Cette tribune a été publiée dans Libération daté du mercredi 5 décembre 2007.
Jean-Denis Crola Oxfam France – Agir ici et Khalil Elouardighi Act Up-Paris.
Le sida a causé plus de 2 millions de décès dans le monde en 2007, dont le deux tiers en Afrique, où le virus reste la première cause de mortalité
Alors que le manque de personnel soignant est aujourd’hui l’un des principaux obstacles à la lutte contre le virus, les travailleurs de la santé ne sont pas épargnés par la pandémie : chaque année, 170 000 d’entre eux sont infectés par le VIH. Par ailleurs les conditions de travail poussent médecins et infirmiers à rechercher d’autres emplois ou à s’expatrier, alimentant ainsi un véritable cercle vicieux.
Au Malawi, près d’un million d’adultes vivent avec le VIH. Avec seulement 2 médecins et 59 infirmier(e)s pour 100 000 habitants au Malawi (contre 337 et 724 en France), le manque de personnel soignant tue. Lorsque le pays a voulu étendre le nombre de bénéficiaires des traitements, il n’a pu y parvenir en raison du manque de ressources humaines. Par ailleurs, tant que la majorité des femmes accoucheront sans avoir accès à un personnel qualifié, il sera impossible d’enrayer la transmission du virus des mères aux enfants. Le Malawi verra disparaître 25 % à 30 % de sa main-d’œuvre sanitaire à cause du virus au cours des prochaines années. Globalement, l’Afrique accusera probablement, à cause de ce fléau, une perte de 20 % de son personnel soignant dans les prochaines décennies, aggravant encore la pénurie. Pour rompre ce cercle vicieux, la nécessité d’investir dans la formation et le recrutement de personnel sanitaire supplémentaire est plus cruciale que jamais. Dans les pays du Sud, les gouvernements se mobilisent. Le Malawi a lancé fin 2004 un ambitieux programme pour former, recruter les médecins et infirmiers nécessaires. Pour motiver et retenir son personnel, il a introduit un système de primes et de gardes payées. Mais ces efforts restent insuffisants. Encore aujourd’hui, une infirmière malawite, qui a fait trois ou quatre ans d’études, gagne souvent moins qu’une personne illettrée qui fait tourner une petite entreprise.
Durant le sommet de juin, les dirigeants du G8 se sont engagés à mobiliser 60 milliards de dollars pour lutter contre le manque de soignants et contre trois des maladies qui ravagent le continent africain : sida, tuberculose et paludisme. Nicolas Sarkozy, qui représentait la France à ce sommet, s’est engagé pour sa part à consacrer un milliard de dollars pour la santé en Afrique. Depuis plusieurs années en effet, la France a fait de la lutte mondiale contre le sida un des objectifs prioritaires de sa coopération internationale en santé. Malgré ces engagements présidentiels, l’analyse de l’aide française réalisée par la commission des finances de l’Assemblée nationale permet de révéler que l’aide de la France consacrée à la santé en Afrique n’a même pas atteint 430 millions de dollars en 2007 – soit bien moins que le milliard annoncé par Nicolas Sarkozy au G8. Un chemin considérable reste donc à parcourir pour que la France tienne réellement ses engagements.
L’enjeu est d’une ampleur sans précédent : stopper les hécatombes du sida, de la tuberculose et du paludisme, avec des traitements – et avec des médecins, des infirmiers et des auxiliaires de santé qualifiés.
Or les prévisions pour 2008 sont également en baisse. Les contributions de la France aux initiatives multilatérales (Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose ; facilité internationale d’achat de médicaments) devraient enregistrer une baisse de 70 millions d’euros l’année prochaine, soit 15 % de moins que les apports de cette année. Dans la mesure où la France permet l’accès aux soins d’environ 160 000 malades du sida à travers ces initiatives multilatérales, ce seraient 24 000 personnes qui verraient leur prise en charge suspendue.
Du côté de l’aide bilatérale aux pays en développement, les prévisions financières sont aussi alarmantes : le récent rapport du Comité interministériel de la coopération internationale et du développement anticipe «une baisse drastique de l’effort financier bilatéral en matière de santé» dans les prochaines années.
A moins d’un changement radical, la promesse faite par Nicolas Sarkozy devant ses homologues du G8 ne sera qu’un effet d’annonce supplémentaire.
Sur le terrain, ce sont des milliers de médecins et d’infirmiers qui ne pourront toujours pas travailler dans des conditions décentes et des dizaines de milliers de personnes qui n’auront pas accès aux traitements qui leur ont été promis.