La stimulation chronique du système immunitaire lors de l’infection par le VIH a pour conséquence directe de fournir en permanence des lymphocytes T CD4 sous une forme active (C’est-à-dire prêts à défendre l’organisme contre un corps étranger et non plus en attente sous une forme dite mémoire), cibles privilégiées du VIH. La mise sous antirétroviraux permet de réduire la charge virale et une reconstitution en lymphocytes T CD4, du moins au niveau sanguin.
L’étude spécifique de ces éléments au niveau intestinal montre des différences notables. Le retour à la normale n’est pas au rendez-vous et les dégâts précoces causés par le VIH restent durables.
Reconstitution lymphocytaire après traitement
Sous antirétroviraux, la reconstitution en lymphocytes T CD4 au niveau digestif est faible et retardée par rapport à ce qui se passe au niveau sanguin. Ce constat est issu de l’étude de biopsies (généralement au niveau du duodénum) prélevés après un traitement antirétroviral sur le long terme. Il existe toutefois une différence selon que le traitement a été initié lors de la phase chronique de l’infection ou en phase précoce – là où tout se joue au niveau intestinal. Après traitement pendant l’infection dans la phase chronique, peu d’entre nous réussissent à récupérer quelques CD4 intestinaux. Un traitement en phase aiguë permet de doubler la mise, mais cela reste très loin de la normale constatée chez les personnes séronégatives.
Comment expliquer la reconstitution incomplète
Malgré les traitements, des cellules persistent à produire du virus dans l’intestin. La charge virale est diminuée, mais pas nulle, comme le montrent des études de biopsies rectales par exemple. La persistance d’une réplication virale intestinale, même de nombreuses années après traitement, pourrait expliquer l’absence de reconstitution en lymphocytes T CD4, d’autant plus que ce sont ces cellules elles-mêmes qui contribuent à y produire le virus. Cet échec des traitements à reconstituer la population de lymphocytes T CD4 dans l’intestin pourrait provenir d’une mauvaise distribution des antirétroviraux, comme le suggèrent deux chercheurs[[JM Brenchley et DC Douek dans le numéro de janvier 2008 de la revue Immunology.]]. A l’appui de cette hypothèse, ils invoquent la présence, tout le long de la barrière intestinale, de récepteurs bien particuliers dont la fonction est d’expulser, entre autres, les médicaments vers l’extérieur du tissu intestinal.
Un autre mécanisme pourrait expliquer l’absence de reconstitution intestinale en lymphocytes T CD4 malgré les traitements : la persistance d’une inflammation locale dans les tissus lymphoïdes de l’intestin, ce qui conduit à des altérations durables au niveau intestinal, notamment dans les structures lymphoïdes qui lui sont spécifiques.
Effet des traitements
De façon générale, l’inflammation est associée au dépôt de fibres, tout particulièrement de collagènes. Cette fibrose a été décrite dans les ganglions lymphatiques après infection par le VIH. Elle peut même être utilisée comme marqueur prédictif du niveau de remontée en lymphocytes T CD4 dans le sang après traitement antirétroviral. Cette fibrose altérerait la fonctionnalité des ganglions lymphatiques et, du coup, le comportement des lymphocytes T CD4.
Les antirétroviraux permettent néanmoins d’éliminer certaines altérations tissulaires dans le tube digestif comme le montrent les études d’un groupe de Berlin
Article publié dans la revue Gut en février 2009.
. Les villosités ne sont plus atrophiées et la barrière intestinale ne présente plus de défauts. La comparaison de biopsies intestinales en absence et en présence de traitements efficaces montrent que ceux-ci s’accompagnent d’une diminution de la destruction de cellules intestinales constituant la barrière – il y a moins de mort cellulaire active de type apoptose. De plus, les interactions entre cellules intestinales sont renforcées en présence de traitement, ce qui augmente l’effet barrière altéré par l’infection par le VIH.
Un traitement antirétroviral peut diminuer le taux de LPS circulant, mais ne le descend pas à la normale. Il reste encore deux fois plus élevé que chez une personne séronégative pour le VIH. En fait, la persistance d’un niveau élevé corrèle avec une faible reconstitution en lymphocytes T CD4 dans le sang.
En guise de conclusion
Par souci de simplification, nous avons volontairement éludé certains aspects, en particulier tout ce qui concerne un sous-type de lymphocytes T CD4 récemment identifié, les lymphocytes auxiliaires Th17 (h pour aide, ‘helper’ en anglais) qui sont spécifiques de l’intestin et qui semblent jouer un rôle crucial dans nombre des mécanismes évoqués au cours de cet article. Nous aurons l’occasion d’en parler très prochainement dans un futur numéro.
Les antirétroviraux ne sont pas suffisants pour restaurer un tissu intestinal immunitaire complètement opérationnel. L’effet est un peu meilleur au niveau de la barrière intestinale, mais incomplet puisque les niveaux de LPS, marqueur d’une éventuelle translocation microbienne, ne reviennent pas à la normale. Des essais sont en cours pour évaluer l’effet de yaourts enrichis en certains probiotiques[[La bactérie Lactobacillus rhamnosus GR-1 ou Lactobacillus reuteri RC-14, par exemple, et les sous-types indiqués par les lettres et chiffres ont leur importance ! Chaque souche a ses caractéristiques.]] sur le nombre de CD4 chez des adultes ou des enfants séropositifs en Afrique et au Brésil. A ce jour les résultats sont mitigés. C’est une piste intéressante à explorer, car ces compléments probiotiques pourraient améliorer l’apport nutritif et combattre les diarrhées chroniques quand ils sont additionnés de fibres.
A retenir
Les traitements antirétroviraux contrecarrent l’atteinte tissulaire de la barrière intestinale due au VIH, mais ne permettent pas de restaurer la population de lymphocytes T CD4 qui jouent un rôle crucial dans l’équilibre entre la flore intestinale et le tube digestif. Malgré les traitements, l’organisme est toujours le siège d’une activation immune chronique qui se manifeste par une inflammation chronique.