En avril 2000, sur l’île de Jersey, la 11ème conférence internationale sur la réduction des risques liés à l’usage de drogues n’a cessé de tourner en rond – autour de l’obstacle de la prohibition.
D’un côté, on a assisté aux cafouillages des représentants du Nord, incapables de s’accorder sur les termes et les objectifs : aujourd’hui, à vouloir tout dire à la fois, » réduction des risques » ne veut plus dire grand chose. Programmes d’échange de seringues pour certains ; médicalisation des usages par la substitution pour d’autres ; collaboration aux programmes de » réduction de la demande « , pour qui accède aux sollicitations du Programme des Nations Unies pour le Contrôle des Drogues (PNUCID) ; voire, la prison elle-même, qui à en croire tel témoignage américain, représenterait pour certains une forme » sociale « de » réduction des risques « .
De l’autre, on a constaté l’impatience des pays du Sud, pris entre une épidémie galopante et la pression exercée par les Conventions Internationales pour imposer l’éradication des cultures de » plantes à drogues » et la répression des usages traditionnels. Recherche d’avals clairs, pour pouvoir imposer des programmes alternatifs à la répression : » l’Asie ne peut pas attendre 10 ans de plus, que nous ayons fini nos polémiques « ; » il nous faut arrêter des positions claires, pour pouvoir convaincre nos Etats « . Etonnement et scepticisme, par ailleurs : » pourquoi ces retours de bâton dans les pays occidentaux ; pourquoi repassez-vous de la réduction des risques au contrôle ? « .
La réponse à cette question est au fond très simple. Elle est venue à Jersey de la bouche d’un Anglais : « en Grande-Bretagne, la réduction des risques semblait se développer dans un environnement ‘facile’ au départ, mais nous avons sous-estimé le contexte politique « . Nous avons sous-estimé, en d’autres termes, la volonté de répression. Si pour certains, l’épidémie de sida paraît à peu près enrayée chez les usagers de drogues, dans les pays occidentaux, c’est qu’il n’ont pas encore pris conscience de l’épidémie d’hépatite C et des risques à court terme en matière de coinfection VIH-VHC-VHB. La situation reste dramatique.
En France, parmi les usagers fréquentant les programmes d’échange de seringues, 25 % des usagers sont infectés par le virus du sida et 70 % par le virus de l’hépatite C ; 30 % par le virus de l’hépatite C, sachant que 50% sont co- ou tri-infectés par le VIH, le VHB et le VHC. En 1997, 85 500 personnes ont été interpellées pour délit d’infraction à la législation sur les stupéfiants, 27 500 personnes ont été condamnées, 700 personnes sont incarcérées pour une infraction principale d’usage; les malades n’arrivent pas à se soigner en prison, et les contaminations y sont nombreuses car les seringues n’y sont pas disponibles; des malades étrangers ayant purgé leur peine, sont » assignés à résidence » dès leur sortie, entravés dans leur droit de circulation et privés des droits les plus élémentaires : avoir des papiers, un travail, un revenu décent. Pendant qu’on » soigne » d’un côté, on continue de réprimer de l’autre — on continue à mettre en danger la santé des usagers. La réduction des risques n’a jamais constitué une alternative à la répression, elle n’a cessé de courir derrière, en échouant à réparer ses dégâts. Les programmes de réduction des risques atteignent aujourd’hui leurs limites : » la guerre à la drogue » leur rend la vie impossible.
Depuis 1970, en trente ans de répression toujours plus violente et pernicieuse, la prohibition des drogues n’a réussi en France qu’à jeter des usagers en prison, à provoquer l’expansion d’épidémies et à amplifier les désordres sociaux. La » réduction des risques » apparue avec l’épidémie de sida, en quinze ans d’acrobaties pour s’efforcer de concilier soin et répression, a clairement démontré son impuissance à améliorer de façon durable et satisfaisante la situation des usagers de drogues. A vouloir ignorer les conséquences sanitaires et sociales de la répression, on finit en effet par tourner en rond. La seule façon aujourd’hui de réduire les risques liés à la consommation de drogues, c’est de procéder à la légalisation contrôlée des drogues, de toutes les drogues.
Réduire les risques aujourd’hui :
– c’est libérer les usagers de drogues incarcérés, les soustraire à un environnement où la dégradation de l’état de santé est une condamnation supplémentaire pourtant non reconnue,
– c’est contrôler la qualité des » drogues » qui circulent, pour en finir avec les produits de coupage qui mettent la santé en danger, forcent à accumuler les prises ou à mélanger les produits, et multiplient les risques de perte de contrôle des effets et de la consommation,
– c’est créer les conditions qui rendent possible une maîtrise de la consommation, en diffusant une information claire et fiable, en autorisant l’expression des usagers, en incitant les indispensables échanges d’expériences et d’informations,
– c’est se donner de véritables moyens de recherche sur les drogues décrétées aujourd’hui illégales : communiquer sur leurs effets réels, sans en amplifier les dangers, étudier leurs interactions avec les médicaments, inclure les usagers de drogues dans les essais thérapeutiques en tenant compte de leurs pratiques.
Réduire les risques aujourd’hui, c’est admettre la réalité des drogues, des usages et des enjeux, plutôt que prétendre encore les éradiquer. C’est aider au développement de la maîtrise pratique des drogues plutôt que l’empêcher. C’est contrôler et garantir la qualité des produits plutôt que les diaboliser.
Le devoir des Etats, aujourd’hui, c’est de légaliser les drogues, toutes les drogues.
Act Up-Paris exige de l’Etat français l’abrogation de la loi de 1970 qui réprime leur consommation, et la légalisation de toutes les drogues, afin d’en permettre une maîtrise de l’usage à moindre risque.