sida, envie d’en être ? À cette question nous répondons : non. Et puis d’autres questions se posent, simples et plus complexes. De ces interrogations est née cette rubrique, un espace pour parler de soi, de son rapport à la maladie, à la sexualité, aux traitements, à la prévention, au monde. Nous sommes des séropositifVEs, des malades, des activistes de la lutte contre le sida. Rencontre avec un de nos militantEs, Olivier.
Un bref aperçu de ta vie en quelques dates ? Naissance en 1966 à Drancy. J’ai découvert mon homosexualité à l’âge de 16 ans, en écoutant Fréquence gaie, où des garçons passaient des petites annonces ; je me suis dit : « ça existe ». 19 ans, viré du milieu familial par mon beau père. C’était une relation qui est allée très loin, la police s’en est mêlée et j’ai passé 24 heures à Sainte-Anne. Je n’avais plus de chez moi, je vivais chez des copains, cela a duré près d’un an. En 1987, un ami m’a emmené Porte Dauphine et c’est cette rencontre qui a déclenché ma curiosité pour la prostitution. Après une semaine de contact sur le terrain, j’ai trouvé ma place et j’ai commencé à me prostituer, c’était un vrai travail, qui était moins chaud que 8 heures d’usine, quoique. Cela a duré environ 1 an et demi.Cette période-là a cassé quelque chose en moi qui rend impossible aujourd’hui une vraie relation avec un mec. En tant que bénévole et tout au long des années 80, que je sois étudiant ou salarié, je faisais de la radio libre, dans une vingtaine de stations. Avec la radio, j’ai eu de belles rencontres, j’ai découvert divers courants musicaux. Ce qui m’a porté et apporté énormément, c’est la liberté des ondes, la liberté de ton. Au début des années 1980, j’ai rencontré Richard, c’était le premier garçon qui m’a touché et mon premier trouble. À 19 ans, le grand amour de ma vie entre dans ma vie : Antoine, passionné de voyages et skipper. C’était très fort, compliqué aussi parce qu’il avait un ami de son côté, mais c’était très fort, jusqu’à avoir des palpitations. En 1989, j’étais plus que jamais couvert d’acné, j’avais un corps d’ado et un médecin m’a prescrit du Roaccutane, ce fut miraculeux.
Un tournant, en 1990, j’apprends la mort de Stéphane, on s’était quitté quelques mois avant. En 1991, j’écope de 5 ans de prison avec sursis pour avoir émis sans autorisation, ma radio : Radio Flash Méga Star. Il y a eu une accumulation de mal-être qui a duré 2 ans, entre-temps, début 1992, j’apprends ma séropositivité.
La même année, j’apprends que j’ai un frère de 4 ans de plus que moi. On entame une relation qui se révèlera au long cours, pas importante pour moi, sans doute parce qu’on est vraiment différents, et qu’on n’a pas eu la même éducation.
J’ai pris l’habitude de partir un mois ou deux régulièrement et, en 1989 suite à un échange franco-québécois en radio, la francophonie a pris un sens pour moi. En 1998, un ami, Dominique, m’a vraiment soutenu et accompagné moralement jusqu’au bout pour monter un projet de radio en région Bretagne, j’y est mis toute mon énergie et en fin de course, je n’ai pas été retenu par le CSA.
En 2000, j’ai rencontré Marc-Andrew, un canadien francophone et cela a été un retour à une tendresse que j’avais oubliée. En 2003, j’ai sabordé la relation pour une question de santé morale. La cerise sur le gâteau arrive fin 2006, après une période de tout et n’importe quoi, pas de boulot, galère, dépression, la totale. Un ami me fait visiter le local d’Act Up et j’ai tout de suite commencé à fréquenter l’association. Le militantisme, qu’est-ce que cela t’apporte ? Beaucoup de bien. Ca remplace le psy. Le fait d’être compris tout de suite et sans jugement est un gros plus. Se faire respecter en tant que citoyen et affirmer haut et fort que nous avons des droits. J’ai trouvé ici comme une famille, des frères, des sœurs… Tu as eu une jeunesse alternative ? Petit garçon, j’ai vécu dans une petite maison de banlieue, chez des grands-parents communistes. Un grand-père Bougnat et une grand-mère femme au foyer qui a élevé quatre filles pendant et après la guerre. Ce sont ces gens-là qui m’ont appris les bases de la vie, car ma mère était complètement dépassée après son divorce à la fin des années soixante. Ado, j’étais complètement frustré et complexé à force de me faire humilier par mon beau-père. J’ai pris des raclées de la part de mes profs mais surtout de mon beau-père, que je devais appeler papa. Je vivais comme un sauvage dans ma cité. Puis, j’ai découvert la Cibi et avec elle un nouveau monde. Un monde