Il reste encore beaucoup d’interrogations liées à la co-infection* VIH-VHC. Les traitements antiviraux sont plus nombreux dans le domaine du VIH que dans celui des hépatites. En dehors des traitements, il reste à déterminer quels peuvent être les critères permettant de minimiser l’évolution des lésions du foie.
En France aujourd’hui on estime que un séropositif sur trois est co-infecté par le virus de l’hépatite C (VHC). Maladie chronique du foie qui peut conduire au fil des années à la cirrhose voir au cancer, l’hépatite C est devenue la troisième cause de décès des personnes vivant avec le VIH. Malgré le succès récent des traitements anti-VHC comprenant une bithérapie interféron pégylé et ribavirine, les possibilités de guérir l’hépatite C chez les co-infectés VIH restent encore limitées. De plus, l’infection VIH diminue l’efficacité du traitement anti-VHC (27 à 40 % selon les résultats des essais Apricot et Ribavic). Que nous reste-t-il comme stratégie, en cas d’échec ou d’arrêt de traitement ?
L’étude du Pr. Brau
Une réponse intéressante est apportée par un article paru dans une revue scientifique le Journal of Hepatology de janvier 2006. Elle relate une étude menée par le Pr. Brau au centre médical des vétérans G I, dans le Bronx à New York et à l’université de médecine de Puerto Rico, à San Juan. Dans une cohorte de 656 personnes infectées par le VHC dont la moitié étaient co-infectées par le VIH et sous multithérapie, il s’agissait d’évaluer l’incidence de la charge virale VIH et du taux de CD4, à partir du taux de progression de fibrose par an.
On sait que chez les personnes co-infectées VIH-VHC la fibrose progresse beaucoup plus vite que chez les personnes mono-infectées. Après un délai de 25 ans, plus de 60 % en moyenne des co-infectés VIH-VHC développent une cirrhose, comparé à environ 10 % des personnes infectées par le VHC seul. Cette aggravation est en grande partie due à l’immunodépression liée à l’infection VIH. On savait déjà qu’un taux de CD4 inférieur à 200 CD4/mm3 accélère vraiment la progression de l’hépatite C chez les co-infectés. Mais grâce à l’étude du Pr. Brau, on a pu déterminer des seuils plus précis qui permettront de guider une prise en charge et surtout si nécessaire de choisir un traitement antirétroviral mieux adapté.
Au départ, contrairement à la plupart des études comparatives entre mono-infectés VHC et coinfectés VIH-VHC, l’équipe du Pr. Brau n’a pas remarqué une différence si grande en termes de taux de progression de fibrose (TPF) entre les deux groupes. Nous indiquerons ces valeurs d’écarts en unité de fibrose par an (UFA), selon le score d’Ishak (Le score d’Ishak est américain, gradué de 1 à 6 de la fribrose à la cirrhose). Entre mono et co-infectés VIH, l’écart était de 0,008 UFA (0,128-0,136), c’est-à-dire pratiquement pas de différence. C’est donc en affinant les résultats selon les critères suivants que les écarts sont devenus significatifs et riches d’enseignement.
D’après la charge virale VIH
– En cas de charge virale VIH détéctable, c’est-à-dire entre le groupe ayant une charge virale VIH inférieure à 400 copies/mL, et ceux ayant une charge virale détectable, l’écart était de 0,029 UFA (0,122-0,151), donc beaucoup plus fort. Une charge virale VIH détectable devient donc un critère isolé suffisant d’aggravation et d’accélération de fibrose.
– En comparant deux groupes ayant une charge virale inférieure et supérieure à 100 000 copies/mL, l’écart est alors de 0,051 UFA (0,145-0,196). Il apparaît clairement qu’un échappement virologique VIH peut donc avoir des conséquences certaines sur l’aggravation de la fibrose, s’il n’est pas rapidement pris en charge et contrôlé par une nouvelle combinaison antirétrovirale plus puissante.
D’après le taux de CD4
– Avec un taux de CD4, inférieur versus supérieur à 200 CD4/mm3, l’écart était de 0,030 UFA (0,131-0,161).
– Avec un taux de CD4, inférieur versus supérieur à 350 CD4/mm3, l’écart était de 0,034 UFA (0,121-0,155).
– Avec un taux de CD4 compris entre 350 et 500 CD4/mm3 et une charge virale VIH inférieure à 400 copies/mL, la fibrose progresserait à la même vitesse que chez les mono-infectés VHC. C’est le fait d’avoir une charge virale VIH supérieure à 400 copies/mL, qui faisait la différence entre 350 et 500 CD4. L’écart était alors de 0,039 UFA (0,123-0,162). Dans cet écart, le taux des CD4 n’a pas d’influence. On peut donc considérer qu’un co-infecté VIH-VHC ayant un traitement antirétroviral efficace, lui garantissant une charge virale indétectable, aura une progression de fibrose équivalente à un mono-infecté VHC.
– Chez les co-infectés avec un taux de CD4 supérieur à 500 CD4/mm3 on a constaté que, quelle que soit la charge virale VIH, l’écart est identique à ce que l’on voyait chez les mono-infectés. Dans l’idéal, une personne co-infectée VIH-VHC ne devrait jamais descendre en dessous du seuil de 500 CD4/mm3 si elle ne veut pas voir sa fibrose s’accélérer plus rapidement que pour des mono-infectés VHC.
De la théorie vers la pratique ?
Cette étude du Pr. Brau a été déterminante pour les premières recommandations en mars 2005 sur la co-infection VIH-VHC. Elles recommandent de proposer un traitement antirétroviral à toute personne co-infectée ayant un taux de CD4 inférieur à 350 CD4/mm3, avant d’envisager l’initiation d’un traitement anti-VHC.
Cette étude, nous l’espérons, permettra de pouvoir mieux discuter et dialoguer avec son médecin (infectiologue, hépatologue et médecin généraliste) afin de stabiliser son état de santé.
A retenir
Même si les critères immunologiques ne nécessitent pas de commencer un traitement et que le taux de CD4 est stable entre 200 CD4/mm3 et 500 CD4/mm3, il y a un intérêt certain à initier une thérapie antirétrovirale pour minimiser la progression de la fibrose. C’est au minimum trois mois après l’initiation d’une multithérapie, qu’un médecin pourra envisager dans le meilleur cas, l’initiation conjointe d’un traitement de l’hépatite. Il faudra aussi une bonne éducation thérapeutique à la personne et à son entourage pour la gestion des deux traitements anti-VIH et anti-VHC et de leurs effets secondaires.