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Alors que les monothérapies ont été rejetées rapidement après l’arrivée sur le marché de nombreux antirétroviraux, cette stratégie de traitement tend à revenir sur le devant de la scène. Les raisons de ce retour sont multiples, les essais évaluant cela plus rares.

Les résultats après 48 semaines de traitement de deux protocoles d’évaluation d’une substitution de trithérapie efficace par une monothérapie avec un inhibiteur de protéase, le darunavir (TMC114/Prezista®) boosté au ritonavir, ont été présentés au dernier congrès de l’International Aids Society en juillet en Afrique du Sud au Cap. Il s’agit d’un essai français, Monoï, conduit par l’Agence Nationale de Recherche sur le sida et les hépatites (ANRS), et d’un essai international principalement européen, Monet. Les deux essais indiquent que la monothérapie avec le darunavir représente une alternative envisageable à la trithérapie standard chez les personnes contrôlant leur virémie. L’analyse détaillée des résultats montre néanmoins des différences quant à la démonstration de non infériorité du traitement avec le darunavir seul par rapport à une trithérapie le contenant.

Parce que les traitements antirétroviraux à long terme sont coûteux – financièrement certes, mais surtout au niveau de notre santé à cause des effets secondaires – et afin de prévenir l’apparition de résistance aux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse (INTI), la possibilité de remplacer les trithérapies par une monothérapie à base d’inhibiteur de protéase (IP) est étudiée activement dans deux essais portant sur des personnes ayant une charge virale indétectable depuis 6 à 18 mois.

Le résultat souhaité dans les deux essais est de montrer que le remplacement par une monothérapie ne fait pas moins bien que la trithérapie – c’est ce qui est appelé montrer la non-infériorité du traitement nouvellement évalué par rapport à celui de référence dans le jargon des cliniciens et statisticiens.

Essai Monoï

Le but de l’essai multicentrique randomisé Monoï (essai ANRS 136 publiée dans Protocoles 46 de mars 2007) est d’évaluer si une monothérapie au darunavir boosté au ritonavir en remplacement d’une trithérapie est toujours capable de contrôler la virémie à 48 semaines. L’essai s’effectue par comparaison à une trithérapie standard composée de deux analogues INTI associés au darunavir boosté. Dans les deux groupes comparés, les participants devaient déjà avoir pris des antirétroviraux permettant de contrôler leur charge virale. Le contrôle de la virémie chez les personnes recrutées était défini par une charge virale inférieure à 400 copies/mL au cours des 18 derniers mois de traitement et inférieure à 50 copies à l’inclusion.

Le recrutement a porté sur 32 centres français et la sélection stipulait, en plus de la virémie contrôlée, d’avoir plus de 200 CD4, pas d’échec avec un IP et de n’avoir pas été traité au darunavir. Après une première phase de mise sous darunavir pour tous en complément des deux analogues INTI, deux groupes ont été formés pour recevoir le darunavir (600 mg deux fois par jour boosté au ritonavir à 100 mg) avec ou sans les INTI.

Pour 70 % des participants environ, les traitements se composaient de INTI plus un IP, les durées antérieures variaient entre 3 et 11 ans (valeurs médianes de 8 ans pour les deux groupes). L’état immunitaire était bon avec entre 400 et 800 CD4 (valeurs médianes de 580 environ pour les deux groupes).

Méthodologie pour comprendre les résultats

Vous pouvez passer ce paragraphe et sauter directement aux résultats si ce type de détails vous rebute.

Entre mars 2007 et juin 2008, 113 personnes pour le groupe en trithérapie et 112 en monothérapie ont commencé le protocole. Ces 225 personnes constituent ce que les cliniciens appellent, la population que l’on a l’intention de traiter (ITT en anglais pour ‘intention to treat’) – nous verrons que la définition de la population étudiée a son importance pour statuer sur l’efficacité relative de la monothérapie par rapport à la trithérapie.

En plus de 6 personnes (3 par groupe) qui sont sorties en cours de route du protocole, quelques unes ne remplissaient finalement pas strictement les critères d’inclusion, soit 5, et une dizaine ont interrompu les traitements qui leur étaient assignés dans l’essai, sans échec virologique ou effets secondaires sérieux. Cela laisse au final 204 personnes (population dite ‘per protocole’), qui ont suivi le protocole à la lettre. A l’exception des 6 retraits de l’essai, les autres personnes restent comptabilisées dans leur groupe initial pour l’étude des résultats sur la population de type ITT.

