C’est le début de l’été, on a rangé les pancartes de la Gay Pride, et on se dite, enfin les vacances … On va pouvoir souffler un peu, redécorer le local, ranger son bureau, etc. Naïfs …
L’été, les services sociaux sont en demi-sommeil, le personnel hospitalier part en vacances. Ceux qui restent sont débordés. L’été, la situation des séropositifs les plus précaires est pires encore que le reste de l’année. Petite revue des situations les plus graves auxquelles nous avons été confrontés.
Hébergement d’urgence
Madame P., arrive à Paris à la mi-juin. Zaïroise, séropositive, veuve d’un ressortissant français, elle est venu en France pour s’y faire soigner. Elle n’a aucune attache dans la capitale. Sans logement, elle est hébergée par le Samu social qui, en fonction des places vacantes, la déplace d’un foyer à un autre. Elle ne bénéficie d’aucun soutien dans ses démarches de demande de titre de séjour.
Trois semaines après son arrivée, Madame P. sollicite Act Up. Personne au Samu « social » ne l’a orientée vers les structures gérées par les associations de lutte contre le sida (hôtel ou résidence), ni ne lui a fait de certificat d’hébergement pour accompagner sa demande de titre de séjour. Il faudra l’intervention d’Act Up et de l’assistante sociale de l’hôpital où elle est suivie pour que Madame P. soit intégrée dans le circuit approprié.
10 personnes ont sollicité Act Up pendant l’été pour un hébergement d’urgence. Certaines avaient déjà déposé des demandes auprès de structures spécialisées, malheureusement débordées ; d’autres venaient sur les conseils de leur médecin ou de leur assistante sociale – comme si Act Up était là pour faire leur travail.
Expulsions
Jean M., séropositif au VIH et au VHC, gravement handicapé, vit avec son ami dans un atelier, sous un bail commercial. Tous deux cumulent une importante dette locative. En décembre 1999, ils ont fait une demande d’appartement social, mais n’ont pas obtenu de réponse favorable.
Au 10 juillet 2001, sous le coup d’une menace d’expulsion, ils viennent à Act Up. Compte tenu de l’état de santé de Jean M., il est hors de question qu’il se retrouve à la rue.
Contacté par Act Up, un responsable du cabinet de N. Delanoë déclare à propos de la dette locative : « il faut aussi rappeler aux gens qu’ils ne peuvent pas vivre éternellement au-dessus de leurs moyens ». Comme si Jean M. avait tel choix ! Un autre interlocuteur nous assure que le dossier est suivi avec attention. Il n’empêche que l’ordre d’expulsion est maintenu : le couple a jusqu’au 31 juillet pour quitter les lieux.
Grâce aux pressions d’Act Up et d’élus d’arrondissement, l’ordre sera levé la veille de son exécution, et une proposition d’appartement social est enfin faite.
Pourquoi a-t-il fallu attendre 18 mois et une dette locative de plus de 400 000 francs pour qu’une solution soit trouvée ? La Préfecture, qui a pour tâche de prévenir ces expulsions et d’offrir dans le cadre du POPS (Protocole d’Occupation du Patrimoine Social) des logements aux plus démunis, se défend en invoquant des dysfonctionnements liés à l’arrivée de la nouvelle équipe municipale. Cela ne semble pourtant pas la gêner pour menacer d’expulsion des personnes gravement handicapés.
Cet été 4 personnes sous le coup d’une expulsion ont été reçues par Act Up. Pour l’instant, une seule a été relogée. Parmi les autres, deux menacent d’entamer une grève de la faim si elles sont jetées à la rue.
COTOREP
Un transfert de dossier depuis un autre département cumulé à un renouvellement d’Allocation Adulte Handicapé (AAH), c’est apparemment trop pour la COTOREP. Ainsi, au 5 juillet, le dossier déposé en avril par Stéphane, coinfecté par le VIH et le VHC, n’a toujours pas été étudié par la COTOREP, tandis que de son côté la Caisse d’Allocation Familliales a cessé de lui verser l’AAH depuis deux mois. Accumulant les dettes, Stéphane vit avec les 200 francs par semaine que l’association Arc-en-Ciel peut lui donner.
Il faudra finalement intervenir auprès de la DDASS, puis de la COSA (Commission pour les Simplifications Administratives) pour qu’enfin la COTOREP informe Stéphane de la situation de son dossier et le traite de façon prioritaire. Fin juillet, celui-ci a enfin pu recevoir une partie de l’AAH qu’il touche désormais normalement.
Entre juillet et août, nous avons reçu 6 témoignages similaires. Il s’agit systématiquement d’un retard dans le traitement de dossiers de renouvellement des prestations de la COTOREP.
En décembre 1998, suite à un zap d’Act Up, sa directrice de l’époque, Annick Morel, s’était engagée à ce que les délais ne dépassent pas deux mois, comme la loi l’impose, et que les CAF, du moins à Paris, ne suspendent pas les versements d’allocation tant que la COTOREP n’a pas transmis sa réponse. Le standard devait également être amélioré, pour une meilleure information des usagers. Deux ans et demi plus tard, il ne reste rien de ces promesses.
