Il n’y a plus de doute : le virus de la grippe aviaire est aux portes de l’Europe. Que va-t-il advenir de nos 18 millions de volailles françaises élevées en plein air… et de nous ? Petit abrégé des recommandations à l’usage de la population générale et des personnes séropositives, si le virus venait à se transmettre, de la poule à l’homme, en passant par le cochon.
Les autorités roumaines ont fait état le vendredi 7 octobre, de l’existence de trois cas de grippe aviaire parmi des canards sauvages du delta du Danube, et la découverte d’un autre foyer dans un élevage en Turquie a conduit à l’abattage de 2000 dindes. Tout laisse penser que la Grèce, la Macédoine et la Croatie seraient également touchées, ce qui semble confirmer l’hypothèse d’une propagation du virus par des oiseaux migrateurs venus de l’Oural russe.
Les mesures d’urgence qui ont été prises prévoient notamment la vaccination immédiate contre la grippe de plus de 100 000 personnes en Roumanie et l’interdiction par l’Union européenne de toute importation de viande de volaille, d’animaux vivants ou de plumes en provenance de Turquie. Des analyses ont en effet démontré que le virus incriminé est bien du sous-type H5N1, déjà responsable de la mort de plus de soixante personnes en Asie [[L’OMS fait état de 120 mortEs sur 234 cas documentés, donc une mortalité supérieure à 50%.]].
Divers expertEs s’accordent à dire aujourd’hui que l’Europe ne fera pas l’économie d’une pandémie, et qu’elle est peut-être imminente ; pour l’instant, il n’y a qu’un cas rapporté de transmission possible d’humain à humain. Tant que le virus n’a pas acquis cette capacité de diffusion interne à l’espèce humaine, il n’y aura pas de pandémie. En général, cette capacité est acquise lors de l’infection du cochon par les 2 virus (aviaire et humain).
Sous l’impulsion de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et de Bruxelles, les autorités sanitaires françaises ont élaboré dans cette hypothèse des scénarios d’action : la Direction générale de la santé (DGS) devrait d’ailleurs bientôt lancer une campagne d’information sur le sujet.
La vaccination
Le vaccin classique contre la grippe, préconisé pour les personnes âgées et à risques de complications, ne protège pas de la grippe aviaire. Les virus sont en effet sensiblement différents. En revanche, une campagne massive de vaccination devrait permettre de ralentir la progression de la pandémie. Il s’agit d’une part, du point de vue individuel, de réduire le nombre de cas de grippe classique afin de faciliter le diagnostic de la grippe aviaire, et enfin, du point de vue collectif, d’éviter au maximum la coexistence au sein d’un organisme humain, d’un virus de grippe aviaire, uniquement transmissible de l’animal à l’humain, et d’un virus de grippe classique, cette situation pouvant conduire à l’apparition d’un virus « réassorti » transmissible d’humain à humain et qui pourrait être à l’origine de la pandémie tant redoutée.
Il n’existe pas actuellement de consensus en matière de vaccination des personnes séropositives. Pour le professeur Jacques Reynes, du service des maladies infectieuses et tropicales, du CHU de Montpellier, on peut préconiser la vaccination dans le cas d’une charge virale contrôlée et d’un taux de CD4 supérieur à 200. En revanche, il convient de mettre en doute l’intérêt et l’innocuité du vaccin pour les personnes immunodéprimées (pas de contrôle de la charge virale et moins de 200 CD4).
Les traitements
L’oseltamivir, commercialisé sous le nom désormais célèbre de Tamiflu® et produit par le laboratoire suisse Roche, est à l’heure actuelle un des rares antiviraux actifs sur le virus de la grippe aviaire. Il peut être utilisé soit en traitement curatif (2 gélules par jour pendant 5 jours), ou bien en traitement post-exposition (1 gélule par jour pendant 7 à 10 jours). La rapidité de la prise du traitement, qui suit l’apparition des premiers symptômes ou le contact avec la personne atteinte, augmente de manière importante son efficacité. Pour les personnes fragiles, quelques cas anecdotiques et des données chez l’animal laissent supposer qu’une augmentation des doses et de la durée du traitement serait nécessaire pour stopper la réplication virale. La tolérance du Tamiflu® est plutôt bonne et on ne lui connaît pas d’interaction avec les ARV.
