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Les 4 et 5 mars derniers se sont tenues les sixièmes rencontres organisées par le collectif interassociatif Femmes & VIH. Bilan de deux journées riches en témoignages et fortes de revendications pointues.

Le vendredi, l’assemblée était composée de 265 personnes : femmes concernées par le VIH, membres d’associations de lutte contre le sida et de lutte pour les droits des femmes, médecins et chercheurEs, représentantEs d’institutions. La première journée était axée autour de deux tables rondes : « Construction sociale et vécu de la sexualité » et « On ne soigne pas les femmes comme les hommes ». La seconde journée comportait cinq ateliers dont nous présentons ici les conclusions.

Atelier 1 – Quelle prise en compte du corps féminin par le corps médical ? Le point de vue des femmes.

Au-delà de ma maladie, mon médecin me perçoit-il comme une femme qui a un corps avec ses spécificités, ses exigences, ses désirs et ses non-dits ?

(atelier réservé aux femmes séropositives)

Ce qui en ressort, c’est d’abord l’absence d’écoute des médecins qui ne se réfèrent
qu’à la charge virale et aux CD4 pour juger de l’état de santé et de l’efficacité des traitements, et pas à la parole des femmes. Si ces critères chiffrables sont estimés satisfaisants par le/la médecin, les demandes des femmes sont considérées comme des problèmes psychologiques, que le renvoi quasi systématique vers unE psychologue devrait régler. L’absence d’écoute se double d’une absence quasi-totale d’examen physique, le corps étant complètement oublié. Pourtant c’est cet examen physique qui permettrait d’objectiver ce que rapportent ou taisent les femmes. Trop de femmes par exemple ne parlent pas des lipodystrophies dont pourtant elles souffrent.

A l’extrême, l’absence de prise en compte de ces problèmes physiques, liés ou pas aux traitements, le manque d’explication – pas nécessairement des retentissements physiques sur le corps, mais des effets indésirables des traitements – peut aller jusqu’à l’arrêt des traitements. Face à leurs interrogations, le seul discours qu’elles entendent souvent est « le médicament doit être pris à heures régulières, un point c’est tout ».
Enfin, il existe un fossé entre les médecins de ville et les spécialistes. Si les médecins « de famille » sont souvent plus enclinEs à l’écoute, plus au courant de la vie des femmes qui viennent les consulter, lorsque ces professionnelLEs se rapprochent des médecins hospitaliers, ils/elles sont souvent peu entenduEs.

A partir de ces constats, les femmes séropositives de cet atelier ont formulé les revendications suivantes :

– Nous sommes des femmes, pas des maladies ! Les femmes ont une vie,
un corps, elles évoluent dans un contexte social, familial et professionnel :
les soignantEs doivent considérer cette globalité.

– L’adaptation et la personnalisation des traitements doivent se faire tant d’un
point de vue qualitatif que quantitatif. Quand une femme dit qu’un traitement ne
lui convient pas, il faut l’entendre, elle connaît son corps. On ne soigne pas une
femme comme un homme : la question du poids doit entrer en compte pour
permettre de réaliser des dosages plasmatiques des traitements afin de les
adapter au mieux au corps des femmes.

– Des réseaux doivent se développer : réseaux de professionnelLEs (médecins
de ville, hospitaliers, travailleurSEs sociaux, associations) et réseaux de
femmes. Le hiatus qui existe généralement entre médecins de ville et médecins
hospitaliers peut souvent être comblé par le bon fonctionnement de tels
réseaux. Le soutien psychologique est important, mais les groupes de paroles
le sont tout autant : la possibilité d’échanger, avec ou sans médecin, mais entre
femmes, apporte beaucoup.

– Il est nécessaire de rappeler que les femmes n’appartiennent pas à leur
médecin et qu’elles sont en droit de le/la quitter, si le suivi n’est pas satisfaisant.

Atelier 2 – Quelle prise en compte du corps féminin par le corps médical ? Le point de vue des soignantEs.

