et promotion du dépistage, suivi psychologique des personnes qui découvrent leur séropositivité, consultation de prévention pour les séropos et les séronegs, débat public sur le sujet, etc. Faute de quoi, le seul modèle qui nous restera risque d’être le verdict de Colmar.
Face à la pénalisation de la transmission du VIH, nous défendons une position ferme. Nous refusons de