La 15e édition de la conférence annuelle américaine, la CROI – Conference on retrovirus and opportunistic infections – vient de s’ouvrir à Boston ce dimanche 3 février. Comme tous les ans, nous sommes trois militants présents pour rendre compte des travaux de ce rendez-vous incontournable de la recherche internationale sur le sida qui fermera ses portes mercredi soir. Le programme annoncé, les quelques travaux de cette première journée et la session d’ouverture contrastent un peu avec les habitudes.
Tout le monde semble être au rendez-vous de cette 15e CROI à Boston. Surtout les 4 100 chercheurs venus de 82 pays du monde. La tradition pourtant ne fléchit pas, la conférence est bien américaine puisque les étrangers représentent ici moins de la moitié des congressistes et à y regarder de plus près, beaucoup sont des régionaux dans cette ville qui compte parmi les plus prestigieuses universités américaines.
La présentation du programme proposée par les responsables de la conférence, Mario Sephenson et John Mellors, lors de la première conférence de presse ce matin affiche un optimisme très professionnel que seul peut expliquer la présence de quelques journalistes de la presse grand public américaine. Le budget consacré par les Etats-Unis à la recherche publique sur le sida est un des plus conséquents, il ne s’agit pas de décevoir. Pourtant l’ambiance est à la morosité puisque les annonces sont surtout celles des échecs de nombreuses recherches qu’on a connus dans l’année écoulée. Echec dans le domaine de la recherche vaccinale pour commencer, la conférence consacrera bon nombre de sessions à cette recherche et comportera des présentations sur l’analyse de l’échec en question. Echec de la recherche sur le traitement de l’herpes génital par l’acyclovir, une recherche sur laquelle reposait beaucoup d’espoirs puisque cette affection est connue pour aggraver sévèrement le risque de transmission du VIH. Face à cela, la conférence consacre peu de temps aux nouveaux traitements. C’est que les anti-CCR5 et les inhibiteurs d’intégrase ne sont plus tout à fait de la nouveauté. C’est plus dans la recherche fondamentale que la CROI 2008 puise ses ressources. Sur ce terrain, de multiples résultats récents seront présentés : l’étude des protéines cellulaires mises en jeu dans le cycle réplicatif du virus, le rôle joué par les protéines auxiliaires virales, les récentes découvertes sur la physiopathologie du virus, autant d’explications à découvrir pour comprendre mieux la maladie mais aussi découvrir de nouvelles idées de futures thérapies. L’autre sujet plus présent que jamais dans cette conférence, c’est tout ce qui tourne autour de la prévention et de la recherche sur la mise en œuvre et le déploiement des nouvelles techniques de soins et de prévention. Il sera question de la circoncision, des prophylaxies pré-exposition mais aussi de la prévention de la transmission mère-enfant. Un programme tourné surtout vers les préoccupations de contrôle de l’épidémie au Sud et du déploiement de la prévention, de l’accompagnement et de l’accès au traitement.
Retour aux bases
Pour mieux comprendre les interrogations qu’ont suscité chez nous la découverte du programme de la conférence, il suffisait de suivre la plénière d’ouverture. Elle résume à elle seule ce signe d’une conférence qui se cherche et qui explore de nouveaux horizons.
