Régis Debray et d’autres ont collaboré avec Pfizer pour leur campagne « La santé d’âge en âge ». Il apporte ainsi sa caution morale au premier producteur mondial de médicaments qui fait le commerce de nos vies, en plaçant le profit avant les intérêts des malades. Dans le même temps, on peut trouver dans son dernier ouvrage Le Plan Vermeil, des propos d’une stupidité affligeante et dangereuse, sur le sida et les gays.
Hervé Le Bras, démographe, Marc Guillaume, prof d’université, François Ewald, professeur au Conservatoire national des arts et métiers et Régis Debray, philosophe, nous étaient plus ou moins connus et sympathiques. Ces quatre intellectuels viennent de perdre le capital de crédibilité, très restreint pour certains d’entre eux, auquel ils pouvaient encore prétendre. La raison ? Leur participation enthousiaste à une campagne de pub pour Pfizer « La santé d’âge en âge » parue à l’automne dernier. Chaque expert a, dans son registre propre, écrit un court texte publié dans la presse en encart et associé au logo de Pfizer. Les interventions, malgré leur diversité, tendent au même sujet : l’appel à plus de respect pour les personnes âgées, plus d’attention à leur santé et plus d’effort dans la prise en charge de leurs soins.
Régis Debray écrit sans peur du ridicule : « le vermeil, quand on n’est pas très riche, est encore assez noir. Souvent à charge, parfois à l’abandon, à en crever, quelquefois. Inutile de le peindre en rose, le vermeil. Rendons lui simplement les couleurs de l’automne – une si belle saison. Les changeantes couleurs de l’homme, qui reste homme jusqu’au bout ». Marc Guillaume, lui, conspue la logique comptable qui affirmerait que « la santé n’a pas de prix, mais elle a un coût ». François Ewald milite pour un système de santé où la prévention prendrait toute sa place par rapport à la médecine actuelle fondée sur les soins. Hervé Le Bras montre, chiffres à l’appui, l’attention qu’il faut accorder au rallongement de l’espérance de vie et au vieillissement de la population. Rien de scandaleux donc, à première vue, dans ces textes qui enfoncent plutôt des portes ouvertes quand ils ne sombrent pas dans le pathos ridicule de Régis Debray.
Sauf qu’il ne s’agit pas de contribution à un colloque ou de tribune dans un journal, mais bien d’une pub pour Pfizer. Le laboratoire assure une grande part de ses profits avec des molécules qui s’adressent en priorité aux personnes âgées : le Viagra, blockboaster de la firme, ou encore des traitements contre la maladie d’Alzheimer. Le supplément d’âme que nos intellectuels s’efforcent de donner à la firme en appelant à la solidarité vis-à-vis du « vermeil » n’est qu’en fait une minable tentative pour réclamer des clientEs un peu plus solvables, un marché plus ouvert et plus sûr. On les prenait pour des intellectuels, ce sont juste des lobbyistes, voire des visiteurs médicaux.
Car des intellectuels dignes de ce nom n’hésiteraient pas à poser au laboratoire quelques questions. Pourquoi Pfizer n’a-t-il eu de cesse de camoufler les effets secondaires extrêmement graves, voire mortels, de son anti-inflammatoire, le Celebrex ? Pourquoi met-il en place des essais sur une nouvelle molécule anti-VIH dans des conditions éthiques douteuses ? Hervé Le Bras tente de nous faire pleurer en nous rappelant que « l’espérance de vie diminue en Afrique subsaharienne où le sida l’a parfois amputée de dix ans. ». Il n’évoque évidemment pas la responsabilité de Pfizer dans cet état de fait. Le labo ne cesse de protéger, par tous les moyens, y compris la violence physique contre des militantEs ou des responsables internationaLESux favorables aux génériques, le brevet sur le fluconazole, une molécule indispensable pour le traitement de maladies opportunistes associées au sida. De même, c’est Pfizer qui, en août 2003, a conduit la délégation américaine lors des négociations de l’OMC à Cancun et a conclu un nouvel accord sur la propriété intellectuelle, qui, de fait, rend impossible l’exportation de génériques. Et c’est à ces gens-là que quatre « intellectuels » français apportent leur caution en défendant le slogan : « La vie, nous y consacrons notre vie.»
La palme de l’obscénité revient sans doute à Régis Debray. Non content de servir la soupe à Pfizer, il faut encore que dans son dernier ouvrage Le plan Vermeil, il établisse une concurrence entre le sida et la maladie d’Alzheimer : si la lutte contre cette dernière dispose de trop peu de moyens, ce n’est pas à cause de l’incompétence ou le manque de volonté politique des responsables sanitaires, c’est parce que « le temps d’antenne et les budgets vont aux sidéens ». Cet argumentaire, relevé par Têtu dans son numéro de janvier, est à vomir. Le « philosophe » passe par l’homophobie la plus éculée (c’est le lobby gay qui serait responsable), relativise l’impact du sida, et évite, en prenant les sidéenNEs pour bouc-émissaire, de poser réellement les responsabilités de cette situation. Un comble pour un supposé « philosophe ».