Au-delà de la maladie, quelle perception le corps médical a du corps des femmes dans ses spécificités, ses exigences, ses désirs et ses non-dits ?

(atelier ouvert à touTEs)

Beaucoup de similitudes avec le 1er atelier ont émergé. D’abord le constat d’un décalage important entre l’intérêt que le/la médecin porte aux résultats d’analyses médicales
et son manque d’intérêt pour tout le reste : comment « éduquer » son/sa médecin ?
Pour la plupart, le/la médecin reste toutE puissantE, il n’est pas toujours facile de lui parler, de discuter d’autre chose que ce qu’il/elle assène. Penser la déconstruction
de la représentation du/de la médecin n’est pas facile et souvent les médecins ignorent à quel point ils/elles peuvent se révéler importants dans la vie de leurs patientes. Il s’agit donc de le leur rappeler. Quand le dialogue est difficile avec unE médecin, il est bon d’avoir de l’aide, de se tourner vers les associations qui peuvent alors faire le lien.

A partir de ce constat :

– l’objectif premier est de travailler avec les médecins qui écoutent et, à partir
de leur expérience, de faire des propositions aux autres médecins.

– sur les deux heures consacrées au VIH dans le cursus de médecine,
il serait utile que les médecins aient une formation à l’écoute, centrée sur la
personne et pas uniquement sur la pathologie.

- il faut que les professionnelLEs s’organisent davantage entre eux/elles et
tissent des réseaux afin d’améliorer la qualité de vie des malades
et le travail des soignantEs. Il existe chez les médecins, une difficulté réelle à
dire « je ne sais pas », « je ne comprends pas ». Pourtant il est souhaitable
qu’unE professionnelLE confrontéE à ses limites renvoie ses patientEs à
d’autres professionnelLEs (nutritionniste, hépatologue, psychologue, etc.).

- améliorer la prise en charge des personnes séropositives, c’est aussi
s’adresser à des associatifVEs qui n’ont pas les mêmes solutions que celles
des médecins (médecine douce, activité sportive, socio-esthétique).

- concevoir des fiches pratiques pour simplifier la prise en charge des
personnes vivant avec le VIH, pourrait permettre au/à la médecin d’avoir un
accès plus rapide à des informations sur lesquelles s’appuyer.

Atelier 3 – Quelles approches de la sexualité en tant que femme séropositive ?

De l’abstinence au multi partenariat…

(atelier réservé aux femmes séropositives)

La première étape serait de renforcer, de développer les initiatives locales (groupes de parole, ateliers de sexologie, etc.) qui permettent de se rencontrer, de discuter de sexualité. Ces groupes pallieraient la difficulté de parler de sa sexualité avec son/sa médecin,
et la difficulté du/de la médecin de l’entendre, surtout quand celui-ci est un homme.

Il faudrait créer des espaces de parole autour de questions comme « comment relancer le désir, la sexualité ? », pouvoir parler de l’impact du VIH, de la ménopause, de la libido, des dérèglements hormonaux : autant de sujets souvent mis de côté par le/la médecin.

Ces espaces pourraient également répondre au besoin d’information sur le VIH (transmission, risques, …) pour que les femmes puissent elles-mêmes plus facilement en parler avec les autres et expliquer autour d’elles ce qu’est le VIH.
Développer le partage d’information et d’expériences autour du plaisir sexuel féminin, avec d’autres outils (sextoys, gels, etc.) et d’autres pratiques, pourrait contribuer à faire tomber bien des tabous.

Par ailleurs, un accompagnement psychologique est parfois nécessaire pour réussir
à vivre sa séropositivité. L’annonce de la séropositivité est souvent évoquée comme
un deuil à faire et après lequel il faut se reconstruire.

