Compte rendu de la quatrième et dernière journée de la CROI 2007 à Los Angeles, rédigé sur place par deux militantEs d’Act Up-Paris.
La plénière de ce matin abordait deux aspects vraiment différents de la recherche. Le propos de Martyn French faisait le point sur le syndrome de reconstitution immunitaire. Bryan Cullen quant à lui, était presque dans la science fiction avec un propos sur les virus, les micro-RNA et les interférences RNA.
Dangereuse reconstruction
L’IRIS, le syndrome inflammatoire de reconstitution immunitaire (Immune Reconstitution Inflammatory Syndrome) est une des préoccupations majeures des cliniciens depuis l’arrivée des trithérapies. En effet, très rapidement après leur introduction, on a remarqué qu’un certain nombre de malades avaient des réactions parfois violentes de leur immunité en reconstruction. Martyn French a donc rappelé un certain nombre de principes concernant ce syndrome qui peut être considéré comme une réaction aberrante de l’immunité cellulaire à des agents infectieux précis. Il insiste sur la différence entre réponse immune excessive qui est une maladie de la restauration immunitaire et réponse ineffective qui est une maladie causée par la l’immunodéficience. Lorsque l’on parle d’IRIS, c’est bien du premier type d’affection dont il est question, d’où le terme d’IRD (Immune Restauration Disease) qu’il préfère. Il précise que ce syndrome est plus fréquent dans le monde en développement où l’espérance de vie après le démarrage d’un traitement est beaucoup plus faible que dans les pays industrialisés. Une bonne partie de cette différence est sans conteste due aux IRIS.
L’essentiel de ces affections se produit au cours des trois premiers mois suivant le démarrage des antirétroviraux et sont le plus souvent dus à des cryptocoques – méningites – ou des mycobactéries – essentiellement la tuberculose – et d’autres parasites comme la leshmania ou l’histoplama mais peuvent aussi être le résultat d’infections virales à cytomégalovirus (CMV), certains virus herpès, le virus JC – responsable de LEMP, voir plus loin le poster 379 – ou encore des virus hépatiques. Le syndrome est ici causé parce que la reconstitution immunitaire provoquée par l’utilisation des antirétroviraux démasque une infection qui n’était pas visible en provoquant une réaction immune excessive. Dans d’autres cas, il s’agit d’une réactivation paradoxale d’une infection préexistante. Mais l’IRD peut aussi intervenir tardivement, jusqu’à 24 mois après le début d’un traitement. Il s’agit alors le plus souvent d’uvéites à CMV, de méningites et d’autres pathologies à cryptocoques, de lyphadénopathies à MAC ou à histoplasmes. Une étude de cohorte d’Afrique du sud a montré les incidences typiques de ces syndromes. Environ 25% sont atteints de cet effet de démasquage. Le type paradoxal, lié au cryptocoque ou aux tuberculoses à Mycobactérie concerne entre 4% et 50% des patients de la cohorte. Une forte variation puisque cela dépend essentiellement d’un autre facteur typique de risque de développer un tel syndrome : le compte de lymphocytes CD4 au moment de débuter un traitement antirétroviral.
Le développement des IRIS est en fait la conséquence de l’accumulation de différents critères. En premier lieu, le développement de ces syndromes est fréquemment facilité par la présence chez les malades d’une susceptibilité de leurs propres gènes à certains agents pathogènes, en particulier dans les cas des virus herpès ou bien des maladies à mycobactéries. En deuxième lieu intervient la présence de certains agents pathogènes. Il peut s’agir d’infections opportunistes qui sont actives au moment de commencer un traitement antirétroviral ou qui n’étaient pas détectables notamment lorsque l’immunité était trop faible ou bien dues à des agents non viables. Dans une étude particulière sur la tuberculose, on a pu constater aussi que le temps qui sépare le diagnostic d’une infection de ce type et le démarrage d’un traitement antirétroviral est essentiel. Plus la prise d’ARV est précoce, plus le risque est grand, suggérant que le traitement des maladies opportunistes et la maîtrise de ces infections, c’est-à-dire le contrôle de la charge pathogène, doit précéder le traitement antirétroviral pour diminuer le risque de développer un IRD. C’est aussi remarquable dans le cas des hépatites comme l’a montré l’étude TICO menée à Bangkok dont les résultats complets sont publiés dans le poster 949 où l’on voit bien que le risque d’hépatite fulgurante au démarrage du traitement antirétroviral est plus fréquent avec une charge de virus VHB forte préexistante.