Cela peut paraître à première vue étrange, mais les cliniciens considèrent cette dernière population dite ITT comme la meilleure ou la plus réaliste – par rapport à celle dite ‘per protocole’ – pour analyser l’efficacité d’un traitement. Dans ce cas, comme on ne retire – et pour cause – que les personnes qui se sont retirées d’elles-mêmes, le nombre de personnes participantes reste proche de celui des personnes randomisées. Ceci est important, car le nombre optimal de personnes à analyser pour réaliser les analyses statistiques de façon pertinente est déterminé avant de débuter le protocole.

La démonstration de non-infériorité repose sur l’analyse des taux de succès virologique dans les deux groupes (monothérapie versus trithérapie) pour la population analysée (ITT ou per protocole) et surtout de leur différence. Cette différence est évaluée avec une certaine latitude qui se traduit par la présentation des données avec un intervalle dit de confiance. C’est la valeur inférieure de cet intervalle qui importe ici. En effet, avant de débuter l’étude, une valeur limite est choisie, appelée borne clinique, pour statuer si les deux traitements sont équivalents dans l’étude de non-infériorité. Pour Monoï, le choix est de 10 %. Concrètement, la différence d’efficacité entre la monothérapie et la trithérapie ne doit pas être supérieure à 10 %. En fait, concrètement, cette différence ne doit pas être inférieure à -10 %. Le signe négatif vient du fait que la monothérapie est présumée moins efficace que la trithérapie : la différence est donc négative et la valeur inférieure de l’intervalle de confiance ne doit pas être en dessous de cette valeur de -10 %, comme -11 %, par exemple.

Résultats

Pour Monoï, l’échec virologique était défini soit par une charge virale supérieure au seuil de 400 copies/mL pendant deux semaines, soit par un changement de traitement ou une sortie de protocole.

Lorsque l’analyse statistique porte sur la population qui a suivi le protocole à la lettre (dite per protocole), le succès virologique à 48 semaines est de 94,1 % pour la monothérapie et de 99 % pour la trithérapie. L’analyse statistique montre qu’il n’y a pas infériorité de la monothérapie – en effet, la différence est de -4,9 % et l’intervalle de confiance qui encadre cette valeur à pour borne inférieure une valeur de -9 %, donc supérieure aux -10 % critiques (voir la partie méthodologique).

Si l’on considère maintenant la population qui a commencé l’essai (dite d’intention de traitement ou ITT) pour les analyses statistiques, celle qui permet de conclure de façon réaliste, le succès est de 87,5 % pour la monothérapie et 92 % pour la trithérapie. Par contre, cette fois, l’analyse ne montre pas la non-infériorité de la monothérapie – en effet, la différence est de -4,5 %, mais l’intervalle de confiance qui encadre cette valeur a pour borne inférieure une valeur de -11 %, donc inférieure aux -10 % critiques.

Les raisons des échecs constatés dans cette dernière population, soit 8 % en trithérapie et 12,5 % en monothérapie, sont :
– le retrait de 3 personnes dans chaque groupe du protocole (contribuant à 2,7 % d’échecs pour chaque groupe) ;
– 3 échecs de contrôle virologique (charge virale supérieure à 400 copies/mL) uniquement dans le groupe passé en monothérapie avec le darunavir (contribuant à 2,7 % d’échecs), sans pour autant qu’il y ait eu induction de résistance au darunavir et la virémie a été contrôlée après reprise des 2 INTI (inférieure à 50 copies) ;
– des modifications de traitement pour 6 personnes en trithérapie (contribuant à 5,3 % d’échecs) et 8 en monothérapie (7,1 % d’échecs).
L’essai visait aussi en seconde intention à évaluer la proportion de personnes présentant une charge virale indétectable (inférieure à 50 copies/mL). Les proportions étaient de 92 % en trithérapie et 86,6 % en monothérapie à 48 semaines. Quant aux CD4, toujours dans la population en intention de traitement, les valeurs étaient en moyenne de 553 CD4/mm3 en trithérapie et de 660 en monothérapie.

Effets secondaires

Des effets indésirables sérieux ont été constatés en même proportion dans les deux groupes et concernaient 15 personnes en trithérapie et 14 en monothérapie : infections (2 versus 2), événement psychiatrique (1 vs 0), dysfonctionnements du système nerveux central (1 vs 3), événements cardiovasculaires (2 vs 1), cancer (0 vs 3), lipodystrophie (0 vs 1), acte chirurgical (6 vs 3), dysfonctionnement gastro-intestinal (1 vs 0), augmentations des transaminases hépatiques (1 vs 1) et taux élevé de créatine phosphokinase, un indicateur de lésion musculaire comme lors d’un infarctus du myocarde (1 vs 0).

