Après le succès de l’édition 2004, Act Up-Paris, Aides/, le Kiosque, le Planning familial et Sida Info Service ont organisé, le 5 mars dernier, les 2e États généraux «Femmes, sida et sexualité».
Dans les salles de la mairie du IVe arrondissement de Paris, ces États généraux furent l’occasion d’aborder de nombreuses questions et de confronter nos expériences. Le nombre de participantEs – une cinquantaine dont près de la moitié issues d’associations – ne fut pas aussi élevé que lors de la première édition. Cela peut s’attribuer au fait que l’information a circulé bien tard, et ce malgré un mois de mars particulièrement consacré aux femmes séropositives cette année et où le sida a été déclaré «grande cause nationale».
Deux ateliers, l’un consacré au vécu, l’autre aux outils de la prévention, ont ouvert cette journée. L’après-midi étant consacré à un débat sur les microbicides. Les actes seront publiés ultérieurement, nous nous attacherons ici à certains thèmes ayant émergé de l’atelier sur le vécu. Cet atelier a été un lieu d’échange entre femmes, séropositives, compagnes, mères, filles, de séropositifVEs, militantes associatives, et même une représentante de la Direction générale de la santé (DGS).
Ce qui ressort en premier lieu, c’est l’affirmation et la revendication d’une sexualité.
C’est ce que semblent découvrir peu à peu les actrices et acteurs non associatifVEs de la lutte contre le sida, à commencer par les médecins. Une représentante d’Ikambéré (association de lutte contre le sida et de santé communautaire par et pour les africaines vivant en France) a indiqué que, cette année, elle était très sollicitée sur ce sujet alors même qu’il était ignoré jusqu’alors. La sexualité est en effet rarement abordée au cours des consultations, tant en médecine infectieuse qu’en gynécologie. Avec qui en parler ? A qui poser des questions techniques ? A qui faire part de ses doutes, de ses inquiétudes ? Que peut-on se permettre ? Pour la représentante d’Ikambéré, il s’agit de se protéger, pas de forger des interdits qui ne correspondraient qu’à des protections imaginaires.
Mais la sexualité ne se réduit pas à des questions techniques ou médicales. L’atelier a fait aussi apparaître les envies des femmes séropositives de rencontrer des partenaires, pour un jour ou plus. La difficulté d’être constante dans la prévention au sein d’une relation stable pose des difficutés, notamment sur la relation aux autres et à sa maladie. De manière générale chez les femmes vivant avec le VIH, on rencontre de façon plus aiguë encore les problèmes que connaissent de nombreuses femmes : pouvoir parler de sexe et exiger le port du préservatif. Pouvoir parler du désir et considérer que, sous toutes ses formes, il est important d’arriver à le manifester et à le faire entendre. La même représentante associative insiste ainsi sur le fait que, alors même que la sexualité est généralement un sujet tabou, les femmes séropositives africaines qu’elle rencontre à Ikambéré parlent de leur sexualité avec une grande liberté.
Une question centrale est apparue : faut-il annoncer sa séropositivité ou non ?
Le dire au début d’une relation, c’est s’exposer au rejet, toujours craint, parfois démenti mais trop souvent vécu. Et s’il n’est pas dit au début, comment le dire ensuite, lorsque la relation se prolonge ? Ne pas le dire, est-ce commencer une relation sur de mauvaises bases ? Etant donné la stigmatisation du VIH, est-il illégitime de vouloir décider dans quelles conditions on en parle ? Plus encore, que signifie ce devoir ressenti de dire ce qui nous concerne intimement ?
Cette partie du débat rebondira sur la rencontre organisée le 12 mars à Lyon par la Frisse (Femmes, réduction des rIsques et sexualité), où des femmes séropositives ont réaffirmé leur droit de décider de parler – et à qui – de leur contamination. Notre responsabilité n’est pas seulement de protéger les autres, mais aussi de nous protéger, des infections sexuellement transmissibles, des surcontaminations par d’autres souches du VIH, et des co-infections par les hépatites virales. La contamination fait d’abord partie de notre histoire, et ne regarde que nous. On peut avoir besoin d’un temps, qui peut durer plusieurs années, pour accepter ce nouvel élément de notre vie. On a le droit de n’en parler qu’aux personnes que l’on choisit, à celles dont on pense qu’elles vont pouvoir nous aider. Cette question est l’occasion d’échanges de «trucs» : depuis le grand jeu d’aller se faire dépister et de jouer la découverte de la séropositivité, jusqu’aux tactiques prudentes et progressives, comme laisser traîner dans l’appartement des documents associatifs, aborder la question du VIH en général : «qu’est-ce que tu penses du VIH, des personnes qui vivent avec le VIH ?»…
L’annonce de la séropositivité ne se heurte d’ailleurs pas toujours à un rejet, mais aussi à de l’incrédulité : l’épidémie est aussi le lieu du déni, elle concerne tellement les autres dans les représentations majoritaires qu’elle ne pourrait pas concerner la personne qui est en face de vous, et notamment la femme qu’on désire. A ce titre, ce dont témoignent les femmes séropositives est un nouvel indicateur de l’échec des politiques de prévention auprès des hétérosexuelLEs ou au moins de ce qui constitue un fort facteur de résistance chez eux, elles. Les hommes rencontrés n’imaginent pas se trouver face à une femme séropositive. Certaines annoncent leur séropositivité pour que l’usage du préservatif se systématise, et c’est alors qu’elles rencontrent des résistances : leur partenaire ne veulent pas l’utiliser, voire le retirent subrepticement. Les femmes hétérosexuelles séronégatives peuvent cumuler deux types de difficultés : leur propre déni de l’épidémie et la difficulté d’imposer des pratiques sûres dans leurs relations sexuelles.
D’autres questions sont apparues, comme la situation des jeunes filles séropositives qui vont commencer leur vie affective et sexuelle, avec la difficulté de gérer le fait de dire ou pas sa séropositivité additionné à toutes les autres questions à affronter à cet âge. «Il faudra qu’elle soit deux fois plus forte», ont répondu plusieurs participantes.
Le thème de la sexualité avait été choisi non seulement au vu de ce qui avait émergé dans l’atelier qui lui avait été consacré l’an dernier, mais aussi parce nous nous étions aperçu que ce thème traversait également les autres ateliers (traitement , désir d’enfant, Nord-Sud-Est-Ouest). Ce qu’a fait apparaître l’atelier du matin consacré au vécu, c’est le besoin de lieux pour les femmes séropositives, de lieux pour se rencontrer, échanger, puiser de nouvelles forces, mais aussi des lieux d’organisation collective pour interpeller médecins et pouvoirs publics, et faire bouger les normes et les conditions sociales auxquelles nous nous heurtons.