Les symposiums de fin de journée sont toujours
des moments de la conférence où l’on prend le temps d’approfondir les questions de recherche. Ainsi les recherches fondamentales sur la physiopathologie de l’infection à VIH et leurs implications dans la recherche vaccinale étaient bien présentes. Au rendez-vous aussi, une piste très en pointe : la question de la latence des cellules infectées, autrement dit de la persistance du virus dans le corps des personnes infectées, avec comme corollaire les tentatives d’élimination du virus de l’organisme. Les épidémiologistes aussi s’intéressent à la persistance du virus, mais plutôt dans la population. Leur outil de mesure est devenu la « charge virale communautaire », un concept apparemment plus difficile à manier qu’il n’y paraît.
Immunité contre le virus, quoi de neuf ?
Après une excellente présentation en séance plénière de Michel Nussenzweig (USA) sur les anticorps neutralisant à travers leurs implications dans les premiers instants de la réaction immunitaire à un envahisseur comme le VIH, Falk Nimmerjahn (Allemagne) a poursuivi les investigations sur les anticorps en expliquant l’importance de la variabilité des structures moléculaires, non plus des régions variables de ces macromolécules de l’immunité, mais de la branche constante. Ce qui peut paraître très abstrait pour beaucoup non initiéEs à ces techniques[[Voir notre guide Des Bases Pour Comprendre, partie 2.4.1.2, page 45 : www.actupparis.org/IMG/pdf/Bases-guidesAUP.pdf]] est en fait un des sujets capitaux pour la recherche vaccinale qui cherche précisément à stimuler l’immunité afin qu’elle produise notamment les anticorps les plus efficaces contre le VIH. Ces nouvelles connaissances très affinées sont donc de toute première importance, même si elles se situent très en amont de l’obtention d’un vaccin. Elles sont la concrétisation de la nouvelle donne de la recherche vaccinale prônée il y a quelques années – le retour au fondamental – après divers échecs et montrent la progression de cette voie.
Prière de tenir son virus en laisse
Parmi les découvertes récentes sur la pathogenèse du VIH figure la protéine Tetherin. C’est un mécanisme de défense antiviral de nos cellules qui consiste en une sorte d’ancre d’amarrage empêchant le relargage des virus produits par une cellule. Or, le VIH, comme d’autres lentivirus, possède des défenses contre ce mécanisme. David Evans a étudié l’adaptation des mécanismes de défenses des lentivirus contre Tetherin. Il a ainsi montré que, d’une espèce à l’autre, le virus a fait évoluer ce mécanisme[[Voir notre guide Des Bases Pour Comprendre, partie 3.1.4, page 83.]]. Ainsi, chez les singes, c’est la protéine NEF du SIV qui s’oppose à Tetherin chez certaines espèces. Chez le SIVsmm, le virus des singes Mangabey enfumeurs, ce mécanisme a été dévolu à la protéine d’enveloppe GP41, comme pour le VIH-2 chez l’humain dont le SIVsmm est précurseur. En revanche, le mécanisme développé par le VIH-1 est différent. Sans doute produit lors de l’adaptation du virus des chimpanzés SIVcpz à l’humain, c’est la protéine VPU qui joue le rôle d’anti-tetherin. Cette plasticité extraordinaire montre que l’antagonisme au mécanisme Tetherin constitue une étape cruciale de la réplication virale. Une future piste thérapeutique ?
Le spectre de la guérison entre ombre et lumière
On se doutait déjà que le VIH-1 était capable d’infecter les cellules souches de la moelle osseuse[[Voir notre guide Des Bases Pour Comprendre, partie 2.2, page 33.]], mais on n’avait pas vraiment compris comment. C. Carter, lors d’un symposium, a proposé son éclairage sur cette question. Le mécanisme d’entrée fait intervenir le récepteur CXCR4 et permet ainsi au VIH-1 de s’établir dans ces cellules tant lorsqu’elles sont actives que de manière latente. Il pourrait donc s’agir là d’un réservoir supplémentaire de l’infection par le VIH, expliquant la persistance de l’infection même en cas de suivi d’un traitement avec succès et sa réémergence en cas d’arrêt de traitement. La chercheuse a aussi montré que cette infection était délétère pour les cellules souches.
Plus généralement, Jonathan Karn a ensuite couvert l’ensemble des connaissances sur les mécanismes qui contrôlent la latence de l’infection dans les cellules où le VIH s’est installé. Le plus grand réservoir de cellules entretenant la persistance de l’infection est aujourd’hui bien connu, il est constitué par les lymphocytes T mémoires inactivés[[Voir notre guide Des Bases Pour Comprendre, partie 2.4.3, page 54 & 94.]]. Ce sont des mécanismes très complexes sur lesquels il reste encore bon nombre de recherches à mener, mais qui expliquent l’impossibilité de guérir les personnes porteuses du virus. A la lumière de ces explications, il a ensuite essayé d’analyser les approches possibles pour éliminer les réservoirs viraux, discutant les avantages et les inconvénients de la méthode consistant à provoquer l’activation des cellules afin de pouvoir les éliminer, dite « shock and kill ». Si l’activation, qui ne va pas sans risques, est à la portée des connaissances médicales, l’élimination est moins aisée actuellement. Par ailleurs, si la cible principale, les lymphocytes T mémoire, est bien connue, d’autres réservoirs sont probablement encore à découvrir comme l’a montré l’intervention précédente.
