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Lors de la dernière conférence sur les rétrovirus et les infections opportunistes (CROI 2010) à San Francisco en février dernier, Jacqueline Capeau, a passé en revue une des complications au niveau du foie, la stéatose hépatique.

Nous reprenons ici les différents points de la présentation de cette femme professeur à l’université Pierre et Marie Curie de Paris et chercheuse dans une unité INSERM à l’hôpital Saint-Antoine. Au menu donc : description des symptômes, facteurs de risque, mécanisme, diagnostic et traitement.

De quoi s’agit-il ?

Lorsque le foie accumule des corps gras sans lien avec une consommation d’alcool, on parle de maladie du foie gras[[Abrégée en anglais sous le sigle NAFLD pour non-alcoholic fatty liver disease]] terme qui regroupe plusieurs types de complications pathologiques. Elles ont toutes en commun ce que l’on appelle une stéatose hépatique, c’est-à-dire une accumulation de triglycérides dans les cellules qui constituent le foie, les hépatocytes, en l’absence de co-infection et d’une consommation excessive d’alcool – moins de 10 grammes par jour pour les femmes et moins de 20 g/jour pour les hommes. La densité de l’alcool étant de 0,8 (soit 800 grammes pour un litre), un petit verre d’alcool pur (donc à 100 %) de 10 cl équivaut à 80 grammes d’alccol ; un petit verre de 10 cl de vin ordinaire à 10° (soit 10 % d’alcool) correspond alors à 8 grammes d’alcool. L’alcoolémie se mesure par contre en gramme par litre de sang. Certaines formes peuvent évoluer vers une stéatohépatite non alcoolique[[Abrégée en anglais sous le sigle NASH pour non-alcoholic steatohepatitis]] caractérisée toujours par une stéatose avec, de plus, un gonflement des hépatocytes et une inflammation. Une complication de cette stéatohépatite est la cirrhose qui peut dans certains cas évoluer vers un cancer du foie.

Quels sont les risques ?

Plutôt bénigne, la simple stéatose peut évoluer vers la stéatohépatite non alcoolique (NASH) chez 12 à 25 % des personnes atteintes dans la population dite générale. Cette stéatohépatite est associée à une augmentation des maladies cardiovasculaires et à une survie diminuée. La moitié des personnes atteintes de NASH vont développer une fibrose et 15 % de celles-ci une cirrhose. Enfin, pour 4 % des personnes au stade cirrhose, des complications vont apparaître.

Qui est concerné ?

Toujours dans la population générale, entre 10 et 30 % des personnes ont une NAFLD, mais le pourcentage monte à 95 % chez les obèses et 70 % chez les diabétiques de type II (non insulino-dépendants). La NAFLD peut rendre compte de 30 % des augmentations du niveau des transaminases et 10 % des cirrhoses constatées lors d’un examen. La séropositivité au VIH augmente ce risque jusqu’à 30-40 %. En cas de co-infection par le VIH et un virus de l’hépatite B ou C, la prévalence d’une stéatose est estimée entre 40 et 70 %.

Quels sont les facteurs de risque en cas de séropositivité ?

Pour répondre à cette question, deux études conduites dans des centres cliniques ont été commentées par Jacqueline Capeau : l’une de la clinique métabolique de Modène en Italie, portant sur 225 personnes séropositives pour le VIH et l’autre du centre médical de la marine de San Diego en Californie, portant sur 216 personnes séropositives pour le VIH. Les facteurs de risque identifiés dans ces deux études étaient d’un côté ceux retrouvés dans la population générale : être un homme, avoir des transaminases élevées, présenter une adiposité (révélée par l’indice de masse corporelle ou par le tour de taille) ou des altérations lipidiques (augmentation des triglycérides et diminution du cholestérol HDL). L’exposition aux inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse a été trouvée comme un facteur de risque dans l’étude italienne, mais pas la californienne. Quant à l’infection par le VIH, elle n’a pas été identifiée comme un facteur de risque dans les deux études.

Est-ce plus grave en cas de séropositivité ?

