Quelles sont les raisons qui font que les malades, selon leurs propres termes, n’arrivent pas à prendre leur traitement de façon régulière, ou au contraire, de lister les éléments facilitant une bonne observance ? Tentatives d’éclaircissements.
Après avoir été retiré, le projet de loi sur l’accompagnement thérapeutique va revenir en début d’année prochaine pour être soumis au parlement. La première version de ce projet visant à proposer aux malades des programmes d’observance avait entraîné une levée de boucliers salutaire : la crainte d’une promotion déguisée des médicaments était d’actualité. La copie a donc été révisée et le LEEM assure qu’il n’y aura en aucun cas contact direct entre l’industrie pharmaceutique et les malades. Nous reviendrons sur ce sujet dans nos publications.
Observance & VIH
On n’insistera jamais assez sur l’aspect crucial de l’observance aux traitements antirétroviraux pour lutter contre le VIH. Pour donner une idée de l’ampleur du phénomène d’inobservance, on a constaté que le suivi non optimal chez l’adulte d’un traitement antirétroviral contre le VIH concerne entre 33 et 88 % des personnes selon les études réalisées, les variations constatées reflétant aussi comment est définie et évaluée l’observance. Reprenons la définition de l’observance donnée dans la dernière version du rapport d’experts pour la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH : « l’observance est un comportement de prise du traitement avec l’assiduité et la régularité optimales, selon les conditions prescrites et expliquées par le médecin ». Plusieurs études ont en effet démontré l’importance d’une observance optimale pour un succès thérapeutique. Ainsi, une observance inférieure à 95 % entraîne un risque très important d’échappement virologique. Au cours d’un traitement antirétroviral avec deux prises par jour, une observance de 95 % correspond à moins d’une erreur par semaine, que ce soit par oubli de prise, non-respect des contraintes alimentaires ou décalage d’une prise de traitement de plusieurs heures. Rappelons que l’inobservance se traduit par une variation des concentrations plasmatiques et de complications de l’infection à VIH qui grève les possibilités thérapeutiques futures, avec une augmentation des coûts de traitement, les nouvelles classes thérapeutiques étant plus chères que celles utilisées en première intention.
Méta-analyse qualitative et quantitative
En novembre 2006, les conclusions d’une analyse systématique des études publiées dans la littérature concernant les éléments empêchant ou facilitant l’observance des traitements antirétroviraux pour le VIH ont été publiées dans la revue libre d’accès PLoS Medicine[[Mills EJ et collaborateurs, volume 3, page 2039 « Adherence to HAART : a systematic review of developed and developing nation patient-reported barriers and facilitators » ]]. Les auteurs ont sélectionné 84 études à partir de la littérature scientifique dont 47 étaient fondées sur une méthodologie dite quantitative avec enquêtes et utilisation de questionnaires ou interviews structurées (12 902 en tout). Les 37 autres études choisies étaient qualitatives : 12 étaient focalisées sur des groupes particuliers (415 personnes), 15 ont utilisé des interviews semi-structurées auprès de 729 personnes, 9 des questionnaires ouverts auprès de 694 personnes et 1 reposait sur une intervention écrite pour solliciter les réponses. 72 études ont été menées dans les pays du Nord : 56 aux Etats-Unis, 3 au Canada, 3 en Grande-Bretagne, 2 en Italie, 2 en France, 2 aux Pays-Bas et 1 en Australie, en Suisse et en Belgique, enfin 2 études étaient multinationales. Les autres ont été conduites dans le Sud : au Brésil (4 études) et 1 en Ouganda, en Côte d’Ivoire, en Afrique du Sud, au Malawi, au Botswana, au Costa Rica, en Roumanie et en Chine.
De manière générale, les obstacles à une bonne observance et les éléments facilitateurs ont été classés par domaines relatifs 1- au malade, 2- aux croyances concernant les traitements, 3- au mode de prise journalière des traitements et 4- aux relations interpersonnelles.