Mais l’annonce qui a le plus retenu l’attention de certains médias en quête de sensationnel est celle de cet essai de phase I mené par Pablo Tebas (Université de Pennsylvanie, Philadelphie) qui cherche à reproduire le résultat de la célèbre affaire du patient de Berlin[[Voir Protocoles 64 de janvier 2011, dossier Le malade berlinois ]], cet homme infecté par le VIH et atteint d’une leucémie sur lequel ses médecins ont procédé à une greffe de moelle osseuse protectrice de l’infection. En effet, le donneur était porteur d’un gène codant pour un récepteur CCR5 inefficace, ne permettant pas l’entrée dans les cellules de virus utilisant ce récepteur. Après plusieurs années, les résultats de ce patient ne montrent plus de trace de virus et il est considéré comme guéri.
Dans cette session, Paula Cannon a commencé par présenter les techniques mises au point dans son laboratoire de l’Université de Californie de Los Angeles sur des modèles animaux et sur des cellules humaines, destinées à éliminer le gène du CCR5 du génome des cellules souches[[Voir Protocoles 60 de mars 2010,
les retours de la CROI 2010 ]]. La technique utilisée ici consiste à employer des protéines spécialisées, dites à « doigts de zinc », capables de couper l’ADN à un endroit pour lequel elles sont programmées, des sortes de ciseaux fonctionnant sur un modèle semblable à ceux qui existent dans la machinerie cellulaire[[Voir notre guide Des Bases Pour Comprendre, encadré « Introns et exons », page 18.]]. Evidemment, la principale difficulté consiste à transporter ces molécules au bon endroit.
Pablo Tebas a alors expliqué la méthode qu’il a suivi pour ce faire. Des cellules ont été prélevées chez une personne participant à l’étude. Elles ont ensuite été manipulées pour en dégrader le gène du récepteur CCR5 à l’aide de « doigts de zinc » introduits dans les cellules par un vecteur viral. Elles ont ensuite été réimplantées à la personne donneuse. Compte tenu de ce que ces techniques sont encore très expérimentales et, malgré tout, pas vraiment exemptes de danger, cet essai a été mené avec des personnes atteintes de lymphomes nécessitant un traitement et donc susceptibles d’obtenir un bénéfice grâce à cette technique. Bien entendu, s’agissant d’un essai de phase I, la quantité de cellules manipulées était limitée et l’essai avait surtout pour objectif de démontrer la tolérance de la technique. Les effets thérapeutiques attendus ont été limités mais bien réels, encourageant les chercheurSEs à poursuivre leurs travaux.
Dans les discussions qui ont suivi cette présentation, un médecin présent a interrogé le chercheur sur une hypothèse encore bien plus audacieuse : il voulait connaître son avis sur l’intérêt de cette technique, non pas en traitement curatif pour des séropositifVEs, mais en prophylaxie, suggérant qu’on pourrait ainsi traiter des séronégatifVEs afin qu’ils/elles soient résistantEs à l’infection. Pendant qu’un frisson parcourait la salle, le chercheur a proposé une réponse simple et très américaine : « cela requiert d’avoir une bonne assurance santé ! ».
Discussions autour d’un outil d’observation : la charge virale communautaire
Une des discussions thématiques du dernier jour de la 18e CROI était consacrée à un nouvel outil d’évaluation épidémiologique : la Charge Virale Communautaire (CVC). Kate Buchacz du CDC[[Centers for Disease Control and Prevention. Organisme fédéral américain de surveillance épidémiologique.]], instigatrice de cette table ronde, a commencé par rappeler de quoi il s’agissait.
Il est maintenant bien établi que la charge virale d’unE individuE est fortement prédictive du risque de transmission du virus par voie périnatale, ainsi qu’au sein des couples sérodifférents, a-t-elle rappelé. L’objectif du concept de « test and treat » qui en découle ajoute à la thérapie individuelle une intention collective de réduire le nombre de nouvelles contaminations par l’augmentation du nombre de séropositifVEs contrôléEs par le traitement. La « charge virale communautaire » consiste à agréger les mesures individuelles de façon à obtenir une charge virale à un niveau populationnel. La population ainsi étudiée doit satisfaire à certaines caractéristiques :
– habiter dans une région déterminée,
– partager des caractéristiques sociodémographiques communes
(gay, migrants, femmes seules…),
– avoir un accès aux soins régulier et connu.
Ainsi, cette valeur reflète tous les marqueurs de la chaîne de prise en charge :
– dépistage du VIH,
– entrée dans le suivi médical,
– initiation du traitement,
– observance et succès du traitement.
La CVC représente alors un indicateur en population du risque de transmission, une sorte d’indicateur de tendance de l’incidence. Elle est exprimée :
– en CVC moyenne, indiquant le risque moyen de transmission pour une personne
– en CVC totale, en combinant prévalence et charge virale moyenne
– en taux de personnes dont la charge virale est contrôlée, ce qui exprime la couverture des traitements
Les autorités américaines ont mis en place cet outil et s’en servent pour obtenir une cartographie de détail aidant à surveiller l’évolution de l’épidémie à un niveau local. C’est ainsi qu’ont été présentés diverses méthodes et résultats de San Francisco, Washington et New York.
La discussion qui s’en est suivie a montré les limites de ce système. De nombreuses critiques se sont faites entendre, principalement sur l’approximation de ces marqueurs qui, obtenus à partir des données hospitalières, donnent une image qui peut être faussée parce qu’elle ne tient pas compte des séropositifVEs qui s’ignorent, ni de ceux et celles qui ne sont pas suiviEs. D’autres intervenantEs ont critiqué la dénomination de « communautaire » utilisée abusivement, ainsi que l’interprétation et l’extrapolation qui est faite de ces calculs. Les représentants des autorités sanitaires ont entendu ces critiques et argumenté sur l’intérêt malgré tout d’un outil qui répond à un besoin d’évaluation rapide et détaillé qu’il faut s’approprier comme on le fait avec tout outil nouveau en apprenant à en connaître les limites.