Plusieurs études chez un nombre limité de personnes examinées et présentant toutes un indice de masse corporelle normal, mais des transaminases élevées, montrent une sévérité plus importante de l’évolution chez les personnes séropositives. Ainsi, une petite étude chez une population atteinte de NAFLD a comparé 9 personnes séronégatives à 14 séropositives, sous traitements, présentant des anomalies de répartition des graisses (lipodystrophie), avec ou sans résistance à l’insuline. Les résultats montrent que si les deux tiers des personnes séronégatives (6 sur 9) sont au stade de stéatose simple, tous les participants séropositifs sont à un stade supérieur. Les deux tiers des personnes insulino-résistantes (6 sur 9) et 40 % des non insulino-résistants (2 sur 5) étaient au stade NASH, contre un tiers des séronégatifs (3 sur 6). Les atteintes tissulaires sont aussi plus fréquentes chez les participants séropositifs – 100 % de nécrose lobulaire avec le VIH contre 60 et 33 %, pour les 3 groupes comparés (séropositifs et insulino-résistants, séropositifs et non-insulino-résistants, et séronégatifs). Une autre étude portant sur 30 personnes indique de forts pourcentages de stéatose, fibrose ou les deux combinées. 20 % des personnes présentant une fibrose avaient une forme sévère. L’apparition de NASH corrélait avec une résistance à l’insuline, mais pas à la prise de traitement.

Quelle est l’origine de ces dérèglements ?

Jacqueline Capeau rappelle que les dépôts adipeux dans la partie inférieure du corps humain sont protecteurs, alors que les dépôts supérieurs, en particulier au niveau viscéral, sont délétères au niveau métabolique. Entre les repas, les tissus adipeux de notre organisme libèrent des acides gras qui sont utilisés par nos muscles et notre foie comme source d’énergie. Les tissus adipeux produisent aussi des molécules qui aident à cette réalisation – des adipokines comme l’adiponectine ou la leptine. Le foie joue un rôle capital dans la transformation de ces acides gras qu’il convertit en énergie (triglycérides et VLDL), qu’ils proviennent des tissus adipeux ou de la transformation du glucose par les hépatocytes. En temps normal, il y a un équilibre qui s’établit entre ce qui rentre et ce qui sort du foie. Si ce qui rentre devient plus important – sans doute parce que les dépôts adipeux sont plus importants au niveau viscéral, comme le suggère la corrélation entre le niveau de tissu adipeux hépatique et celui viscéral –, une stéatose hépatique s’installe. Elle provient donc d’un déséquilibre entre les entrées et sorties du foie. Le rôle de l’insulino-résistance est aussi suggéré par sa corrélation avec le niveau de dépôts adipeux dans le foie. Au niveau moléculaire, l’hypertrophie des tissus adipeux viscéraux entraîne une inflammation locale conduisant au recrutement de cellules spécialisées, des macrophages, qui vont libérer des facteurs diffusibles (Facteurs qui vont se répartir dans les tissus.) avec développement d’une insulino-résistance locale et diminution de la libération d’adiponectine. Cela s’accompagne d’une libération accrue d’acides gras qui sont alors captés par le foie et les muscles – c’est la stéatose. De plus, ces accumulations conduisent à une toxicité locale – une lipotoxicité – entraînant aussi l’insulino-résistance. Enfin, l’inflammation au niveau viscéral joue un rôle direct dans la sévérité du dérèglement hépatique (apparition de NASH) par le biais des facteurs diffusibles pro-inflammatoires (cytokines) libérés en plus des acides gras.