La culpabilité et la peur de contaminer sont des sentiments partagés par beaucoup
de femmes, auxquels s’ajoutent, pour certaines, la culpabilité du manque de désir,
la difficulté à le dire, la difficulté à imposer le préservatif, à négocier sa sexualité.
D’où le besoin parfois émis d’organiser des rencontres conviviales entre des hommes
et des femmes concernéEs par le VIH. Car la rencontre avec un homme séronégatif
est souvent vécue comme quelque chose de compliqué, de difficile.

La négociation du préservatif (féminin ou masculin) rend difficile pour les femmes le fait de se protéger. Il ne faut pas baisser les bras pour parler de prévention. La communication sur l’existence des traitements d’urgence pour les partenaires séronégatifs en cas de rupture de capote est primordiale. Si le préservatif masculin nécessite d’être rediscuté constamment, le féminin, une fois discuté, est accepté tout le temps : il est grand temps de le valoriser pour permettre aux femmes de s’en emparer.

Avec le durcissement des lois sécuritaires, se pose la question de la pénalisation de la transmission du VIH. Quelles conséquences cela peut-il avoir sur la sexualité des femmes et des hommes ? La peur de contaminer est une responsabilité que l’on peut porter à titre individuel, mais qui aujourd’hui commence à devenir une responsabilité pénale et qui pourrait influencer la façon de se réapproprier son corps.

Parler de sexualité c’est important, mais l’estime de soi est souvent une étape préalable, qui se résume ainsi : être bien avec soi-même pour être bien avec quelqu’un.
Il est important de valoriser son corps pour se sentir mieux, de se le réapproprier
et de s’autoriser à être dans la séduction.

Atelier 4 – Vivre avec son corps au quotidien.

Qualité de vie, bien être et d’équilibre

(atelier réservé aux femmes séropositives)

Le regard que portent les femmes séropositives sur leur corps qui se transforme est
beaucoup revenu : corps qu’on ne reconnaît plus, dont on ne s’occupe plus. Cette transformation a une influence sur la vie sociale, provoque une « auto-désocialisation ». Renfermées sur elles-mêmes, elles s’éloignent du regard des autres et de leur regard. L’image d’un corps malmené, qui ne correspond plus aux normes sociales, a des conséquences sur la vie affective : il devient difficile de se dénuder, seule ou devant unE partenaire. Les conséquences liées aux traitements, comme la fatigue, les douleurs, influencent aussi la vie professionnelle et pourtant elles ne sont pas prises en compte. Pour surmonter les baisses de moral qui s’ensuivent, c’est aux femmes de trouver des réponses, que le corps médical ne fournit pas. Il est important que les femmes se réapproprient ce corps, qu’elles reprennent confiance en elles, qu’elles aillent voir des associations afin de rencontrer d’autres femmes et échanger sur leur vécu. C’est par ces rencontres que le savoir peut circuler.

La méconnaissance des médecins est sans doute liée au manque de données issues de la recherche, au manque d’informations sur les effets indésirables des traitements chez les femmes. Les corps de ces femmes ne sont plus touchés, auscultés, même plus regardés par les médecins. L’absence de reconnaissance des effets indésirables, comme les lipodystrophies, pourrait s’expliquer par le fait que si les soignantEs
les prenaient en compte, cela impliquerait de les prendre en charge.

Les femmes étrangères présentes à cet atelier ont fait remonter une angoisse supplémentaire, liée à la précarité de leur situation : aucun accès aux droits, menace du retour forcé au pays, clandestinité, etc. Ces pressions rajoutent des conséquences très lourdes sur le moral, sur l’estime de soi et sur son propre corps. Cette problématique doit vraiment être portée aux politiques.

Atelier 5 – Comment les femmes séropositives sont-elles perçues ?

La vision des autres. L’avis et la paroles de l’entourage, familial, professionnel, etc.

(atelier ouvert à touTEs)

L’invisibilité des femmes perdure. On recense toujours le même manque d’informations, de prévention, de formation des professionnelLEs et des politiques. La qualité de vie, comme la prise en charge médicale et matérielle, est loin d’être satisfaisante pour la plupart des femmes.