d’adulte, de diversité. Je découvrais la vie pour la première fois. La radio, ça a aussi été la porte d’entrée vers la musique. Ce fut ma chance, c’est devenu ma vie. C’est encore vrai aujourd’hui. Tu es une petite pâquerette ? Tu jouais à la Barbie ? Je jouais à la majorette, à la voiture Majorette. Je n’ai jamais porté de robe. Oh la la ! J’ai un flash, la honte ! Je regardais à la télé les prestations de Claude François ou de Sheila ; et avec les habits de lumière que je me faisais dans des sacs Mammouth, je reprenais les chorégraphies. Peux-tu nous parler de l’annonce de ta séropositivité ? Nous sommes en 1992, je profite d’un examen de la vue pour faire une banale prise de sang. Quelques jours plus tard une lettre me demande de me présenter au même endroit. C’était un vendredi et tout en rangeant sa serviette, il me pose deux questions : « Etes-vous drogué ? Homosexuel ? ». Les yeux dans les yeux, il m’annonce la nouvelle. Je comprends que je ne veux pas y croire. Je suis complètement perdu. Y a plus de bruit dans ma tête. Alors que le docteur range ses instruments, je l’entends me dire qu’il existe des associations. Rien de plus de sa part. Il part en week end et moi je vais gérer ça tout seul. J’ai pris l’ascenseur, traversé le passage piétons sans regarder, comme dans un film. Je suis rentré chez moi et je me suis couché, anéanti. À l’époque que savais-tu du sida, de ses modes de transmission ? Je mettais le préservatif comme on met la ceinture de sécurité, comme une protection automatique. La capote avait son utilité, mais dans ma période de prostitution, ce n’était pas évident. Pas facile de trouver un distributeur de capotes sous un buisson ou dans le tronc d’un chêne !!! Parle-nous de ta vie au moment où tu as appris ta séropositivité ? À ce moment-là de ma vie, j’avais repris (cela à duré a peine deux ans) une activité de pute, en appartement. C’était pour autofinancer ma radio. Ce que j’ai réussi à faire jusqu’au 28 novembre 1990, où les policiers ont débarqué à 6 heures et où ils ont tout pris. Franchement au niveau professionnel j’ai commencé à perdre pied mais j’avais encore cette jeunesse, cette énergie, celle de mes 24 ans. Avant l’annonce de la séropositivité, comment te protégeais-tu ? Et après ? Je ne savais pas qu’il fallait utiliser du gel à base d’eau, et cela m’est même arrivé d’utiliser de la vaseline. Il y a aussi des clients qui poussent à le faire sans capote. Pour la fellation ce n’était pas obligatoire, pour tout le reste si. Dans tous les cas je préférais l’utiliser, ça me rassurait. Après il y a eu un changement, je ne jurais que par la capote. Il arrive des fois où un partenaire n’en veut pas. Dans ce cas-là, il peut remballer la marchandise. Je ne suis pas preneur. J’ai plus envie et ça me dégoûte. Aujourd’hui pour les fellations, cela ce passe comment ? Préservatif, tout le temps, au goût neutre. Les goûts chimiques qu’on nous propose sont dégeulasses, ça coupe plutôt l’envie. J’ai eu 42 ans le 1er avril, cela fait bizarre de reparler de tout cela, c’est vraiment le passé. Ton premier entretien avec ton/ta médecin traitant ? C’était en 1992, avec la médecin de Stéphane, à l’hôpital Salpêtrière où il était mort. Elle a été juste professionnelle. Je l’ai quittée en 1994 suite à un mauvais diagnostic. À ce moment-là, lorsqu’on allait dans les services qui nous prenaient en charge, c’était vraiment clair, de qui était qui et qui venait pour quoi. Cela me mettait mal à l’aise, j’avais du mal à l’assumer. Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ? Dans ces moments-là ce que j’apprécie c’est le côté humain et c’est bien souvent technique. On n’est pas de vulgaires abonnéEs à la Sécurité sociale, on est des humains. Je sens bien que beaucoup de médecins sont dans un rapport de rentabilité avec leurs patients. Comment s’est passée l’annonce de ta séropositivité dans ton entourage ? Je l’ai dit franco à mes amis très très proches, et encore, à chaque fois, dans des moments de ras-le-bol. Il y a eu un peu de tout. Certains sont restés, d’autres ont tourné les talons. Avec ma famille, j’avais coupé les ponts depuis dix ans. Plus tard, vers 1996-1997, j’ai renoué des liens suite aux retrouvailles avec mon frère. Cela s’est su parce que mes parents ont fouillé dans mes affaires. Ils ne m’en ont jamais parlé, mais de temps à autres, il y a des allusions dans les conversations avec le regard bien bas. Comment s’est passée ta première prise d’un traitement antiviral ? J’ai commencé à prendre