Dans la population générale, la stéatose résulte du type de régime alimentaire, de l’insulino-résistance, d’altérations métaboliques, de la quantité de dépôt adipeux viscéral, du manque d’exercice physique et de la sédentarité contemporaine souvent associée à une nourriture peu équilibrée. L’évolution vers la phase NASH résulte d’un stress oxydatif accru, d’une augmentation de la production de cytokines et d’endotoxines dérivées des bactéries du tube digestif. Chez les personnes séropositives et pour la stéatose, il y a une accélération de l’insulino-résistance, des altérations métaboliques,et de la quantité de dépôt adipeux viscéral, en particulier par le biais de l’apparition de lipodystrophies. Pour l’évolution vers la phase NASH, en dehors de l’utilisation de certains antirétroviraux (inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse), l’augmentation des taux de cytokines et de dérivés bactériens[[L’infection par le VIH entraîne ce que l’on appelle une translocation bactérienne au niveau digestif, c’est-à-dire le passage de fragments de bactéries intestinales dans le sang, voir Protocoles 59 de janvier 2010]] associées à l’infection par le VIH contribue à accélérer le processus en favorisant le stress oxydatif et l’inflammation. Au passage, la situation est encore plus complexe, voire plus rapide chez les co-infectés, car l’infection par le virus de l’hépatite C augmente à elle seule la stéatose, (notamment avec le génotype 3) ainsi que ces deux derniers paramètres.

Comment établir un diagnostic ?

Il s’agit d’une démarche pas à pas qui s’effectuera chez les personnes à risque (obésité abdominale, diabète, syndrome métabolique, augmentation des transaminases non expliquée). Il existe des marqueurs pour évaluer la stéatose, la stéatohépatite non alcoolique et la fibrose. En cas de score équivalent ou supérieur à F2 pour les marqueurs de fibrose, il est recommandé d’effectuer une biopsie pour établir le taux de stéatose hépatique qui permettra d’optimiser la stratégie de prise en charge selon la vitesse d’évolution après un suivi régulier.

L’imagerie médicale permet d’établir un diagnostic de la stéatose de façon non invasive et comporte plusieurs procédures : ultrasons, CT scan (Computed Tomography) et résonance magnétique (MR ou H-MRS pour la spectroscopie des protons H). Côté tests non-invasifs à partir de marqueurs, avec une simple prise de sang il en existe deux pour la stéatose : le Steato test (combinaison de différents marqueurs à l’équivalent du Fibrotest® et de données personnelles) et un plus récent, le NAFLD liver fat score. Cependant, Jacqueline Capeau déclare que la détermination de la sévérité de la stéatose ne présente pas d’avantage clinique et que c’est plutôt le diagnostic de la présence d’une stéatohépatite non alcoolique et de la fibrose qui dicte le pronostic hépatique à long terme.

Il existe aussi des marqueurs de la stéatohépatite non alcoolique[[Test NASH, fragment de cytokératine 18, index Palekar, index Shimada, rapport adiponectin/leptine et valeur HOMA]]. Pour la fibrose, il est important de collecter les données personnelles (âge, indice de masse corporelle, sexe, existence de diabète, de syndrome métabolique) ainsi que l’évaluation de plusieurs marqueurs sanguins (HOMA-IR, ASAT/ALAT, GGT, nombre de plaquettes, acide hyaluronique). Un nombre important de tests ont aussi été développés (BAAT, NFS, ELF, Fibrometer, Fibrotest®, acide hyaluronique, NS), dont certains doivent encore être validés ou optimisés, notamment pour la détermination des scores intermédiaires – par contre, ils sont bien spécifiques pour évaluer les stades sévères ou l’absence de fibrose. Ce qui est important de pouvoir déterminer, c’est la sévérité de la fibrose, c’est-à-dire les stades avancés appelés F3 (pré-cirrhose) ou F4 (cirrhose). Le diagnostic peut aussi être effectué par une méthode d’élastographie transitoire ou Fibroscan® qui mesure la raideur du foie (résistance à la déformation élastique) – cette méthode n’est pas fiable chez les personnes obèses.

Jacqueline Capeau conclura plus loin sa présentation en mentionnant qu’il est important d’effectuer au moins des tests non invasifs pour rechercher une éventuelle stéatose ou fibrose chez les personnes à risque d’un tel développement.

Y a-t-il des traitements efficaces ?