C’est à un chercheur américain de renom qu’a été confiée cette année la traditionnelle présentation d’ouverture scientifique de la conférence, la « Bernard Fields memorial lecture » en mémoire à un célèbre chercheur fondamentaliste américain. Douglas Richman a choisi pour cela de présenter une synthèse de ce qui fait la caractéristique principale du VIH : son extraordinaire rapidité d’adaptation. Après avoir rappelé combien la vitesse d’évolution est liée à la capacité de mutation, le chercheur californien a rappelé les nombreux paramètres qui donnent au VIH sa grande capacité de mutation. La transcriptase inverse génère beaucoup d’erreurs de copie, elle n’a aucun mécanisme de vérification, la réplication est très rapide, voilà pour l’essentiel de ces facteurs auxquels il faut rajouter la pression de sélection conférée par les traitements, les mécanismes cellulaires et les réponses immunes. La capacité d’adaptation du VIH, à l’origine du phénomène de développement de la résistance aux traitements, a été longuement étudiée et comprise dans la première phase de l’épidémie alors que les cliniciens ne disposaient pas encore de traitements assez efficaces pour bloquer la réplication virale et ainsi arrêter la dérive adaptative du virus qui échappait au traitement. Il s’en est suivi de nombreux travaux de recherche sur la prévalence de la résistance puis sur la transmission de virus résistants. Le phénomène a longtemps été considéré comme le principal obstacle à la généralisation de l’usage des traitements dans les pays pauvres où l’on se demandait quel impact il opposait au bénéfice de l’instauration des antirétroviraux. Finalement, l’expérience a montré que les solutions les plus coûteuses sur une base quotidienne étaient celles qui se révélaient les plus rentables à long terme, les traitements se sont imposés comme la solution majeure. Mais la capacité d’adaptation du VIH a posé d’autres problèmes. La relative isolation des différents compartiments, autant au passage du virus qu’aux molécules composant un traitement, provoque des évolutions différentes des virus dans la circulation sanguine, dans le système nerveux ou encore dans les sécrétions génitales. Enfin, l’étude des anticorps fabriqués par l’immunité d’un individu fait apparaître un autre mode de pression et de sélection des virus. Il tente d’échapper autant que possible à ces ennemis par des mutations adaptatives, une course perdue d’avance par l’immunité, incapable de réagir à la même vitesse : la demi-vie des anticorps se mesure en semaines tandis que celle des virus se compte en heures. C’est pourquoi Douglas Richman conclut sa présentation en comparant la situation de l’échec des essais de vaccins et de microbicides que nous connaissons aujourd’hui avec la période des années 80 où les traitements étaient incapables de faire face à l’invasion du VIH, l’époque de Bernard Fields qui déclarait alors « il faut revenir aux fondamentaux ».
Hommage au Sud
L’année dernière la CROI instaurait en plénière d’ouverture une deuxième lecture consacrée à la mémoire de Jonathan Mann et N’Galy. Cette lecture fait honneur à des chercheurs dont les travaux ont été menés à la croisée de la recherche et de la prise en charge clinique. Elle prend cette année un jour plus clairement orienté sur la prévention en venant saluer les travaux menés depuis une vingtaine d’année par l’équipe du Rakai Health Sciences program. Ce choix est significatif de la place de plus en plus prépondérante de la recherche préventive tant dans les orientations scientifiques actuelles que dans le programme même de la conférence.
Rakai est la plus grande cohorte au monde qui étudie la transmission hétérosexuelle du virus du sida. Mis en place dès 1987 dans le district rural de Rakai en Uganda, le projet est issu d’un travail collaboratif entre des chercheurs américains de l’université John Hopkins et des chercheurs Ougandais de l’université de Makerere à Kampala qui travaillaient dès 1982 sur la « Slim disease » qu’on identifierait plus tard comme le sida. Ce programme de recherche suit aujourd’hui plus de 17 000 personnes et intègre un ensemble de service pour la population comme des programmes de prévention, de dépistage et d’accès aux antirétroviraux.
En dehors de la collecte de données épidémiologiques sur la propagation de l’épidémie dans cette population, plusieurs projets de recherche sur des interventions préventives se sont développés autour de cette cohorte. Dans le milieu des années 90, l’hypothèse que les infections sexuellement transmissibles (IST) pouvaient jouer un rôle prépondérant dans la propagation de l’épidémie était avancée. Un essai de cohorte randomisé de traitement systématique des IST a alors été mis en place pour déterminer si cette stratégie pouvait avoir un impact positif sur l’épidémie. Malheureusement les résultats ne furent pas significatifs en terme de réduction de l’incidence.
A partir de cet échec plusieurs investigations furent menées qui conduirent l’équipe à mieux mettre en évidence le rôle de la charge virale comme facteur déterminant du niveau de transmission du VIH. Ou encore de mieux documenter le lien entre le virus de l’herpès ou les ulcérations génitales liées à des IST et l’augmentation de la charge virale.
Face à un virus particulièrement complexe de nouvelles approches d’intervention ont été mises en place par les chercheurs. C’est dans le cadre de la cohorte Rakai qu’un des trois essais randomisés sur la circoncision masculine a été mené[Lire les articles publiés dans [Action N°108 et Protocoles n°47 et la 66ème RéPi ]]. L’équipe s’intéresse aujourd’hui à la transmission du virus du sida et des IST vers la femme lorsque le partenaire séropositif est circoncis. Plusieurs résultats issus de ces recherches doivent être présentés au cours de la conférence.
Les résultats importants fournis depuis plusieurs années par le programme Rakai mettent en évidence l’intérêt de grandes cohortes pour mieux comprendre la dynamique de l’épidémie et la transmission du virus. Loin d’apporter des réponses unilatérales, les travaux menés dans le cadre de Rakai révèlent plutôt, selon les mots de Maria Wawer «un virus particulièrement intelligent» et la complexité de l’épidémie.