Samedi 8 novembre 2008, durant le Conseil d’Administration du Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme, la France et les autres pays riches ont imposé diverses coupes sombres et plafonds [[La liste des coupes et plafonds que les pays riches viennent, pour la première fois dans l’histoire du Fonds mondial, d’imposer aux pays pauvres bénéficiaires du Fonds, est décrite en page 15 du relevé de décision du conseil d’administration du 8 novembre, disponible en ligne.
Résumé des coupes et plafonds décidés à Delhi:
a) Concernant les nouveaux projets, présentés par les pays pauvres au conseil d’administration des 7-8 novembre 2008 : une coupe de 10% pour les deux premières années (dites « phase 1 »), puis 25% pour les trois années suivantes (dites « phase 2 »).
b) Concernant les projets en cours : les pays demandant un renouvellement de leur subvention se verront dorénavant appliquer un plafond de 40% d’augmentation budgétaire – ce qui revient à plafonner le nombre de malades qu’un pays peut demander au Fonds mondial de soigner.
c) Suppression de l’appel à projet de mai 2009. Le Fonds mondial avait annoncé qu’il octroierait une salve de financements supplémentaire au printemps 2009, en plus de ses salves de l’automne 2008 et de l’automne 2009. Le CA des 7-8 novembre a annulé la salve annoncée pour le printemps 2009 – seule la salve d’automne 2009 est encore prévue.
d) Correction : la France n’a pas poussé pour le refus pur et simple des pays dits « 2B » en jargon du Fonds mondial (parmi lesquels le Burkina Faso, le Congo et le Burundi), contrairement aux informations dont disposait PLUS au moment de la diffusion de son communiqué du jeudi 6 novembre. En revanche la France a bien poussé pour les coupes et plafonds adoptés par le Fonds le weekend dernier, et s’est même félicitée de leur adoption en séance plénière du conseil d’administration.
Conséquences des coupes et plafonds décidés à Delhi:
a) Conséquences des coupes : les coupes vont être faites sur des budgets analysés en détail et validés par le Comité Scientifique du Fonds mondial, chargé de vérifier la robustesse des projets sanitaires soumis au Fonds mondial pour financement. Le Comité Scientifique a vérifié que toutes les actions sanitaires listées dans le projet sont nécessaires, réalisables, et honnêtement budgétées. Couper 10% puis 25% dans ces activités, c’est donc nécessairement exclure des soins entre 10% et 25% des malades que le pays avait prévu de soigner.
b) Conséquences des plafonds : 137 pays touchent déjà des subventions du Fonds mondial pour lutter contre les pandémies du sida, de la tuberculose et du paludisme. Ces subventions sont pour une durée de 5 ans, et le Fonds mondial entre dans sa 7ème année d’existence. Nombre de pays s’apprêtent donc à demander un renouvellement de leur subvention. Le Fonds mondial étant censé oeuvrer pour l’accès universel au traitement, jusqu’ici il encourageait les pays pauvres à tenter de soigner 100% de leurs malades. Or, en moyenne dans le monde seul un malade du sida sur trois a aujourd’hui accès au traitement VIH. Il faut donc tripler le nombre de malades soigner, soit une augmentation de 200%. En imposant un plafond d’augmentation budgétaire de 40%, le Fonds bafoue l’engagement des pays riches à atteindre l’accès universel au traitement VIH d’ici 2010 – engagement signé au sommet du G8 de juillet 2005, repris par toutes les Nations Unies à l’Assemblée Générale de septembre 2006.
c) Choisir qui n’aura pas de traitement : en imposant ces coupes et ces plafonds, les pays riches mettent de fait les pays pauvres dans l’obligation de faire des choix – faire des choix entre ceux qui seront soignés, et ceux qui ne le seront pas. En Afrique, des millions de familles ont un parent ou les deux parents malades du sida, ainsi que un ou plusieurs enfants contaminés. Forcer les pays à choisir, c’est aussi forcer ces millions de familles à faire ce choix mortel. C’est inhumain.]] dans les budgets alloués aux pays pauvres pour lutter contre ces pandémies meurtrières.