Accueil à l’hôpital
G., militant d’Act Up, témoigne : « A cause d’une écharde dans le pied que j’avais cru correctement nettoyée début juin, je vais aux urgences de Saint-Antoine, le lundi 18 juin, parce qu’une infection douloureuse m’empêche de marcher. Le service est débordé et on m’annonce une attente d’environ quatre heures. Je décide de revenir le lendemain. Mardi, l’attente est de trois heures. Je patiente. La tension entre les malades et les responsables de l’accueil des urgences est extrême. On me prescrit finalement des antibiotiques et on me conseille d’attendre quelques jours pour voir comment les choses évoluent.
Une semaine plus tard, ça ne s’est pas arrangé. Je décide de changer de service et je vais au service orthopédique de l’hôpital Saint-Louis, consultations sans rendez-vous. Le médecin m’apprend qu’une opération est nécessaire. Comme le service d’orthopédie de Saint-Antoine où je devrais aller est totalement débordé, elle me dirige vers l’hôpital Lariboisière. Après deux heures d’attente aux urgences de Lariboisière, un chirurgien me reçoit et me demande de revenir le lendemain faire des examens et être opéré en fin d’après midi.
Le jour dit, la préparation, l’opération et le réveil se passent très bien. Ma coinfection VIH-VHC et mes multitraitements sont correctement pris en compte. La prise en charge anti-douleur est parfaite. Pourtant, au moment de sortir de l’hôpital le lendemain, encore sous l’effet des antalgiques, je ne me rends pas compte de deux problèmes :
– je n’ai vu aucun médecin ou interne et donc je ne sais pas ce qui m’est arrivé, ce que je dois faire à présent, combien de temps ça va durer et quelles sont les contraintes.
– devant l’ascenseur, je réalise qu’il me faut des béquilles.
Je cherche donc la chef de service infirmière pour qu’elle me fasse une prescription pour des béquilles. « Ca peut servir ! » dit-elle. J’ai rendez-vous le lendemain, vendredi 29 juin, vers 10 heures, pour refaire des pansements.
L’infirmière défait le bandage et tire le pansement d’un coup sec. Mon hurlement lui rappelle qu’elle vient de m’arracher les drains. Comme elle dit, « Parfois ça colle un peu ! ». Elle finit le pansement sans ménagement et m’annonce sans autre explication qu’il faut faire trois pansements par semaine, qu’ils sont débordés dans ce service et ne pourront en assurer qu’un sur trois, que je dois trouver un infirmier privé qui me fasse les soins à domicile pour les deux autres. J’apprends aussi que j’en ai pour au moins deux mois et demi de béquilles.
Nous sommes donc le vendredi et je dois trouver un infirmier privé pour le lundi. Je contacte l’infirmière qui m’a fait mes premières injections de PEG-interféron. Elle me rappelle le lundi, elle est débordée et ne pourra pas assurer le pansement. Elle s’étonne que l’hôpital n’ait pas mis en place une HAD (hospitalisation à domicile). Selon elle, c’est en effet à eux d’assurer la continuité des soins. Après avoir appelé en vain une dizaine d’infirmière privées, je décide d’hurler auprès de l’hôpital. Je les appelle. La responsable du service orthopédique me dit de passer le lendemain matin.
Le mardi 3 juillet la chef de service s’excuse finalement er reconnaît que « l’HAD aurait dû être mise en place dès le début ».
Accueil aux urgences, accès à l’information, continuité des soins, des dizaines de témoignages sont parvenus à Act Up et attestent de problèmes graves sur chacun de ces aspects de la prise en charge médicale. La situation des urgences a été largement médiatisée pendant l’été, comme chaque année. Rien n’a pourtant été fait pour anticiper les problèmes.
La rentrée sera chaude.
Sol En Si, en liquidation judiciaire, cesse la quasi-totalité de ses activités, et notamment tout ce qui concerne le logement. Ce ne sont pas moins de 85 familles qui doivent être logées à Paris et en banlieue. Des conventions entre Sol En Si, les DDASS et d’autres associations sont actuellement en discussion, sans pourtant qu’aucune garantie de financement ne soit donnée.
Comment des structures associatives pourraient-elles reprendre l’activité de Sol En Si alors qu’elles n’ont aucun moyen de le faire ? Depuis un an, la FNH-VIH, qui regroupe les associations gérant les Appartements de Coordination Thérapeutique (ACT), dénonce l’attitude des pouvoirs publique qui promettent des subventions, mais ne les versent pas. Aucun financement n’a, en effet, été débloqué depuis janvier et de nombreuses associations sont dans une situation critique. Les structures les plus petites ferment, sans que les grandes puissent récupérer leurs activités. La FNH-VIH quant à elle est depuis le 1er septembre contrainte de refuser toute nouvelle demande d’ACT.
La période des vacances révèle les carences des dispositifs de prise en charge médico-sociale. Carences que les pouvoirs publics ne sont pas prêts à combler : le sort de Sol En Si et des structures d’ACT en est la preuve. Après un été pourri, c’est un automne chargé qui s’annonce.