Maladie chronique, il paraît pour qui a de la » chance « . Car ces temps-ci, le VIH mute. Et ce faisant, il échappe à l’action des antirétroviraux les plus communs. Beaucoup d’études menées ces dernières années ont observé ces mutations, et leurs résultats se recoupent. Une dizaine d’entre elles a été présentée sur ce thème à la dernière conférence de Durban cet été. Les observations sont concordantes. Les recommandations peuvent diverger, mais toutes observent les mutations des gènes du VIH.
Contrer un virus qui mute
On connaît le processus de pénétration du virus dans l’organisme, on connaît également son mécanisme de réplication. Des schémas compréhensibles pour les néophytes figurent dans un ouvrage paru l’année dernière, intitulé » les accidents d’exposition au VIH « . Quand on décompose le cycle de vie du virus et les sites d’action des antirétroviraux, on aperçoit les champs d’application des molécules actuelles et les voies de recherche intéressantes pour mettre au point des traitements efficaces contre toutes les étapes de la réplication du virus. Actuellement, seule l’inhibition de la protéase [[Inhibiteurs de la transcriptase inverse : antiviraux ayant pour cible la transcriptase inverse, enzyme du VIH qui lui permet de transcrire son ARN en ADN et de s’intégrer à la cellule vivante. Il existe deux types d’inhibiteurs de la transcriptase inverse : les inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI) et les inhibiteurs non nucléosidiques de la transcriptase inverse (INNTI.]] et l’inhibition de la transcriptase inverse [[Inhibiteurs de protéase : antiviraux ayant pour cible la protéase, enzyme du VIH. Lorsque celle-ci est bloquée, les nouveaux virus produits sont défectueux et ne peuvent plus infecter de nouvelles cellules.]] sont possibles. Des inhibiteurs de fusion [[Inhibiteurs de fusion : la fusion est l’un des stades de la pénétration du virus dans la cellule et de sa réplication.]] commencent à apparaître, mais pour l’instant ils restent jalousement dans le sérail des laboratoires. Or les mutations observées concernent les zones de codage de la transcriptase inverse ou de la protéase. Justement les angles d’action des molécules disponibles actuellement. L’efficacité de ces molécules est par conséquent réduite.
Surveiller les mutations
L’ensemble des études présentées sur ce thème, à Durban cette année, ou à Lisbonne, à la VIIème Conférence Européenne sur les traitements et les aspects cliniques de l’infection à VIH, il y a bientôt un an, portait sur des cohortes locales très restreintes, avec des résultats néanmoins inquiétants. Les recommandations sur la réalisation de tests génotypiques, préalablement à la prescription d’un traitement antiviral, varient avec les types de résistances observés. Les conclusions concernant les mutations résistantes aux inhibiteurs de la transcriptase inverse, par exemple, varient de 3 à 25% selon que ces mutations sont envisagées par rapport à l’ensemble de la classe des analogues nucléosidiques, ou qu’elles sont envisagées face à une seule molécule, comme la zidovudine (AZT) : sur 3% des virus plus aucun nucléosidique ne marche, mais 25% sont résistants par contre à l’AZT, dans certaines études. Deux tendances se dessinent cependant, concernant les recommandations. Les études américaines penchent pour la surveillance de la prévalence des mutations du virus dans les » groupes à risques « (homosexuels, usagers de drogues injectables) mais ne recommandent pas systématiquement de test de résistance pour des patients naïfs de traitement. Les études européennes auraient tendance à recommander plus nettement de leur côté les tests génotypiques, mais seule une étude (résumée dans l’abstract 224 de la conférence de Lisbonne) conclut à la recommandation systématique de tests génotypiques au moment de la primo-infection, ou pour les patients ayant connu un échec thérapeutique de première intention.
