De quoi s’agit-il ?
Observée au cours de l’évolution de l’infection par le VIH et distincte de celle sous-cutanée et rétropéritonéale, la graisse viscérale correspond à une accumulation au niveau des membranes issues des replis du péritoine ; elle est dite omentale et mésentérique (Le péritoine est une fine membrane qui tapisse la cavité abdominale et l’extérieur des viscères qui se trouvent en fait contenus dans la cavité formée par les replis du péritoine ; l’omentum entoure les parois de l’abdomen et les viscères abdominaux et le mésentère connecte une partie de l’intestin grêle à la paroi abdominale ; les parties rétropéritonéale sont en arrière et en dehors de la cavité (appareil urinaire par exemple).. Cette accumulation n’est sans doute pas directement liée au virus, mais plutôt associée à la prise de traitement, sans que l’on puisse véritablement incriminer l’un plutôt que l’autre. Paradoxalement, elle pourrait être liée au contrôle de l’infection. L’orateur à la CROI – Marshall Glesby de New York – mentionne d’autres pathologies graves où un contrôle réussi peut avoir comme conséquence des modifications métaboliques, peut-être en lien avec une réponse immune.
Quelle en est l’origine ?
Le tour d’horizon présenté sur ce sujet fait apparaître finalement le peu de compréhension du mécanisme sous-tendant l’accumulation de dépôts graisseux au niveau viscéral. Parmi les pistes possibles, on notera :
– des travaux montrant une dérégulation du métabolisme des acides gras ;
– une augmentation des concentrations locales de cortisol à cause d’une conversion aberrante à partir de cortisone ;
– l’hypothèse d’un retour exagéré vers la normale ;
– un lien avec la reconstitution immune, par le biais d’une proximité au niveau des dépôts graisseux de certaines cellules associées au métabolisme, comme les adipocytes, avec des cellules participant à l’immunité, comme les macrophages ;
– pour finir, une contribution possible d’une déficience en hormone de croissance. Effectivement, chez l’homme – pas de données chez la femme… – la sécrétion nocturne de cette hormone diminue de 50 % chez les séropositifs ayant une redistribution des graisses par rapport aux hommes n’en ayant pas, qu’ils soient séropositifs ou pas.
Pourquoi s’en débarrasser ?
Intervenir pour diminuer cette accumulation permettrait :
– de réduire les risques cardiovasculaires[[voir aussi la présentation #703 sur www.retroconference.org]], montrant que l’adiposité viscérale, mais pas celle généralisée à tout le corps, est un facteur prédictif de maladies cardiovasculaires chez les hommes séropositifs) ;
– d’éviter de développer un diabète ;
– d’améliorer la qualité de vie ;
– d’améliorer la densité minérale osseuse ;
– et aussi, peut être, de réduire le risque de fibrose hépatique[[voir la présentation #69 sur www.retroconference.org]] de Jacqueline Capeau sur les altérations du foie chez les personnes séropositives pour le VIH).
Comment intervenir ?
Des études portant sur un nombre limité de personnes, parfois sans contrôles, ont évalué l’impact de l’effort physique pour perdre du poids, comme des séances d’aérobic, ou des consultations de diététique pour modifier le mode de vie. Les résultats sont mitigés et nécessiteraient des études plus poussées. Une autre piste consiste à modifier les traitements, mais là, les résultats sont globalement décevants et parfois pas reproductibles. L’utilisation de thiazolidinediones[[Molécules aussi appelées glitazones, utilisées pour le traitement du diabète.]] qui permettent de diminuer la masse graisseuse viscérale chez les diabétiques (non séropositifs) n’a pas eu d’effet bénéfique chez les personnes séropositives. Un autre anti-diabétique, la metformine, réduit la masse graisseuse, mais de façon non sélective puisque celle sous-cutanée l’est aussi, avec un risque accru de lipoatrophie. Lors de l’essai ACTG A5079, de la testostérone en gel transdermique a été évaluée pour traiter l’hypogonadisme[[Altération de l’appareil reproducteur associant une perte de fonctionnalité des ovaires ou testicules avec impact sur la production d’hormones.]] qui est associé à une accumulation viscérale de graisse. Une perte -ce qui aggrave les symptômes- a été constatée au niveau sous-cutané, mais pas viscéral. Pour finir, des essais de traitement par de l’hormone de croissance humaine (une forme artificiellement produite, dite recombinante) à forte dose (6 mg) ont permis d’obtenir une réduction de 40 % des graisses viscérales – et de 10 % au niveau sous-cutané. Cependant, cet effet est réversible à l’arrêt du traitement et, de plus, associé à des effets indésirables non négligeables (symptômes musculo-squelettiques et augmentation du glucose pouvant conduire à un diabète). Du coup, des doses plus faibles ont été évaluées (0,33, 0,7 et 4 mg) dans d’autres essais avec une plus ou moins bonne tolérance, mais des effets moindres. Cette piste semble progressivement abandonnée au profit de l’utilisation d’un modulateur de la voie de signalisation associée à l’hormone de croissance. En l’occurrence, il s’agit d’utiliser un analogue d’un facteur de libération de cette hormone (le GHRF pour Growth Hormone Releasing Factor), une molécule de synthèse appelée tésamoréline (Egrifta®) ou TH9507 du laboratoire canadien Theratechnologies. Deux essais de phase III publiés indiquent que ce composé permet une réduction d’environ 11 % de l’adiposité viscérale avec une bonne tolérance, et sans effet au niveau du glucose. Ce composé est en cours d’évaluation par la FDA et un avis est attendu pour fin mars. Ce pourrait être le premier médicament anti-adiposité viscérale pour les personnes séropositives atteintes de lipodystrophie.
En conclusion
L’orateur rappelle que diminuer sélectivement l’adiposité viscérale sans augmenter la lipoatrophie reste un défi et que les pistes qui ont donné des résultats encourageants (hormone de croissance recombinante et surtout tésamoréline) nécessitent une vigilance lors d’utilisation prolongée – ce qui sera nécessaire puisque les effets sont réversibles à l’arrêt du traitement. Enfin, on ne connaît pas la diminution optimale de graisse viscérale requise pour un réel bénéfice clinique.