Du moins pour la population générale, un changement de mode de vie avec une prise en charge au moins à moyen terme du point de vue diététique et un accompagnement pour une reprise adaptée d’exercices physiques réguliers permettent de stabiliser parfois, voire d’améliorer la masse graisseuse hépatique. Toujours dans la population générale, des études ont montré que la prise de médicaments pour traiter l’insulinorésistance (metformine, pioglitazone et rosiglitazone, de la famille des statines) permet d’améliorer la stéatose et le niveau des transaminases, mais pas la fibrose ou l’état inflammatoire hépatique de façon convaincante. D’autres pistes pharmacologiques ont été évaluées. L’essai de phase III PIVENS[[Pioglitazone versus vitamine E (tocophérol) versus placebo pour le traitement de la stéatohépatite non alcoolique chez les non-diabétiques.]] montre un effet bénéfique de la prise de vitamine E sur la stéatose, le niveau des transaminases et la fibrose et l’inflammation hépatique. Ces résultats présentés à l’association américaine pour l’étude des maladies du foie (American Association for the Study of Liver Diseases) en 2009 nécessitent d’être confirmés. Il y a aussi un essai en cours évaluant un acide biliaire, l’acide ursodéoxycholique (Delursan®, Ursolvan®), qui pourrait montrer un effet sur la stéatohépatite non alcoolique. Reste à mentionner l’effet apparemment très prometteur de la L-carnitine (triméthyl-aminohydroxy-butyrate, Levocarnil®), un produit impliqué dans le transport des acides gras. Selon un article récent, la L-carnitine proposée comme complément alimentaire améliorerait de nombreux paramètres hépatiques chez des sujets – non séropositifs – atteints de stéatohépatite non alcoolique, dont le score révélé à partir d’analyses histologiques. Comme le mentionne Jacqueline Capeau, il s’agit d’une petite étude et l’avenir démontrera, sur un plus grand nombre de personnes évaluées, si ces résultats « provocateurs » comme elle le dit, tiennent la route – on peut aussi espérer que des personnes séropositives seront enrôlées, voire des co-infectées VIH-hépatite !

Et chez les co-infectés VIH-hépatite ?

Dans la dernière partie de sa présentation, Jacqueline Capeau passe en revue rapidement ce qui se passe chez les personnes co-infectées. La stéatose est très fréquente, 70% des cas, chez les co-infectés VIH avec le virus d’hépatite de type C de génotype 3. Le chiffre est plus faible, 30 %, chez les co-infectés par un autre génotype de l’hépatite C. La stéatose et la fibrose sont plus sévères chez les co-infectés. De plus, le rythme de progression de la fibrose augmente avec la sévérité de la stéatose. Nous aurons l’occasion de revenir sur les problématiques associées à la co-infection VIH-hépatites dans nos prochains numéros, notamment en reprenant des analyses fines à partir des deux premières études majeures sur le traitement par la bithérapie PEG interféron rivabirine chez des coinfectées VIH-VHC. Ces études datent de début 2000, mais deux études de cohorte ont permis de suivre les candidats au long cours : APRICOT, une étude internationale du laboratoire Roche et RIBAVIC, une étude publique en France menée par l’Agence nationale de recherche sur le sida et les hépatites virales (ANRS) et le concours du laboratoire Schering-Plough.
A retenir
L’accumulation de graisse dans le foie (stéatose hépatique) est fréquente en cas d’infection par le VIH et liée à des facteurs métaboliques, mais pas à l’infection elle-même. Il pourrait y avoir un lien avec la prise d’inhibiteurs nucléosidiques de la transcriptase inverse, mais le rôle direct des antirétroviraux n’est pas prouvé. L’évolution séquentielle vers des formes plus graves – stéatohépatite non alcoolique, fibrose et cirrhose – est possible et doit être dépistée chez les personnes séropositives à risque (hommes, transaminases élevées non expliquées, adiposité ou altérations lipidiques). Les formes sont plus sévères chez les personnes séropositives que dans la population générale – et encore plus chez les personnes co-infectées VIH-hépatite virale B ou C. Une modification majeure du mode de vie (repas équilibré, reprise d’exercices physiques) pourrait améliorer cette nouvelle maladie contemporaine, ainsi que le recours à des options pharmacologiques complémentaires toujours en cours d’évaluation (vitamine E, acide ursodéoxycholique, L-carnitine).