Limiter les effets secondaires
Les causes des mutations résistantes envisagées dans certaines études pointent l’usage prolongé de l’AZT en monothérapie avant l’arrivée les antiprotéases. La mauvaise observance des traitements est également évoquée pour tenter d’expliquer l’apparition de résistances. Les effets secondaires sont suffisamment handicapants pour qu’on comprenne des écarts de conduite, quand bien même les conséquences en sont lourdes. Mais la pharmacovigilance est loin d’être au point sur ces questions, puisque les associations sont contraintes de faire du recueil d’information et des enquêtes pour suivre les indices de nouvelles vagues d’effets secondaires. Des dosages plasmatiques permettraient de connaître pour chaque individu la charge médicamenteuse optimale qu’il doit prendre, et contribueraient à améliorer l’efficacité du traitement et l’adhésion des personnes. Ces dosages sont disponibles pour certaines molécules, mais les laboratoires restent comme d’habitude d’une inertie pachydermique face aux besoins actuels, d’outils permettant d’affiner l’adaptation des traitements aux personnes.
To test or not to test ?
Là où les études européennes répondent quasi unanimement que les tests génotypiques de résistance du VIH aux antirétroviraux sont des outils importants pour le choix du traitement de première intention, les études américaines semblent plus modérées. Si on propose de ne tester que des groupes de personnes sélectionnées de manière aléatoire, pour suivre l’évolution des mutations, on peut s’interroger sur le pourcentage de virus mutés à atteindre, pour qu’on passe de l' » éventualité » à la » recommandation » de tests, dans le cas notamment d’une primo-infection ou d’un premier traitement à initier.
Certains se posent la question de savoir si les médecins prescriront » mieux » à l’aide de tests de résistance que sans. Pourquoi dédaigner un outil comme le test génotypique, quand l’arsenal des mesures disponibles pour décider de la conduite à suivre est aussi réduit ? On peut peut-être se passer de ce test lorsqu’on a un traitement efficace, avec une charge virale indétectable et des T4 suffisamment nombreux, mais lorsqu’une décision doit être prise pour le choix d’un nouveau traitement, notamment lors d’un premier échec thérapeutique, ces tests devraient venir enrichir le reste des connaissances. Pourquoi risquer de minimiser l’impact d’une tri- ou d’une multithérapie, en négligeant certains indicateurs ? D’autant que si le virus peut résister à certaines molécules, les effets secondaires des traitements ne s’atténuent pas pour autant.
Les effets secondaires ne sont pas un gage d’efficacité. Se passer de ces tests, c’est se priver d’une information importante.
Améliorer la prophylaxie
Les prophylaxies post-exposition sont déjà influencées par le développement de plus en plus fréquent de virus résistants à la zidovudine (AZT) et on prescrit parfois d’autres analogues nucléosidiques ou non-nucléosidiques, dans la simple hypothèse qu’ils vont être plus efficaces. Dans le cas d’une décision de traitement prophylactique post-exposition, les renseignements sur les caractéristiques du virus ne peuvent pourtant être connus que lorsque le partenaire séropositif est identifié et que lui-même a connaissance des résistances du virus qui l’infecte. Lors d’une primo-infection, il a été montré par ailleurs que si on peut limiter le pic de charge virale au moyen d’un traitement efficace, on peut espérer une réponse immunitaire beaucoup plus importante par la suite. Plus on a d’éléments pour apprécier l’efficacité future d’un traitement, plus on a de chances de limiter des souffrances inutiles.
Plus d’un quart en moyenne des patients naïfs de traitement ont des virus résistants aux INTI. Les proportions sont pour l’instant moindres pour les INNTI. Les » polymorphismes » de la protéase sont très répandus, et s’ils n’impliquent pas encore systématiquement de résistance aux traitements, les cas d’échappement thérapeutique se multiplient. Les quelques études menées sur la durée montrent que les résistances aux traitements se sont démultipliées depuis ces quatre ou cinq dernières années.
Vous venez d’être contaminé. Vous avez par conséquent une probabilité d’avoir contracté un virus muté. Des tests génotypiques existent pour le déterminer, mais ils ne vous seront pas indiqués systématiquement. Demandez-les, c’est un élément de décision important quant au traitement le plus indiqué dans votre cas. Il est recommandé par ailleurs de faire ces tests dans un intervalle de un à douze mois de la date de contamination.
Certains des traitements réputés les plus efficaces se révèlent impuissants face aux nouvelles facettes du virus. Informez-vous, sachez à quel virus vous avez à faire.