L’OMS estime que les réserves d’antiviraux de chaque état doivent permettre de traiter 25 % de sa population, contre 10 % aujourd’hui. L’État français a constitué un stock se montant à 5 millions de traitements (qui devrait atteindre 14 millions d’ici la fin de l’année). Devant les besoins annoncés, certains pays s’apprêtent à produire une version générique de ce médicament, en s’appuyant sur une disposition de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) qui autorise la reproduction d’une molécule en cas de risque de crise sanitaire. Roche cherche à parer cette éventualité en faisant savoir qu’il était disposé à accorder des licences secondaires de production de l’antiviral. Roche annonce aussi que ces licences ne seraient accordées que si une épidémie se déclarait, et non pas seulement dans le cas actuel d’une épidémie théorique.
Compte tenu du temps de mise au point du générique et de la mise en place des chaînes de production, il est probable que les médicaments génériques arriveraient trop tard !
En dépit des déclarations du Ministre de la santé (12 octobre) qui a affirmé que « tous les malades seraient traités » en cas de pandémie, si les stocks de Tamiflu® devaient s’avérer insuffisants, l’antiviral serait en priorité réservé aux personnes susceptibles de développer des formes graves, notamment les personnes âgées et les personnes immunodéprimées. Il n’y a, à ce jour, pas d’autres mesures spécifiques pour les personnes séropositives.
Résistances et alternatives thérapeutiques
Il n’existe aujourd’hui qu’un seul cas documenté de résistance au Tamiflu® (chez une enfant vietnamienne[[Cependant, bien que certains clones isolés chez cette enfant vietnamienne étaient résistants au Tamiflu®, au niveau clinique, elle a bien répondu au traitement et est maintenant guérie.]], Le Monde du 17 octobre). En revanche, « le risque d’acquisition de résistances et de transmission secondaire interhumaine n’est pas négligeable, avec des conséquences dramatiques si la souche est facilement transmissible » selon Jacques Reynes.
Le zanamivir, commercialisé sous le nom de Relenza® et produit par le laboratoire GSK est un antiviral alternatif possédant le même mécanisme d’action que le Tamiflu®. Cependant des résistances croisées entre les deux molécules ont été rapportées.
La mise au point d’un vaccin pré-pandémique s’attaquant à la souche H5N1 peut apparaître aujourd’hui comme une priorité. Cependant, on ne peut pas produire un vaccin contre un virus qui n’existe pas encore ! En effet, actuellement, le virus actuel H5N1 n’est pas transmissible d’homme à homme, comme la grippe classique. Il doit muter ou se recombiner pour y arriver. Toutefois, il est possible de préparer le matériel nécessaire et d’anticiper sur la disponibilité des chaînes de production à grande échelle, avec des tests accélérés, mais on ne peut pas, à ce jour, produire un vaccin assurément efficace chez l’humain.
Par contre, on peut produire des voisins pour les oiseaux (anti H5N1). Les délais nécessaires pour sa fabrication et la mise en œuvre d’une campagne de vaccination généralisée suscitent l’inquiétude de certainEs spécialistes qui prévoient, selon le pire des scénarios de l’OMS, une pandémie à l’origine de plus de 100 millions de mortEs à travers le monde. Mais là aussi, prudence : si la grande épidémie de 1918 a fait 50 millions de mortEs, les autres ont fait 2 millions et 1 million de mortEs.
Les systèmes sanitaires ayant une bien plus grande capacité à réagir, on irait plutôt vers une amélioration de la prise en charge stoppant l’épidémie ; cela grâce aux moyens actuels : antiviraux, vaccins développés à la hâte, mais aussi quarantaine, port de masques protecteurs, traitements prophylactique pour les soignantEs…