Résultats de la méta-analyse dans le Nord
Les études quantitatives ne mentionnaient pas d’obstacles ou éléments facilitateurs supplémentaires par rapport à ceux identifiés dans les études qualitatives. Parmi les obstacles, 3 ont été identifiés dans les études qualitatives uniquement et n’apparaissaient pas dans celles quantitatives : le fait d’avoir des doutes sur les antirétroviraux, vouloir garder le contrôle de la situation et douter ou avoir des difficultés à admettre son statut de personne séropositive pour le VIH. Pour les éléments facilitateurs, de même, 4 sont apparus en plus dans les études qualitatives : le fait que les antirétroviraux prennent le pas sur les drogues, avoir un traitement simple, utiliser des pense-bêtes pour les prises et vivre pour quelqu’un.
Facteurs limitant
Dans les pays du Nord, 33 obstacles à une bonne observance ont été rapportés dans les 34 études qualitatives correspondantes.
– 1- En relation avec le malade (13 obstacles), on trouve : la peur d’être identifié comme séropositif et le souhait d’éviter d’avoir à prendre les traitements en public (obstacle identifié dans 23 études sur 34) ; le sentiment d’être déprimé, désespéré ou submergé (18/34) ; être dépendant d’une drogue (14/34) ; oublier de prendre le traitement au temps requis (11/34) ; être suspicieux vis-à-vis des traitements ou du corps médical (9/34) ; désirer ne pas prendre de médicaments ou privilégier une approche naturelle (10/34) ; considérer le traitement comme un rappel constant du statut séropositif pour le VIH (8/34) ; vouloir contrôler la situation soi-même (7/34) ; ne pas comprendre les instructions de traitement (5/34) ; ne pas vouloir accepter son statut de personne séropositive pour le VIH ou continuer à en douter (5/34) ; un manque de considération de soi (4/34). Etaient citées aussi des contraintes financières, le fait d’être sans abri ou d’avoir d’autres pathologies compliquant l’observance.
– 2- Aspects liés à la croyance aux traitements : les auteurs de la méta-analyse ont identifié 8 obstacles : les effets secondaires, réels ou anticipés (27/34) ; la complexité des traitements (12/34) ; le goût, la taille, la fréquence des prises et/ou le nombre de médicaments (12/34) ; le fait de se sentir en bonne santé et donc de ne pas percevoir la nécessité de la prise de traitements (9/34) ; des doutes sur l’efficacité des traitements antirétroviraux (7/34) ; une baisse de qualité de vie associée aux traitements (6/34) ; les incertitudes sur les effets à long terme (6/34) ; le refus d’une altération de l’image corporelle (5/34).
– 3- Aspects liés à la prise du traitement : 9 obstacles ont été rapportés : une rupture avec la routine ou avoir un emploi du temps chaotique (16/34) ; trouver les traitements comme trop gênants ou difficiles à ingérer (14/34) ; avoir des difficultés pour coordonner l’observance avec les responsabilités professionnelles, familiales ou de soin (11/34) ; avoir des difficultés pour équilibrer les nombreux et stricts requis diététiques associés aux traitements antirétroviraux (7/34) ; être endormi lorsqu’un traitement aurait dû être pris (6/34) ; être éloigné de son domicile et avoir oublié ses traitements (6/34) ; être trop distrait ou occupé (5/34) ; ne pas avoir le temps de faire renouveller les ordonnances (4/34) ; avoir des difficultés avec une dose spécifique, particulièrement celle de mi-journée ou au petit matin (4/34).
– 4- Associé aux aspects relationnels : un manque de confiance en son médecin traitant ou une antipathie (12/34) ; le fait d’être isolé socialement (10/34) ; avoir une opinion négative vis-à-vis des traitements antirétroviraux ou du corps médical (9/34) ; avoir un réseau social décourageant (5/34).
Facteurs favorisant
De nombreux facteurs favorisant l’observance ont aussi été identifiés dans 23 des études qualitatives.
– 1- En relation avec le malade : avoir une bonne estime de soi (15/23) ; le fait que les traitements deviennent prioritaires sur l’usage de drogues (4/23) ; constater des améliorations après une bonne observance pour la prise des traitements (6/23) ; accepter sa séropositivité pour le VIH (8/23).
– 2- Aspects liés à la croyance aux traitements : la confiance dans les traitements prédomine comme élément facilitant leur prise (12/23). Deux autres éléments sont rapportés : comprendre la nécessité d’être très observant (9/23) ; le fait d’avoir un traitement simple (3/23).
– 3- Aspects liés à la prise du traitement : apprendre à adapter les prises avec les rythmes journaliers (12/23) ; avoir un quotidien qui permet facilement d’intégrer les traitements (11/23) ; utiliser des pense-bêtes pour ne pas oublier les prises (7/23).