C’est la première fois dans l’histoire du Fonds mondial que les donateurs imposent ainsi des coupes et des plafonds aux pays pauvres – concrètement, ce sont des traitements et des vies humaines qui sont coupés. L’argument avancé par les pays riches pour justifier ces coupes est celui la crise financière, et son impact sur les priorités budgétaires des pays riches.
Les pays riches ont imposé ces coupes au Fonds mondial avant même de tenter de trouver des ressources supplémentaires. Pourtant, les 1,400 milliards de dollars mobilisés en quelques jours cet automne pour renflouer les spéculateurs financiers prouvent qu’il est possible de trouver de l’argent, lorsque la volonté politique est là. Par contraste, les coupes visent à économiser entre 1 et 2 milliards de dollars sur le dos des pays pauvres. Face au refus des pays riches de tenter de mobiliser des ressources supplémentaires, les trois membres du Conseil d’administration du Fonds mondial représentant la société civile internationale ont condamné ces coupes en séance plénière, et ont tenté de bloquer l’adoption des coupes, en votant contre. Malheureusement, les membres du Conseil d’Administration représentant des gouvernements de pays pauvres ont fini par céder aux pressions occidentales, et par voter en faveur des coupes qui leurs étaient imposées – les ONG et les malades ont ainsi été mis en minorité par les Etats, et les coupes ont été adoptées.
PRESSIONS OCCIDENTALES
Un représentant d’Afrique francophone a expliqué son vote pro-coupes en déclarant : «les représentants occidentaux au conseil d’administration nous avaient explicitement menacé de geler le financement des nouveaux projets du Round 8 si nous refusions leurs coupes. En effet, la masse de projets de qualité déposés au Fonds mondial pour financement cet automne est telle qu’elle aurait vidé les caisses du Fonds, ce qui aurait mis les pays riches au pied du mur pour remettre de l’argent. Ces coupes budgétaires leur permettent ainsi de laisser artificiellement de l’argent en caisse, et de déjouer leur obligation à ré-abonder le Fonds.» Ce représentant africain s’est dit disposé à témoigner dans les médias français, sous strict couvert d’anonymat public.
LE SUD DOIT RESISTER
Act Up et Coalition PLUS appellent les pays du Sud à ne pas se laisser décourager, et à continuer au contraire à demander au Fonds mondial de quoi soigner tous les malades du sida, de la tuberculose et du paludisme – malgré les coupes et les plafonds imposés cette semaine. Ces trois maladies sont les plus meurtrières du globe – elles tuent plus de 15,000 êtres humains chaque jour, plus de 6 millions par an. C’est seulement en rappelant aux dirigeants des pays riches le nombre vertigineux de vies qui peuvent être sauvées si tout simplement les promesses étaient tenues, que le Sud a des chances de convaincre le Nord de refinancer le Fonds mondial dans les prochains mois.
KOUCHNER DOIT S’EXPRIMER
Nicolas Sarkozy s’est engagé solennellement, le 7 juin 2007 au sommet du G8, en faveur d’un accès universel au traitement VIH d’ici l’an 2010, pour tous les malades du sida du Sud [[Voir l’engagement de Nicolas Sarkozy du 7 juin 2007 en faveur d’un accès universel au traitement du sida d’ici 2010, émis lors du sommet du G8 à Heiligendamm.]]. Act Up-Paris et Coalition PLUS appellent Bernard Kouchner à confirmer officiellement que la crise financière ne saurait justifier que la France renie ses engagements sanitaires envers le Sud. Bernard Kouchner ne peut être le ministre des affaires étrangères qui laissera mourir le Sud au moment même où l’Etat français alloue 300 milliards d’euros aux spéculateurs boursiers. Bernard Kouchner doit s’exprimer publiquement sur le refinancement urgent du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme.