Alors que plusieurEs d’entre nous défileront pour leur droits à l’occasion de la Gay-Pride, la dernière avant les prochaines élections présidentielles, on n’entendra encore cette année peu parler de sida au sein du cortège parisien. Après plusieurs années de déni de l’ensemble du secteur associatif français tout le monde en convient pourtant aujourd’hui, les contaminations par le virus du sida ont dramatiquement augmenté en France ces dernières années notamment dans la population homosexuelle et chez les personnes d’origine étrangère.
L’Institut national de Veille Sanitaire (InVS) vient de publier les dernières données de la déclaration obligatoire de VIH/sida. Les chiffres sont tellement têtus que tout le monde semble s’y être habitué. En France comme dans le reste de l’Europe, l’épidémie est galopante et il n’y a jamais eu autant de personnes vivant avec le VIH/sida. Un homme sur deux chez qui l’on découvre une séropositivité est pédé. Dans la communauté gay, la prévalence atteint les 14%, c’est-à-dire que plus d’un homo sur dix est séropositif et le nombre de nouvelles contaminations augmente. Chez les hétérosexuels, la moitié des nouveaux diagnostics concernent des personnes originaires d’un pays d’Afrique subsaharienne ce qui ne signifie pas pour autant que les contaminations aient baissé chez les autres. On nous explique qu’il s’agit de pays où l’épidémie est fortement endémique, or tout montre que dans cette population d’origine étrangère l’épidémie est extrêmement active sur le territoire français. Alors qu’elle a moins souvent moins facilement accès aux soins, 10% des diagnostics de nouvelles séropositivités datent de moins de six mois. Surtout le fait que l’on relève une part très importante de contaminations par un sous-type viral relativement rare en Afrique montre bien que l’essentiel de ces contaminations a lieu sur le territoire national. Et l’InVS de découvrir qu’il y a de fortes interactions entre les ces différentes populations… Ces statistiques pour être implacables n’en sont pas moins myopes car elles sont un miroir déformant qui ne permet pas véritablement de rendre compte de la complexité actuelle de l’épidémie. Comment expliquer que l’épidémie de sida continue de toucher massivement des populations qui restent marquées par les discriminations et la précarité alors même qu’elle concerne de plus en plus la société dans son ensemble, hommes et femmes, hétéros et homos quelque soit leur âge, qu’ils ou elles soient célibataires ou en couple ? On nous ressort aujourd’hui l’idée confortable des groupes à risque qui permet d’éviter à chacun de s’interroger sur ses propres pratiques et son comportement individuel dans un contexte épidémique : le sida ne vous concerne pas, le sida c’est toujours les autres. Certains militent aujourd’hui pour la pénalisation de la transmission du VIH. Que doit-on alors comprendre du fait qu’il s’agit de la seule maladie pour laquelle on envisage le recours à la voie pénale ? Sur cette question, le Conseil National du Sida (CNS) vient de rendre un avis conforme aux représentations de la société à l’égard de l’épidémie. Parce que cet avis passe sous silence les présupposés moraux des jugements déjà rendus dans ce genre d’affaires, tout porte à croire qu’il ne sera d’aucune utilité pour encadrer les dérives qui ne tarderont pas à se renouveler. Il semble que la judiciarisation de la transmission du VIH serve surtout à exorciser la menace que le sida ferait peser sur notre vie sexuelle. Pour les biens pensant, il y aurait des gays irresponsables, des hommes ou des étrangers au comportement anormal et des séropositifs criminels. Cela permet d’abord de faire l’impasse sur les responsabilités collectives et politiques dans la propagation de l’épidémie de sida. La prévention est aujourd’hui un terrain déserté, les pédés se sont massivement désengagés, les acteurs associatifs exténués et les moyens mis à disposition de la prévention par l’état sont loin d’être à la hauteur de l’épidémie. Aujourd’hui lorsque quelqu’un découvre sa séropositivité on vous explique que ce n’est pas si grave, que l’on peut commencer à cotiser pour sa retraite. Pas besoin de se préoccuper, tout est rentré dans l’ordre, les médecins s’occupent de tout. On se convint tellement que tout ira bien que c’est la panique dès lors qu’il s’agit d’envisager un traitement ou qu’il y a un problème. Et si par malheur un malade venait à exprimer un quelconque malaise, une difficulté face aux traitements ou dans sa vie sexuelle et affective, elle ou il ne trouve nulle part où résoudre son problème. De quoi se plaint-il, sa charge virale est indétectable, ses T4 sont bons, il est séropo depuis plus de 20 ans, etc. Au ministère de la santé, pour l’attribution de l’Allocation adulte handicapé (AAH), des travailleurs sociaux même dans les associations de lutte contre le sida nous expliquent que le sida ce n’est plus si grave. Pourtant alors que la mortalité reste forte, au moins 5% des malades sont en échec immuno-virologique et 2% dans une situation d’impasse thérapeutique. 22% des séropositifVEs déclarent avoir fait une tentative de suicide au cours de leur vie, 67% des malades sous traitement subissent des effets secondaires. Socialement la maladie a des effets désastreux sur nos vies. Un tiers des femmes séropositives n’ont plus d’activité sexuelle. Seule une personne sur deux est professionnellement active et la proportion de personnes en invalidité est particulièrement élevée. Le risque d’être sans emploi est environ cinq fois plus élevé parmi les personnes séropositives que dans la population générale. Il y a actuellement une banalisation paradoxale de l’épidémie. Ceux qui prétendent rompre avec l’exceptionnalisme sida se gardent bien de nous dire de quel exceptionnalisme il s’agit. Le sida serait donc devenu une maladie comme les autres. Pourtant aucune autre pathologie n’est associée à de telles conséquences sur le plan social et affectif. Parcequ’il s’agit d’une maladie sexuellement transmissible, le sida reste fortement marqué par le stigmate, la discrimination et le jugement moral. Aujourd’hui prétendre rompre avec un prétendu exceptionnalisme sida apparaît comme un dernier avatar du déni.