Enfin, comme il a été dit, un compte de lymphocytes CD4 en dessous de 50 prédispose de toute évidence plus au risque d’IRIS. Ainsi, les patients qui commencent un traitement antirétroviral avec un compte de lymphocytes CD4 faible sont exposés plus que les autres à un risque de dysfonctionnement de l’immunité. C’est ce qu’on a déjà vu depuis plusieurs années puisqu’on a montré notamment que la reconstitution immunitaire favorise chez certains patients les lymphocytes T effecteurs qui contrôlent l’immunité humorale (Th1) au détriment de ceux qui contrôlent l’immunité cellulaire (Th2), créant ainsi un déséquilibre. Parmi ces cellules effectrices, on a aussi découvert récemment le rôle de lymphocytes appelés Th17, favorisés par l’interleukine 6 qui jouent un rôle dans l’inflammation. De l’autre côté, on a les lymphocytes régulateurs sur lesquels on manque encore de connaissances. L’hypothèse de notre orateur est que l’IRIS est un phénomène de déséquilibre entre ces deux familles de cellules de l’immunité, à savoir entre les lymphocytes T effecteurs et T régulateurs. Un certain nombre d’observations viennent étayer cette hypothèse, comme le taux élevé d’IL-6 et le rôle dans ce phénomène des lymphocytes Th17. Mais on a aussi observé chez des personnes ayant un IRD un taux anormalement élevé de cellules régulatrices. L’orateur suggère donc un rôle pathogène des cellules dendritiques susceptibles de provoquer cette dérégulation par une sécrétion excessive des cytokines de l’inflammation, interféron gamma et IL-10. Il vient de démarrer une étude pour apporter des preuves à cette hypothèse. Il faudra donc se revoir à Sydney lors de la prochaine conférence de l’IAS sur la pathogenèse et les traitements de l’infection à VIH pour en avoir des résultats et ainsi avancer sur ce terrain difficile des IRIS.
Fondamentaliste
Bryan Cullen fait partie de ces chercheurs de haut niveau qui maîtrisent leur sujet à ce point qu’ils sont capables de le transmettre avec une facilité déconcertante aux plus néophytes. Et l’on sort de là avec l’indicible impression d’être vraiment capable de comprendre cette science fondamentale que l’on croit d’habitude réservée à un petit milieu clos. Son propos est de nous expliquer l’objet actuel de ses recherches en commençant par les microARN (microRNA en anglais). Tout le monde connaît l’ARN, ce ruban de matériel génétique copié de l’ADN des chromosomes du noyau cellulaire qui sert de schéma de construction des protéines cellulaires. On sait aussi que le matériel génétique du virus VIH est composé d’un brin d’ARN. Dans les chromosomes, seule une partie de l’ADN sera traduite en ARN dit messager, ARNm, pour être traduit en protéines. Dans le reste, il a été identifié certaines régions qui sont aussi transcrites en petits brins d’ARN très courts appelés microARN. L’intérêt de ces petites pièces très courtes réside dans leur contenu, exactement complémentaire de certaines régions d’ARNm auxquels ils sont donc capables de se lier. Ce faisant, ils en inhibent l’expression. Il s’agit donc d’un moyen de régulation de l’expression des gènes. Evidemment, ce résumé est un peu simplificateur.
Bryan Cullen explique ensuite le concept de RNAi ou ARN interférent qui a fait l’objet du prix Nobel de médecine 2006 attribué aux Dr. Fire et Mellow. Sans trop entrer dans les détails, il s’agit d’un procédé similaire en ce qu’il aboutit aussi à la formation de petits brins d’ARN capables de réduire au silence les ARNm. Dans les deux cas, ce ne sont pas que des brins d’ARN qui réalisent cette fonction mais un complexe comportant aussi des protéines appelées RISC pour RNA jnduced silencing complex. Pour en arriver là, une maturation a eu lieu qui fait intervenir diverses étapes et enzymes dont un appelé Dicer. Mais ce qui fait la différence entre microRNA et RNAi est essentiellement la manière dont sont produits ces complexes. Ce qui fait notre intérêt pour ces travaux, c’est principalement que les RNAi ont été montrés comme participant activement à la lutte contre les infections virales chez les plantes et les insectes. Mais il n’existe pas jusque là de preuves que ce mécanisme existe aussi dans les cellules humaines. En revanche, le mécanisme microRNA existe dans les cellules humaines. Evidemment, la démonstration de Bryan Cullen consiste à montrer comment, à partir de ces techniques, on peut envisager la production de RISC capables de lutter contre les infections virales chez l’homme. Il reste à introduire le bon composé dans la cellule ce qui se réalise grâce à un virus recomposé pour cette tâche. Les expériences en sont actuellement au niveau du laboratoire où l’on a pu inactiver ainsi le gène d’une protéine du VIH appelé TAT dans des cellules humaines infectées en culture. Mais le procédé n’est pas aussi miraculeux puisque les mutations du virus peuvent, comme dans le cas des antirétroviraux, conférer une résistance à cette inhibition. Il s’agit donc de trouver les bons segments de gènes qui seront moins variables et plus flexibles pour appliquer cette technique. Mais on peut aussi imaginer par cette technique inhiber un gène humain comme par exemple celui du co-récepteur de l’entrée du VIH, la protéine CCR5.
L’orateur s’intéresse ensuite à la question diamétralement opposée, à savoir, si le procédé RNAi peut inhiber la réplication du virus, est-ce que le virus est capable de fabriquer une réponse protectrice ? La réponse est comme on pouvait s’y attendre positive. Une équipe de recherche a en effet avancé en 2005 que la protéine TAT du VIH était capable de bloquer la fonction de l’enzyme Dicer qui permet la fabrication cellulaire des RISC. En revanche il n’a pas été montré jusque là que le VIH était capable de produire des microRNA. Bryan Cullen rapporte ici un certain nombre d’observations qui étayent cette hypothèse. En revanche, d’autres virus en sont capables, comme certains virus herpès. En particulier, le virus herpès responsable du sarcome de Kaposi, le HHV8 appelé ici KSHV (Kaposi Sarcoma Herpes Virus) est capable de produire des microRNA. L’équipe de recherche de Bryan Cullen a donc entrepris le travail de trouver les cibles possibles de ces inhibiteurs. De quoi alimenter encore de longues journées de recherche.
En bref
Ces quelques chroniques quotidiennes de la 14e CROI à Los Angeles ne sont qu’un bref aperçu de ce que cette conférence a pu présenter comme travaux de recherche dans toutes les directions. Il resterait encore à découvrir nombre de sessions dont nous n’avons pas parlé comme celle sur les questions urgentes du monde en développement – session 5 – sur la prévention de la transmission et les traitements – session 11 – sur les complications métaboliques et cardiovasculaires – session 12 – ou encore les complications en pays à ressources limitées – session 16 – les nouveaux agents antiviraux – session 26 – la coinfection tuberculose et VIH – session 29 – les résistances aux traitements de première ligne – session 30 – la grosse session de mardi sur la recherche vaccinale – sessions 31 et 32 – les stratégies de traitement émergeantes – session 34 – les sessions sur les hépatites – sessions 39 et 48 – la session sur la gestion du risque du VIH et de la prévention chez les adolescents – session 45. Et encore, cette liste n’est pas exhaustive mais tente juste de donner un aperçu de la richesse de telles conférences. Puis il reste aussi à aller examiner les présentations en posters. En tout le nombre de communications de la conférence est de 1000. Les sessions orales représentent 163 sujets laissant donc aux posters la bagatelle de 837 présentations réparties en 121 thèmes. Parmi celles-ci nous en avons retenus quatre, ce qui s’apparente presque au hasard, tant la diversité et l’intérêt des sujets est important.
252 – Sequential Turnover of env Variants and Co-receptor Switching during HIV-1 Chronic Infection.
