Ce lundi 3 mars 2008 s’ouvre officiellement à Kampala, Ouganda, le premier forum mondial sur les ressources humaines en santé . A vrai dire, des sessions ont lieu depuis déjà deux jours. Et la cérémonie de clôture, annoncée pour mercredi, se tiendra alors que les débats continueront jusqu’à vendredi : un calendrier bien étrange, sans doute plus fait pour convenir aux représentantEs officielLEs des gouvernements que pour s’adapter à la réalité des débats.
Le forum est organisé par l’OMC, plus exactement par une de ses émanations, la Global Health Workorce Alliance (GHWA), l’alliance mondiale pour les ressources humaines en santé. La GHWA tient une conférence de presse préalable à la cérémonie d’ouverture, l’occasion d’une présentation des besoins humains. 57 pays, la plupart en Afrique et en Asie, sont confrontés à une grave pénurie. L’OMS estime qu’il y aurait besoin de 2 360 000 prestataires de soins (médecins, infirmiErEs, pharmacienNEs, etc.) et 1 890 000 agents administratifs supplémentaires pour combler ce déficit. L’Afrique représente 11% de la population mondiale et 24 % de la charge de la morbidité mondiale ; on y trouve pourtant que 3 % des agents de santé de la planète.
Les conséquences sont évidentes, par exemple en matière de suivi des grossesses, de mortalité maternelle ou infantile, mais aussi d’accès à la prévention, au dépistage et aux traitements contre le sida. En 2000, 5% des personnes qui en avaient besoin avaient accès aux antirétroviraux ; près de 30 % peuvent en prendre aujourd’hui. Mais ce progrès, encore insuffisant, est totalement remis en cause par la pénurie des ressources humaines en santé : s’il y a des médicaments, mais personne pour les prescrire, le problème reste le même pour les malades. La pénurie de travailleurSEs en santé signifie donc bien la mort de nombreuxSEs malades du sida, et d’autres maladies graves.
Les causes sont multiples et varient en intensité d’un pays à l’autre : salaires bas, conditions de travail déplorables, systèmes de soins défaillants, formation insuffisante, etc. Tout cela contribue à favoriser le départ du personnel, qui, après plusieurs années d’études, préfèrent travailler dans les pays du Nord que de rester. Mais les interlocuteurRICEs restent sur ce dernier point très prudents : si la migration des personnels de santé est un signe de la pénurie, il n’est pas question de lutter contre le droit des personnes à s’installer où ils le souhaitent. La solution se trouverait plutôt dans l’amélioration des conditions de travail locales et l’incitation des pays riches, qui ont un intérêt évident à faire venir du personnel qui leur coûtera moins cher que les nationaux, à des pratiques éthiques en matière de recrutement.
Mais une fois posé le constat de la pénurie, les organisateurs de la conférence se contentent de dire qu’il est temps de « passer à l’action » et de décrire leur « vision » d’un monde où chacun, même dans les villages les plus reculés, aura accès à un médecin et un centre de soins performants – et qui ne serait pas d’accord ? Mais, spontanément, personne ne propose aucune donnée sur les besoins financiers pour rendre cette vision possible. Il faut poser la question pour qu’enfin, le docteur Francis Osmawa qu’avec 35 milliards de dollars de plus sur les 7 prochaines années, soit 5 milliards par an, l’Afrique peut surmonter la pénurie en professionnelLEs en santé. Un chiffre qui n’est pas à la hauteur de celui annoncé par la Health Worforce Advocacy Initiative , branche de la GHWA dirigée par la société civile, et qui commence à diffuser dans la conférence un communiqué intitulé « Où sont les 70 milliards de dollars », annuels, indispensables pour surmonter la crise, mais sur l’ensemble du monde, cette fois. Ce montant provient d’un rapport de l’OMS datant de 2006. On le voit, en fonction des besoins qu’on inclut dans la crise des ressources humaines en santé, en fonction, aussi, du courage politique qu’on a pour ne pas s’auto-censurer et présenter des besoins sous-estimés, la différence peut être énorme. Chiffrer les besoins financiers est donc un enjeu prioritaire.
Pourtant, rien dans la conférence n’augure qu’une évaluation précise va être faite au cours du forum. L’ambition semble se limiter à la sensibilisation et à la mobilisation, ce qui est indispensable, mais totalement insuffisant vu l’urgence de la situation. Et ce n’est pas la cérémonie d’ouverture qui va nous faire penser le contraire : injonctions vides et convenues à passer à l’action, enthousiasme à être « tous ensemble », interludes musicaux indécents. Ce qui rend cette cérémonie intolérable, c’est la présence applaudie du premier ministre ougandais, lisant un discours du président Yoweri Museveni. Celles et ceux qui applaudissent savent-ils/elles que Museveni traite l’homosexualité d’abomination et a remis en cause l’efficacité de la capote dans la prévention du VIH. Cerise sur le gâteau de l’ignominie, la ministre de la santé sud-africiane, Manto Tsabalala-Msimang, elle aussi très applaudie. Comme si personne ne savait que la ministre empêche les séropos de son pays d’avoir accès aux traitements qu’elle estime dangereux, qu’elle remet en cause le lien entre le VIH et le sida, et propose une cure à base de conseils nutritifs, dans le registre « mangez de l’ail et du citron, vous irez mieux. ». Des cuisiniErEs à la place d’infirmiErEs, est-ce une manière de résoudre la crise des ressources humaines en santé ?