Parmi les quatre personnes qui ont présenté des effets indésirables au niveau du système nerveux central, le cas du groupe sous trithérapie, ne serait pas lié au traitement ; quant aux 3 personnes du groupe passé sous monothérapie, il s’agit d’une encéphalite à VIH et d’un symptôme neurologique possiblement lié au VIH, et tout deux possiblement imputables au traitement évalué. Pour ces deux cas, le VIH était détectable dans le cerveau (580 et 330 copies/mL par dosage du liquide céphalorachidien), mais pas dans le plasma. Après reprise des INTI, les deux personnes se sont remises rapidement et la charge virale cérébrale est retournée en dessous de 200 copies/mL.

Conclusion de l’essai Monoï

Si l’essai n’a pas réussi à démontrer la non-infériorité de la monothérapie par rapport à la trithérapie dans les analyses statistiques sur la population la plus appropriée à étudier, la monothérapie démontre cependant qu’elle permet de maintenir une charge virale indétectable, inférieure à 50 copies/mL, chez un très grand nombre de participants sur la durée, et ce, sans induction de résistance à l’inhibiteur de protéase évalué. De plus, en cas de nécessité, l’intensification de traitement par reprise des INTI est efficace.

Essai Monet

Le but de Monet est aussi de comparer l’efficacité du darunavir – cette fois à 800 mg et boosté au ritonavir 100 mg une fois par jour – en monothérapie par rapport à une trithérapie le contenant avec deux analogues INTI, toujours chez des personnes prétraitées ayant contrôlé leur virémie. Pour cet essai, le contrôle de la virémie était défini par une charge virale inférieure à 50 copies/mL pendant au moins 24 semaines avant l’inclusion.

Résultats

L’étude a porté sur environ 125 personnes par groupe et, cette fois, contrairement à Monoï, quelle que soit la façon d’analyser les résultats (population ITT ou per protocole par exemple), la monothérapie s’est avérée systématiquement non inférieure à la trithérapie à 48 semaines. Ainsi, en population per protocole, les pourcentages de personnes présentant une charge virale inférieure à 50 copies/mL à 48 semaines étaient de 86,2 % en monothérapie et 87,8 % en trithérapie – soit une différence de -1,6 % et une valeur inférieure de l’intervalle de confiance de -10,1 %, supérieure à -12 % qui était la borne clinique fixée dans cet essai pour la démonstration de non-infériorité. En intention de traitement, les valeurs passent à 84,3 % en monothérapie et 85,3 % en trithérapie – soit une différence de -1 % et une valeur inférieure de l’intervalle de confiance de -9,9 %, toujours supérieure à -12 %.

La plupart des augmentations de charge virale étaient faibles (50-400 copies/mL) et, à la dernière visite, les personnes participant à l’essai étaient de nouveau en contrôle virologique (charge inférieure à 50 copies/mL), qu’il s’agisse du traitement reçu après randomisation dans l’essai ou d’un traitement intensifié. De plus, aucune résistance au darunavir n’a été observée au niveau phénotypique, c’est-à-dire que la souche virale reste toujours sensible au darunavir dans les tests réalisés sur des cellules en culture infectées par la souche en question. Une résistance a cependant été constatée dans chaque groupe au niveau génotypique, ce qui veut dire que la séquence de la souche virale a muté au niveau de la protéase (gène viral de la cible du darunavir), une telle mutation peut ne pas voir d’effet fonctionnel, ce qui est le cas ici puisque le test cellulaire n’a pas mis en évidence de résistance. Aucun effet nouveau ou inattendu n’a été observé dans l’essai Monet, selon les investigateurs.

A retenir

Ces résultats sont plutôt encourageants, d’autant plus qu’en cas d’échappement virologique, le retour à la trithérapie est accompagné d’une absence de résistance phénotypique aux inhibiteurs de protéase et d’un contrôle de la virémie. Enfin, comme le note l’investigatrice principale de l’essai Monoï qui présentait les résultats à l’IAS, Christine Katlama de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris et de l’unité INSERM sur les maladies infectieuses U943, en plus de l’intérêt d’éviter l’apparition de résistances aux inhibiteurs de la transcriptase inverse et les toxicités à long terme liées à cette classe d’antirétroviraux, la monothérapie est moins chère …

L’essai Monoï continue jusqu’à 96 semaines et il sera intéressant de voir si la non-infériorité du darunavir seul est au rendez-vous dans tous les cas cette fois. Des résultats complémentaires seront aussi disponibles pour connaître le bénéfice de la stratégie en termes de qualité de vie et d’effets secondaires au niveau des tissus adipeux et des os – d’où notre regret (récurrent) quant au trop petit nombre de femmes recrutées, 25 % seulement pour Monoï, 20 % pour Monet….