L’équipe de recherche américaine auteure de ce poster a étudié dans un groupe de 14 patients du San Francisco Men’s Health Study le déroulé dans le temps du changement de tropisme du virus, autrement dit, la façon dont le virus mute pour passer de l’utilisation du co-récepteur CCR5 au CXCR4 pour pénétrer les cellules. Elle conclue que l’émergence de virus est associée à une perte rapide des lymphocytes T CD4 mais qu’elle intervenait après le commencement de cette chute. Cela permet donc d’avancer l’hypothèse que ce changement pourrait être une conséquence mais n’est pas une cause de la perte rapide des lymphocytes. Le gène env qui code pour les protéines d’entrée du virus subit moins de variations lorsque le compte de lymphocytes CD4 est bas et ce, après une période de rapide évolution, suggérant que la pression de sélection sur ce gène devient minimale au moment de la chute de CD4 et reste faible pour un temps très long.
379 – Acceleration of Immune Recovery on Intensified ART Improves Survival in Patients with AIDS-related Progressive Multifocal Leukoencephalopathy: Preliminary Reports of the ANRS 125 Trial
Cette de communication du Dr. Jacques Gasnault et de ses collègues est la publication des résultats de l’essai ANRS 125 destiné à montrer si un traitement antirétroviral intensifié et contenant de l’enfuvirtide pouvait accélérer la reconstitution d’un immunité contre le virus JC responsable des leuco encéphalopathies multiformes progressives, les LEMP. Les résultats préliminaires de l’essai, présentés ici, suggèrent que cette intensification améliore la survie des malades et associe à ce constat une diminution des traces de virus dans le système nerveux central ainsi que l’apparition d’une réponse immunitaire dirigée contre le virus JC. A noter, ce poster est téléchargeable.
976 – Causes of Death among HIV-infected Adults in France in 2005 and Evolution since 2000
Ce poster est la publication de l’enquête ANRS EN19 Mortalité 2005. Il est également téléchargeable intégralement. Il montre que la baisse de la mortalité due au sida commencée il y a dix ans avec l’apparition des trithérapies se poursuit bien qu’elle soit toujours la principale cause de mortalité des séropositifs, principalement des suites d’un lymphome non Hodgkinien. La proportion de décès de cancers non liés au sida, de maladies cardiovasculaires et de maladies du foie sont en augmentation et pourraient s’expliquer par l’age et les co-morbidités ainsi qu’au moins deux facteurs modifiables du comportement que sont la consommation de tabac et d’alcool. En conséquence, en plus des soins spécifiques à l’infection à VIH, l’accompagnement des séropositifs devrait systématiquement comporter une prévention de ces comportements et une détection précoce des morbidités qui y sont liées.
983 – Willingness of Men Who Have Sex with Men in the US to Be Circumcised as Adults to Reduce Risk of HIV Infection
Ce poster, également téléchargeable, émane du centre de contrôle des maladies américain, le CDC. A partir des résultats récents d’essais en Afrique du sud montrant que la circoncision pouvait réduire le risque d’acquision du VIH de 61% chez les hommes hétérosexuels et d’une étude de cohorte américaine ayant documenté la réduction du risque d’infection par le VIH chez les hommes ayant des relations sexuelles avec des hommes – MSM en anglais – Cette étude s’est intéressée à la prévalence de la circoncision, à la volonté de la subir ainsi qu’à la perception du risque et du bénéfice liés à la circoncision chez les MSM aux Etats-Unis. Il en résulte que seulement 20% des MSM interrogés sont circoncis et que plus de la moitié de ceux qui ne le sont pas seraient volontaires s’ils avaient la preuve scientifique de la réduction du risque de transmission du VIH par ce moyen. Ainsi, s’il est démontré que la circoncision constitue une intervention efficace pour réduire le risque de transmission du VIH, les données sur la perception du bénéfice et de l’intérêt porté à la circoncision devront être utilisés pour développer un programme d’éducation à la circoncision.
Ainsi se termine cette série de chroniques sur la 14e CROI. Mais ce n’est pas la fin de l’exploitation de ces données. Au contraire, il reste encore énormément de choses à puiser dans ces résultats de recherche. Les anglophones apprécieront le site internet de la conférence dans lequel il est facile d’aller suivre les sessions orales ou de lire les posters.