Le Ministre de la Santé a décidé de ne pas reclasser le Subutex dans la catégorie des produits stupéfiants. Il a finalement entendu les associations qui avaient fait front contre ce projet et choisi de ne pas suivre la MILDT qui était à l’origine de la proposition. Il s’agit d’une victoire importante et d’un désaveu pour Didier Jayle, président de la MILDT, qui paie ainsi son incapacité à mettre en oeuvre un processus de concertation. Mais il faut maintenant que nous transformions cette « non-défaite » en victoire en réfléchissant à des évolutions possibles des traitements de substitution qui s’appuient réellement sur les besoins des usagerEs.
Il aura finalement fallu attendre la conférence de l’IAS à Toronto pour avoir le fin mot de l’affaire du Subutex. C’est en effet à cette occasion que le ministre de la Santé a officiellement annoncé qu’il ne le reclasserait pas. Les chargéEs de communication de Xavier Bertrand s’étaient même arrangé pour obtenir un papier dans le Monde à la veille de son arrivée à Toronto, histoire de désamorcer les critiques qui s’annonçaient. C’était un peu tard et les critiques redoutées ne manquèrent pas de s’exprimer puisque le Dr Alex Wodak (médecin australien considéré comme l’un des papes de la réduction des risques au niveau mondial) ne manqua pas de l’égratigner en plénière, alors même que Xavier Bertrand était assis à ses côtés. Passons sur cet épisode, il faut maintenant en tirer quelques leçons et penser à la longue liste de ce qu’il reste à faire en matière de substitution.
Le premier enseignement de cette bataille est que la réduction des risques liés à l’usage de drogues demeure l’un des champs les plus accidentés de la démocratie sanitaire. Un terrain meuble où continuent de s’affronter les préjugés plus que les idées, les considérations morales plus que les rationalités, et sur lequel on voudrait, au mieux, cantonner les usagèrEs au rôle de victimes, au pire à celui de présuméEs coupables. Penser les usagèrEs de drogues comme des acteurs/actrices de leur propre santé commence à être accepté, même si cela reste souvent très théorique ; les impliquer concrètement dans la conduite des politiques publiques frise encore le blasphème. Une fois de plus, depuis son arrivée à la MILDT, Didier Jayle a cru pouvoir nous imposer le fait du prince comme mode de concertation et il semble raisonnable de croire que cette affaire ne sera pas la dernière où des décisions autocratiques menaceront de balayer des années de fragile consensus.
La deuxième leçon, plus encourageante, est que les acteurs/actrices de la réduction des risques et de l’auto-support ont, malgré tout, appris à montrer les dents. Nous tairons ici le nom des multiples associations plutôt sages qui nous ont ouvertement réclamé un zap du président de la MILDT. Le fait est que nous n’aurons finalement pas eu besoin de le faire (tant le personnage est déconsidéré au sein même du gouvernement dont il dépend) mais cette capacité de mobilisation et la pugnacité dont l’ensemble des acteurs/actrices a fait montre est une véritable force pour l’avenir. Un avenir qui commence tout de suite puisque plusieurs chantiers sont ouverts du côté de la substitution.
Le premier chantier est celui de l’amélioration de l’accès à la méthadone. C’était une des principales recommandations de la conférence de consensus de 2004 sur les traitements de substitution et le ministère de la Santé s’est engagé à la suivre. La première solution pour améliorer l’accès à la méthadone, c’est de permettre sa primo-prescription par la médecine de ville. Actuellement, unE usagèrE qui veut initier un tel traitement doit passer par un Centre de Soins Spécialisés en Toxicomanie (CSST) ; ce qui dissuade un certain nombre, rétifVEs à emprunter un tel parcours ou simplement dans l’impossibilité de le faire pour d’évidentes raisons d’implantation géographique des CSST. Pour autoriser cette prescription directe par les médecins de ville, l’ANRS a été chargée de mener une étude, dont malheureusement les objectifs et les critères sont assez flous, pour ne pas dire étranges. Nous ne comprenons pas, en effet, la pertinence de comparer les pratiques à risques en termes de partage de matériel et d’incidence du VHC entre un groupe d’usagèrEs qui accéderait à la méthadone par unE médecin de ville et un autre groupe y accédant par un CSST. La seule question que tout le monde se pose est la suivante : y aura-t-il ou non plus de surdoses chez les usagèrEs qui ne seraient pas passéEs par un CSST ? Question à laquelle l’étude ne pourra que très difficilement répondre puisqu’elle ne concernera que 400 usagèrEs, alors que le nombre de surdoses mortelles de méthadone (au cours des dernières années) varie de 9 à 25 décès/an pour environ 15 000 personnes traitées, soit entre 0,06 et 0,16 %.
