Le 23 septembre 2002, le groupe IPPOTHES donnait à l’occasion d’une conférence de presse les résultats de l’enquête 2001 sur « les femmes et l’observance dans le VIH ».
Aujourd’hui, en France, les femmes représentent un tiers des personnes infectées par le VIH. Peu impliquée sur la question, la recherche se base essentiellement sur les hommes. Les traitements sont testés sur eux, les effets secondaires rapportés à leurs mensurations, les problématiques étudiées excluant toute information concernant les femmes. Il y a 3 ans, l’observance a été étudiée par Ippothes, et le groupe a décidé de pousser plus loin les investigations concernant l’observance des femmes. L’observance des traitements est essentielle dans la lutte contre le VIH. Face à un virus qui mute si « facilement », l’oubli de prises peut rapidement amener à des résistances et à des échecs aux lourdes conséquences. Quand en plus, on sait à quel point la précarité est un facteur qui dessert l’observance et le suivi nécessaire à la lutte contre le virus , l’enquête du groupe Ippothes était attendue. On peut regretter que cette étude n’ait pas plus creusé la question. Les critères retenus sont pourtant intéressants, car ils donnent une vision large de ce qu’est la précarité. Mais le modèle « un jour donné » ne permet pas d’approfondir tous les sujets en lien.
en 1999
Le groupe IPPOTHES (Initiative Pratique Pour l’Observance THErapeutique dans le Sida) a été créé en juillet 1998, pour réfléchir à l’observance des traitements de l’infection à VIH. Il a déjà réalisé une première enquête en 1999 sur l’observance au sein de populations multivulnérables et vient d’en terminer une deuxième, axée sur les femmes cette fois.
contexte de l’étude
L’enquête de 1999 a fait apparaître une différence entre hommes et femmes dans l’observance des traitements anti-VIH. Au sein de populations multivulnérables, les femmes sont apparues moins observantes que les hommes à 56% versus 69%. La question a alors été de savoir si l’impact des conséquences sociales et affectives de la maladie rendait l’observance des traitements plus difficile et si le degré de vulnérabilité des femmes compliquait l’accès aux soins et l’observance des traitements.
quels sont les objectifs
L’enquête de 1999 avait différents objectifs. D’abord décrire les difficultés pratiques de prises des médicaments dans l’infection à VIH parmi des populations fragilisées, puis proposer des recommandations pour la détection et la prise en charge de ces défauts d’observance.
quels étaient les critères d’inclusions ?
Il fallait être séropositif, recevoir un traitement antirétroviral depuis plus de 6 mois et souffrir d’au moins deux situations de vulnérabilité (hébergement précaire, absence de ressources, difficultés d’insertion, faible niveau scolaire, absence de travail, absence de couverture sociale immédiate, de suivi médical, etc.)
comment s’est déroulée l’étude ?
L’enquête a démarré le 17 décembre 1998 et a recruté pendant 6 mois. 528 patients ont été recrutés 66% venant de l’hôpital, 27% de centres médico-social et 7% de prisons.
quels sont les résultats ?
65% des patients ont été classés bons observants, c’est-à-dire qu’ils prenaient tous les médicaments prescrits, sans exception, avec des interruptions possibles ne dépassant pas une semaine sur les 6 derniers mois.
Les femmes étaient significativement plus jeunes que les hommes.
La présence d’enfant était un facteur défavorisant chez les femmes car, en l’absence d’enfant, l’observance était comparable.
Les femmes étaient d’autant moins observantes que la maladie était avancée.
Lorsque le traitement est choisi avec le médecin, l’observance était comparable, mais en cas de traitement imposé l’observance est moindre.
en 2002
Afin d’approfondir ces différents résultats, une nouvelle enquête a été lancée en 2001, axée sur l’observance de toutes les femmes traitées pour une infection à VIH, en situation ou non de précarité, et voir comment la vulnérabilité peut interagir avec l’observance.
à qui s’est adressé cette étude ?
Les 668 femmes ayant participé à cette étude sont âgées en moyenne de 39 ans, 58% vivent seules et 10% sont veuves, 66% ont un ou plusieurs enfants (2 en moyenne) et la moitié de ces enfants vivent avec leur mère. 33% expriment un désir de grossesse et 60% ont un partenaire sexuel, connu comme étant séronégatif dans 62% des cas. 42% sont d’origine étrangère et sont en France depuis 12 ans et demi en moyenne. Seules,15 femmes sont venues pour se faire soigner.
La moitié des participantes connaît son nombre de CD4 et la valeur de sa charge virale. 72% des femmes sont sous trithérapie et 9% sous bithérapie, 96% considèrent leur traitement comme efficace. 88% se sentent en confiance avec leur médecin et 98% ont un médecin attitré. 63% font un frottis vaginal chaque année, 46% ont déjà subi une IVG. Enfin, 43% sont fumeuses, avec une moyenne de 18 cigarettes par jour.