Des revendications ont été émises, en espérant des actions plus pointues :

- renforcer l’information et la prévention en direction des jeunes. Il suffirait
pour cela d’appliquer les circulaires de 2003[[Circulaires n°2003-027 et n°2003-210 relatives à la santé des élèves et à l’éducation
à la sexualité dans les écoles,
collèges et lycées. Ces deux circulaires précisent les objectifs de l’éducation à la sexualité dans
le cadre scolaire, leur mise en œuvre, ainsi que les formations
à destinations des élèves et des personnelLEs.]] et ce, dès le plus jeune âge,
dans les écoles primaires. Pour une formation à l’éducation sexuelle, affective, qui engloberait aussi les questions de genre. Elle ne doit pas seulement être une information sur les IST et doit être dispensée dans toutes les structures scolaires.

– les professionnelLEs, les politiques et éluEs locaux devraient aussi être mieux informéEs, notamment sur les questions sociales, de santé ou d’emploi. Plus
généralement, l’information du public doit être renforcée par des campagnes
médiatiques sur le VIH et la perception des personnes séropositives et contre
les discriminations des personnes séropositives.

- en termes de qualité de vie, il faut permettre un accès des personnes
séropositives à un logement, à un emploi, à une meilleure alimentation, ainsi
que l’accès à des traitements permettant un mieux être. L’accès à la CMU et la
CMU-C doit être systématique pour les personnes bénéficiaires de l’AAH.
L’Aide Médicale d’Etat doit rester gratuite pour les étrangerEs malades, qui
doivent pouvoir à terme accéder aussi à la CMU.

Synthèse

Le contexte politique actuel dégrade l’accès aux soins (au plan national et international).
Le collectif Femmes & VIH joint donc sa voix aux mobilisations pour défendre l’accès aux soins de touTEs les malades et lutter contre les exclusions : si l’État continue
à multiplier les déremboursements, à encourager les dépassements d’honoraires,
on ne pourra pas réaliser le transfert des soins en ville !

Si l’on veut que se réalise un meilleur accueil, une meilleure écoute de la part des médecins, une meilleure prise en charge, il faut s’assurer que les moyens techniques et financiers suivent : les propositions des femmes pour améliorer la prise en charge et la qualité des soins doivent s’accompagner d’une exigence du maintien des moyens.

Si l’on veut progresser, il faut sensibiliser les soignantEs : mettre en place des moyens pour toucher les médecins qui sont en difficulté, n’ont pas les informations ou ne sont pas sollicitéEs. Cette sensibilisation est un des rôles de l’interassociatif. Il faut également développer les réseaux entre la ville et l’hôpital.

Pour que le travail aboutisse et que la dynamique engagée par les femmes se poursuive, il faut se rencontrer et échanger à travers des groupes de paroles ou des associations : tisser des réseaux pour éduquer son/sa médecin, exiger d’être écoutée et être entendue, imposer son point de vue.

Dans le contexte de dégradation de la qualité des soins dans les hôpitaux, depuis la loi HPST[[Loi « Hôpital, patients, santé et territoires » : http://fr.wikipedia.org/wiki/Hôpital,_patients,_santé_et_territoire.]] qui a entraîné une réduction des moyens et une moins bonne qualité de travail pour les soignantEs, c’est plus que jamais aux femmes elles-mêmes, par le biais de l’interassociatif, de trouver des moyens pour que leur parole de femmes séropositives soit relayée auprès des personnels de santé.

Il faut continuer à se battre pour que les revendications autour du préservatif féminin et de son accès soient entendues. Continuer à réclamer l’inclusion des femmes dans les essais afin d’améliorer les connaissances et les compétences pour une prise en charge plus adaptée. Continuer à revendiquer le plaisir comme un droit à prendre en compte dans la qualité de vie et la qualité des soins – le plaisir féminin étant encore trop souvent négligé, notamment par le corps médical.

Le combat n’est pas terminé et il faut que les femmes en soient actrices !