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Dans l’infection à VIH, la recherche n’a pas suffisamment étudié les spécificités des femmes séropositives. Il est pourtant primordial de connaître précisément l’impact de la maladie et des traitements lourds sur nos corps.

La taille plus petite des femmes n’est pas qu’une question de centimètres, les organes sont aussi plus petits et de ce fait les concentrations de certains antirétroviraux sont donc plus élevées chez elles. Une cohorte italienne a montré que les femmes sont plus de deux fois susceptibles d’arrêter les traitements pour raison de toxicité que les hommes.

Moins de 30% de femmes dans les essais. Aujourd’hui encore et malgré les interpellations multipliées depuis tant d’années sur ce problème, les traitements sont toujours testés sur des corps masculins. Les femmes ont pourtant incontestablement des métabolismes, des interactions hormonales et des effets indésirables différents de ceux des hommes. On recense 20 à 30 % de femmes dans les essais. Entre 1990 et 2000, sur 49 essais cliniques, la proportion de femmes incluses était de 12,25 % et l’influence du sexe n’a été étudiée que dans deux d’entre eux. Sur 13 essais récents testant de nouveaux traitements la proportion de femmes participantes oscille entre 10 % et 30 %.
Les arguments pour justifier le faible taux de femmes dans les essais sont pour le moins paradoxaux : tantôt ce serait parce qu’il n’y aurait pas de si grandes différences entre les métabolismes des hommes et des femmes. Tantôt ce serait parce que les variations hormonales des femmes seraient telles qu’elles risqueraient de fausser les résultats. L’éthique est également invoquée pour refuser aux femmes d’entrer dans les essais : le risque d’être enceinte et que les médicaments entraînent des malformations sur le fœtus est un argument quasi systématique. Croit-on les femmes incapables d’avoir une contraception quand elles entrent dans un essai ? Faut-il s’empêcher de développer des traitements pour les femmes en raison d’une grossesse potentielle ? Et comment étudier les effets des traitements pour les femmes et leur enfant si elles sont enceintes une fois le traitement commercialisé ? On nous oppose enfin que les femmes ne feraient pas suffisamment les démarches pour participer à des essais. Encore faudrait-il qu’on défende l’intérêt scientifique de les y intégrer, et qu’on se donne les moyens de les recruter.

Des études qui n’interrogent pas les spécificités des femmes. Si la question de la participation des femmes est primordiale, il faut aussi se pencher sur le contenu même des recherches menées. Ce n’est pas parce que 100 femmes se seront portées volontaires pour rentrer dans l’essai de la toute dernière molécule du laboratoire X qu’on en saura plus des effets secondaires sur leur libido, si la question n’a pas été posée au préalable. Certes il existe des études portant sur la question des effets secondaires différents sur les corps des hommes et des femmes, mais elles sont encore bien trop peu nombreuses au regard du nombre de femmes touchées par le sida. Par exemple, la cohorte VIHGY (Cohorte CO17, recherche biomédicale ANRS, « Etude de la pathologie génitale liée à l’infection par les papillomavirus humains chez les femmes séropositives pour le VIH ») devrait être rapidement mise en place, mais elle nous semble incomplète et pas assez précise. Cette initiative que nous attendions depuis longtemps nous décoit par le peu de réponses qu’elle apportera au vu des questions trop vagues qu’elle pose.

Les questions qui restent à explorer :
– On sait que la puissance de la charge médicamenteuse des antirétroviraux est essentielle pour maintenir la pression sur le virus, mais que donnent ces dosages calculés sur des corps masculins en termes de toxicité et d’effets secondaires sur les corps féminins ?
– On sait que la concentration des antirétroviraux est variable selon le sexe et le traitement (l’atazanavir, le lopinavir, l’efavirenz, la névirapine se retrouvent à une concentration plasmatique 20 % plus élevée chez les femmes, celle du saquinavir deux fois plus élevée), mais sait-on si le traitement optimal pour les hommes est le même que pour les femmes ?
– On sait que les femmes ont des cycles hormonaux qui peuvent avoir d’importantes variations, mais que sait-on de l’interaction des antirétroviraux avec les hormones stéroïdiennes, les gonadotrophines, la contraception, les traitements substitutifs de la ménopause ou la grossesse ?
– On sait que les femmes séropositives ont plus de risques de développer des problèmes cardio-vasculaires que les femmes séronégatives, qui bénéficient, elles, d’une protection « naturelle » jusqu’à la ménopause, mais sait-on ce qui explique la perte de cette protection ?
– On sait que le lopinavir provoque chez l’homme une baisse de la libido, mais que sait-on de son influence sur celle des femmes ?
– On sait que la grossesse induit une augmentation du volume du corps, une accélération du débit sanguin, mais que sait-on de l’évolution des médicaments filtrés, métabolisés, éliminés plus vite par les corps des femmes enceintes ?
– On sait que les lipodystrophies « masculinisent » les corps féminins, mais sait-on si une accumulation de graisses au niveau viscéral n’a pas une influence sur la survenue de ménopauses précoces ?

Nous voulons savoir. Pour chaque recherche, une réflexion préalable doit être menée par les promoteursRICES et les investigateursRICES pour alimenter les connaissances encore trop peu nombreuses et très imprécises sur les spécificités féminines dans l’infection à VIH. Cela nécessite : une meilleure collaboration entre chercheurEs, femmes séropositives, associations de malades et pouvoirs publics du domaine de la santé et de la recherche ; une augmentation du nombre de femmes dans les essais : un quart ou un tiers de femmes dans les essais n’est pas suffisant pour que les données soient valides ; des essais qui prennent en compte les questions spécifiques aux corps des femmes. Enfin, à l’issue des essais, les investigateursRICES et promoteursRICES se doivent de prendre en compte les résultats obtenus selon le sexe et de les analyser en conséquence.