58% sont au stade A, 18% au stade B, 24% au stade C et ont donc déjà développé un sida. 28% sont co-infectées par une hépatite chronique et 90% de ces hépatites sont liées au VHC. Concernant les effets secondaires, 46% se plaignent de lipoatrophie et 52% d’accumulation graisseuse, 1 femme sur 3 décrit des douleurs de neuropathie et des douleurs musculaires. 132 femmes ont refusé de participer à cette étude.
quels étaient les objectifs de l’étude ?
L’enquête avait trois objectifs principaux.
D’abord, décrire la population des femmes prenant un traitement antirétroviral depuis plus de 6 mois, et se présentant en consultation dans un centre de prise en charge médicale.
Ensuite, comparer l’observance entre 2 groupes de femmes, définis par la présence ou l’absence d’un facteur de risque de vulnérabilité et/ou de précarité.
Enfin, identifier les facteurs qui influencent l’observance des traitements de l’infection à VIH.
quels étaient les critères pour y entrer ?
Etre une femme, séropositive, sous traitement antirétroviral depuis plus de 6 mois, que celui-ci ait été pris ou non.
quels étaient les critères d’évaluation ?
Au nombre de trois, les critères d’évaluation concernent la bonne observance, la précarité et la vulnérabilité.
– La bonne observance est définie comme une prise de plus de 95% des doses du traitement prescrit lors des 4 jours précédents. Mais les prises doivent aussi être régulières, correspondre à la prescription tant pour les doses que pour le nombre, sans interruption (ou inférieure à une semaine) ni oubli.
Avec des prises dépassant 95% des doses et des réponses favorables aux critères secondaires, 74% des patientes ont été classées « bonnes observantes ».
– La situation de précarité est définie comme une fragilité de la personne liée à des conditions socio-économiques affectant lourdement les conditions de vie.
Avec ces critères, les résultats de l’enquête montrent que 5% n’ont aucun toit ou sont logées en foyer-hôtel social ou en appartement thérapeutique. 11% ne prennent aucun ou un seul repas par jour. 36% des patientes ont des revenus inférieurs à 534 € / mois (101 femmes vivant seules) ou inférieurs à 915 € / mois (au moins une personne à charge), 13% n’ont aucun diplôme ou un niveau d’études primaires, 52% sont sans activité professionnelle (dont 37% sont en invalidité). 96% bénéficient de la Sécurité Sociale, 33% de la CMU, 6% de l’Aide Médicale Rénovée.
– Proche des critères définissant les situations de précarité, la vulnérabilité se définit par une fragilisation liée aux conditions socio-culturelles ou à l’état psychologique.
Les résultats montrent que 2% se prostituent occasionnellement, 50% n’ont pas de libido, 33% sont dépressives, 11% des femmes ont déjà été hospitalisées en psychiatrie, 28% déclarent être ou avoir été toxicomane, 33% consomment de l’alcool (7 verres par jour en moyenne) et 3% consomment régulièrement des psychotropes.
comment s’est déroulée l’étude ?
L’étude a été menée durant 6 semaines, du 2 avril au 9 mai 2001. Un auto-questionnaire anonymisé était distribué aux femmes participantes. Avec ou sans l’aide d’un enquêteur, elles répondaient aux 82 questions. Les données médicales ont été validées par le soignant.
quels étaient les centres concernés ?
Cette étude épidémiologique transversale a été réalisée sur 37 centres partenaires (16 en Ile-de-France, 8 en région PACA, 11 dans les autres départements, 1 en Guadeloupe et 1 à la Réunion).
quels sont les résultats ?
Les conclusions qu’en tirent l’équipe d’IPPOTHES, montre que le degré de vulnérabilité, aggravé par la précarité, complique l’accès aux soins et l’observance aux traitements. Cette vulnérabilité est tant épidémiologique (les femmes représentent 47% des cas de sida des 15 – 29 ans) que biologique (le risque transmission homme/femme est multiplié par 24). L’équipe a conclu que chez les femmes, il faut lutter encore plus contre la précarité et l’ignorance pour améliorer l’observance aux traitements. Les préjugés médicaux restent un obstacle à l’évaluation et au suivi de l’observance, d’où l’importance du parcours extra-médical. L’âge joue également sur l’observance : les femmes observantes sont un peu plus âgées que les non-observantes (moyenne de près de 39,56 ans versus 37,26 ans). Par contre il n’y a pas de lien avec la situation maritale, la nationalité française, la date d’arrivée en France, le fait de posséder ou non une carte de séjour, le niveau d’études ou le fait de savoir lire ou parler le français.