un traitement 2 ans avant que n’arrive la trithérapie. Je suis un miraculé. Mon plus grand regret, c’est que j’ai eu cette chance et d’autres non, et que cela s’est joué à quelques mois. Mon premier traitement c’était de l’AZT. Niveau efficacité, ce n’était pas génial, mes T4 ont très peu augmenté. J’ai surtout eu des effets désagréables avec la prise de la combinaison de trois molécules. Le traitement est plus lourd. Il y a eu des périodes où je me suis demandé si je ne devrais pas porter des couches Confiance. À l’époque de la prise de Videx, je travaillais comme vendeur et souvent mes collèges me demandaient ce qu’étaient ces prises de médicaments, je me cachais ; mais cela arrivait qu’on me voit les prendre. Je noyais le truc en disant que c’était du Maalox. As-tu déjà souffert de discriminations ? Tout c’est surtout passé dans le non-dit. À l’ANPE il y a des choses qu’on ne peut pas dire. J’ai connu différentes périodes : emploi avec une forte charge de travail, longues périodes de chômage, à l’époque où cela était vraiment mal vu. Et ça, le chômage, être perçu comme un parasite, je l’ai très mal vécu. Depuis deux, trois ans où je me suis désinscris de l’agence pour l’emploi, je me sens beaucoup mieux. Je n’ai plus besoin de me justifier. Sinon j’étais souvent dans des milieux beaufs qui tenaient des propos limites homophobes et je faisais partie des personnes qui en riaient mais que cela blessait. Au jour le jour, c’est quoi d’être séropositif ? Tantôt je peux assumer 12 heures de travail, et tantôt je peux être complètement à la ramasse, Et puis, occasionnellement, je me fais jeter parce que j’ai l’air « trop fatigué, trop vieux ». J’ai un comportement assez détaché, un peu comme l’image qu’on se fait d’un retraité. Je me vois faire de grand voyage, m’offrir des petits plaisirs, un gâteau chez Ladurée, un dîner savoureux entre amis. Carpe diem, c’est que ce tu nous dis ? J’apprécie le moindre détail de la vie, c’est ce qui me fait tenir, les rencontres, la curiosité. La curiosité c’est une marque de fabrique. J’ai goût à la vie, mais il y a des choses que je ne peux plus faire. Souvent je suis trop sensible, à vif, des fois j’aimerais bien basculer de l’autre côté. Tu annonces tout de suite la couleur/ta séropositivité lors de tes émois sexuels ? Je ne l’annonce pas souvent. Mais je fais en sorte de prendre toutes les sécurités. Je suis un adulte responsable. Est-ce qu’être différent t’a posé des problèmes ? Je ne suis pas formaté. Depuis que je suis très jeune, on m’indique que je dois entrer dans le moule et moi je suis depuis toujours plutôt dans l’underground. Je me sens et je vis ma vie hors système. Quelles drogues prends-tu ou as-tu prises ? Ça fait très cliché : deux fois de la coke, un résultat pas concluant ; du shit beaucoup, un peu moins à présent ; des poppers quelques fois. Ma vraie drogue c’est : le chocolat, les crèmes glacées, gâteaux etc. C’est nul pour ma santé, le sucre se transformant en mauvais gras, bien sûr. Comment vis-tu ? Depuis juillet 2007, beaucoup mieux car j’ai gagné mon procès contre la Cotorep (aujourd’hui MDPH) qui du jour au lendemain ne me reconnaissait plus le statut d’handicapé. Le peu de vrais amis m’ont vraiment aidé. Je les remercie encore car pendant deux ans j’ai vraiment mangé de la merde. Des fins de mois ultra-durs, une dépression, la totale, envie d’en finir pour simplifier tout ça, et une très grande solitude. Aujourd’hui, je vis dans une chambre de bonne. J’ai du mal à monter les 7 étages. Je me sens déjà à la retraite. Je ne suis plus à découvert mais je fais mes comptes régulièrement car 628,10 euros ce n’est vraiment pas top. Ton corps, ton image ? Je m’efforce, même si j’ai arrêté le sport, de travailler mon apparence, comme avec le New Fill. J’ai l’impression d’avoir une peau de vieillard. Mais bon pas l’odeur non plus. Il y a aussi cette lipoatrophie des fesses ; je n’ai plus de fesses. Mais j’ai quand même la chance de ne pas avoir la bosse de bison ou le goitre. Il y a aussi des choses qu’on me renvoie sans s’en rendre compte, des gens qui ne savent pas que je suis malade : « avec tout ce que tu manges comme cochonnerie, tu ne grossis jamais »… Si tu devais changer quelque chose dans ta vie, ce serait quoi ? Changer mes habitudes, prendre un virage à 90 degrés, tout jeter, reprendre à zéro, avoir plus de cran. Qu’est ce que tu dirais à unE séroneg sur le fait d’être séropo ? C’est galère. Tu ne peux plus faire machine arrière. Comme qui dirais, tu as perdu.