– 4- Aspects relationnels : avoir des relations interpersonnelles positives est un élément rapporté comme nécessaire. Les autres éléments rapportés sont : avoir une relation de confiance avec son médecin traitant (17/23) ; s’ouvrir de son statut de séropositif pour le VIH auprès des siens (famille et amis) et avoir un réseau social fort (18/23) ; vivre pour quelqu’un d’autre, tout particulièrement des enfants (9/23) ; être impliqué activement dans la prise de décision pour les traitements (4/23) ; compter sur ses amis et sa famille pour ne pas oublier (6/23).
Résultats de la méta-analyse dans le Sud
Seules deux études qualitatives ont été retenues par les auteurs de la méta-analyse (Brésil et Botswana) et 18 obstacles spécifiques pour une bonne observance ont été identifiés.
– 1- En relation avec le malade : les plus souvent cités sont l’existence d’une addiction à une drogue, un oubli pur et simple et des contraintes financières. On retrouve aussi la peur d’être découvert comme personne séropositive pour le VIH, des difficultés à comprendre à la fois les instructions pour les traitements et la nécessité d’être observant, et enfin la présence d’autres pathologies ou facteurs de morbidité, y compris la malnutrition.
– 2- Aspects liés à la croyance aux traitements : on retrouve, comme pour les pays dits développés, les effets secondaires réels ou anticipés, la complexité des traitements, le goût, la taille et la fréquence des traitements, le fait d’avoir des doutes sur l’efficacité des antirétroviraux, le constat de se sentir bien et en bonne santé, une qualité de vie en baisse lors de la prise des traitements, les incertitudes liées aux effets potentiels à long terme des antirétroviraux, mais aussi le fait de se sentir trop malade.
– 3- Aspects liés à la prise du traitement : on retrouve aussi le fait d’avoir des difficultés à intégrer les traitements dans le cadre des responsabilités professionnelles et familiales. S’ajoute le fait d’avoir à parcourir de longues distances pour recevoir les traitements, et, du coup, les difficultés de transport se retrouvent comme un obstacle majeur à une bonne observance. Les autres obstacles cités sont le fait d’être à cours de traitements ou d’avoir une source d’approvisionnement irrégulière, d’être éloigné de son foyer, d’être trop occupé ou distrait pour avoir une observance appropriée.
– 4- Aspects relationnels : aucune des 2 études ne mentionne d’obstacle à ce niveau.
Aucun élément facilitateur pour l’observance n’a été rapporté dans les études retenues.
Comment et avec qui parler de l’observance ?
En insistant sur l’aspect qualitatif, les auteurs de cette méta-analyse ont identifié des éléments qui n’apparaissent pas dans les études quantitatives de plus large envergure mais qui laissent moins de place à la prise de parole ouverte pour les malades. Les éléments rapportés ci-dessus peuvent apparaître comme un simple catalogue – pas nécessairement exhaustif d’ailleurs – dont on peut s’interroger sur la pertinence au niveau individuel. Néanmoins, comme l’indiquent les auteurs de l’étude eux-mêmes, les médecins peuvent utiliser cette base d’éléments pour engager une discussion ouverte avec les malades qu’ils suivent pour promouvoir l’observance et identifier les obstacles et éléments facilitateurs. De même, et surtout, les malades eux-mêmes ne doivent pas hésiter à en parler ouvertement avec le personnel soignant afin de ne pas rester dans le non-dit pouvant conduire à une observance non optimale, voire à un rejet des traitements.
Des solutions pour en parler existent sous la forme de consultations d’observance, qui permettent d’aborder sereinement les problèmes rencontrés ou susceptibles d’être rencontrés et surtout qui donnent la possibilité aux malades de pouvoir exprimer leurs doutes et parler d’eux-mêmes. Les obstacles identifiés au cours de l’étude ci-dessus sont autant d’éléments qui doivent être abordés afin de ne négliger aucune piste permettant de renforcer l’observance aux antirétroviraux. Des consultations d’observance sont proposées en milieu hospitalier mais les associations de malades peuvent aussi apporter une contribution essentielle à la réussite d’un traitement, sachant qu’une bonne coordination entre personnel soignant et associations est la clé du succès.