Deux nouveaux produits sont susceptibles de venir compléter assez vite le dispositif : la méthadone forme sèche (gélules au lieu de sirop) et le Suboxone dit Subutex «in-shootable». Le premier est très attendu par les usagèrEs de la méthadone puisque les gélules allégeraient au quotidien le stockage et le transport de leur traitement, mais aussi parce que l’on craint que l’absorption quotidienne d’un sirop soit susceptible de poser des problèmes à long terme (diabète, etc.). Un avantage supplémentaire de cette forme sèche est d’être adaptée à la vie des usagèrEs les plus marginaliséEs (et notamment aux usagèrEs sans domicile) qui sont dans l’incapacité de stocker les flacons de méthadone sirop. Ces usagèrEs marginaliséEs, qui sont souvent les premièrEs à injecter le Subutex ou à le « booster » avec d’autres consommations, pourraient ainsi passer à la méthadone qui donne de bien meilleurs résultats du fait de ses effets antidépresseurs et ne conduit qu’à de bien moindres mésusages. Le problème est que la méthadone sèche est susceptible d’être injectée contrairement à la forme sirop, que la méthadone est un vrai «toxique» et peut donner lieu à des surdoses mortelles (ce qui n’est pas le cas du Subutex) et enfin qu’il est plus facile de revendre au marché noir des gélules que des flacons de sirop. A l’heure actuelle, il est donc envisagé qu’elle ne soit délivrée qu’à des usagèrEs traitéEs à la méthadone depuis au moins un an. Ce qui exclut de fait les usagèrEs de drogue qui ne seraient pas passés par une « période d’essai » avec le sirop, et donc les usagèrEs marginaliséEs… Nous devrons donc tenter de réduire cette période pour faciliter l’accès à la méthadone des usagèrEs qui ne peuvent que très difficilement passer par la forme sirop tout en étant évidemment très attentifVEs à la manière de procéder, afin de ne pas exposer les usagèrEs à de nouveaux dangers.
Le Suboxone, quant à lui, peut avoir un intérêt pour un certain nombre d’usagèrEs qui se sentiraient prêts à arrêter l’injection et que ce produit pourrait aider, mais il pose aussi un grand nombre de problèmes non résolus qui imposent donc une grande vigilance. En effet, ce produit qui contient de la naloxone (la molécule utilisée pour traiter les overdoses) a pour effet de générer un syndrome de sevrage (une crise de manque) lorsqu’il est injecté au lieu d’être laissé sous la langue. Cet effet a pour objectif de dissuader l’usagèrE et on est en droit d’imaginer que cela puisse être efficace dans un certain nombre de cas, mais il reste à prendre toutes les précautions nécessaires pour ne pas avoir comme résultat final le contraire de ce qui était attendu : le retour de l’héroïne et des overdoses. Si en effet, les généralistes prescripteurEs étaient tentéEs de faire passer leurs patientEs substituéEs au Suboxone de manière trop systématique, il est possible que des usagèrEs incapables de mettre fin à leurs pratiques d’injection se tournent à nouveau vers l’héroïne. Il est même possible que des usagèrEs mal informéEs et qui injecteraient le Suboxone recourent à l’héroïne pour gérer la crise de manque qui s’en suivrait, au risque de faire une surdose puisque l’effet de l’héroïne serait atténué par le Suboxone. Le laboratoire Schering-Plough qui produit ce traitement s’est de toute façon engagé à procéder à des études cliniques complémentaires, notamment pour les usagèrEs passant du Subutex au Suboxone puisque les études menées jusqu’à présent s’intéressaient surtout aux usagèrEs passant de l’héroïne au Suboxone. Et nous serons particulièrement intransigeantEs sur le fait que ces études soient menées à leur terme avant toute autorisation de mise sur le marché. Et ce, quelle que soit l’intensité du lobbying exercé par Schering-Plough, qui voudrait bien compenser avec ce nouveau produit la diminution des profits liés à la récente apparition d’une version générique du Subutex.
Parallèlement, et nous l’avons répété à maintes reprises depuis des mois : « pas de substitution inshootable sans substitution shootable ». De nombreuxSES usagèrEs traitéEs au Subutex sont incapables de mettre un terme immédiatement à leur pratique d’injection. Si la méthadone peut être une première réponse, si le Suboxone peut en être une seconde, la plupart de nos voisinEs européenNEs ont complété leur dispositif par des programmes de substitution injectable. Il existe en effet plusieurs produits qui permettraient aux usagèrEs dans l’incapacité d’interrompre leurs pratiques d’injection de réduire les conséquences de ce geste. Le Subutex, parce qu’il contient de l’amidon, entraîne des dommages graves chez les usagèrEs qui l’injectent alors qu’il existe des formes injectables de morphine, de méthadone ou même de buprénorphine qui ne posent évidemment pas les mêmes problèmes.
Réduire les risques liés à l’usage de drogue, ce n’est plus empêcher les individuEs d’utiliser des drogues à tout prix et il en va de même pour réduire les risques liés à l’injection, une société sans injection, ça n’existe pas, qu’on le veuille ou non. Mais ouvrir cette nouvelle porte, c’est encore une fois s’exposer aux foudres des forcenéEs de l’abstinence qui pensent aujourd’hui encore que l’abcès et l’amputation sont des méthodes satisfaisantes pour prévenir l’usage de drogues.