Sida, envie d’en être ? À cette question, nous répondons non. Et puis, d’autres questions se posent… D’où cet espace pour parler de soi. Histoire de séropos, de lutte contre le VIH. Rencontre avec Hervé, un de nos militantEs.
Un bref aperçu de ta vie en quelques dates ?1976 : première canicule ; 1995 : HIV+ ; 1999 : premier traitement ; 2007 : premier protocole. Comment as-tu vécu l’annonce de ta séropositivité ?
Mal ! J’étais persuadé que je me protégeais, sauf qu’apparemment ce n’était pas le cas ! En fait, très coupable, parce que j’en savais suffisamment pour ne pas être contaminé, mais il y a un moment où je n’ai pas fait attention et… ça n’arrive pas qu’aux autres. On pense que ça n’arrive qu’aux autres, c’est un peu la connerie de l’histoire…
Je ne peux même pas dire si j’ai eu une réaction de primo-infection forte, je me souviens simplement que j’étais très mal et que je passais mes journées au lit à déprimer, en me disant que la vie était finie, que c’était trop con, que j’étais trop con, et que j’aurais dû faire plus attention. Au quotidien, c’est quoi pour toi être séropo ?
C’est plus facile qu’il y a 10 ans, vraiment. Mais ça reste très présent et très pesant. Ca fait partie de la vie, intégralement, tout le temps. A chaque fois que quelque chose ne va pas, on se demande si ce n’est pas ça, si ça ne vient pas de ça… Le rapport à cette maladie est compliqué. C’est une espèce de truc qui est là et qui quelques fois fait qu’on est inquiet, quelques fois fait qu’on est fatigué ; mais on ne sait plus si on est fatigué parce qu’on est séropo ou parce qu’on prend un traitement ou parce que justement on se dit « han, je suis fatigué parce que je suis séropo ». Là-dessus, il faut lire le livre de Pierre Zaoui, La traversée des catastrophes, sur le rapport à la maladie et le rapport à la mort, séropos, séronegs. Mais c’est de toutes façons très différent que de ne pas être séropo (même si ça fait bien longtemps qu’il ne m’est pas arrivé de ne pas l’être !) Te sens-tu discriminé ?
En raison de ma séropositivité, rarement. D’abord parce que je travaille à Act Up, donc en ce qui concerne le monde du travail, ça va. Et avec mes amiEs, je ne me sens pas discriminé du tout. Je ne fais rien pour cacher ma séropositivité, ça ne me dérange pas de le dire. Mais je sais que ça peut être discriminant : si je cherchais du boulot, par exemple, je ne le dirais sans doute pas. Après, se voir refuser un crédit par sa banque parce qu‘on est séropo (sans qu’on nous demande si on est en bonne santé, sur le simple fait d’être séropo) - ou sinon devoir prendre une assurance qui rend le crédit exorbitant – ça c’est discriminant. Sans parler de voyager : il y a des tas de pays où je sais que je ne peux pas me rendre si je dis que je suis séropo. Quel traitement prends-tu ? Comment le vis-tu ?
Je suis en monothérapie. Je prends du Prezista 2 fois 400mg et du Norvir en booster. A une prise par jour, c’est un traitement que je qualifierais de très confortable. Seules contraintes : il faut le prendre en mangeant et à heure fixe (j’ai choisi le petit déjeuner, comme ça, je mange du beurre et de la confiture avec !). Je vis plutôt bien la monothérapie. Norvir, c’est pas très facile… Prezista me fait peut-être plus de mal en effets secondaires sans que je m’en rende compte. Norvir, lui, a un effet gênant très rapide généralement… Il a donc fallu que j’arrête certains aliments ou boissons. J’ai de la chance. Il faut dire aussi que je ne rate aucune prise, je suis très fort en observance, donc ça se passe plutôt bien. As-tu déjà participé à des essais cliniques ?
J’ai participé à un essai en monothérapie : Monoï (un peu parce que le nom me plaisait beaucoup !), de 2007 à 2010. J’ai continué le traitement en monothérapie : l’essai s’est bien passé. Au départ, c’était sur proposition de ma médecin VIH à l’hôpital : elle s’est aperçu qu’il y avait un déplacement des graisses (je ne sais pas comment elle s’en est aperçu, parce que moi je n’ai pas l’impression qu’elles se déplacent !). Suivre un essai, c’est aussi se sentir un peu privilégié. On voit tous les mois l’équipe médicale. C’est super rassurant, et j’ai besoin d’être rassuré. Comment se déroulent tes relations avec le monde médical ?
Avec ma médecin en ville, ça se passe très bien. Je la connais depuis très longtemps et j’ai super confiance. Avec ma médecin à l’hôpital (Tenon), je me sens plutôt bien aussi, parce qu’elle est très directe et très présente. Même maintenant que je ne suis plus dans le protocole, il y a vraiment un suivi. Et elle est drôle ! Elle n’est pas dans la compassion, il y a un rapport sympathique de confiance et de suivi médical, que je n’ai pas toujours connu avant. Des soucis d’approvisionnement en antirétropviraux récemment ?
Pour Prezista, oui. J’ai eu le problème en pharmacie de ville (durant le protocole, je l’avais directement à l’hôpital), où il peut y avoir une attente de 2 ou 3 jours parce que le grossiste ne l’a pas en stock. La dernière fois, ça a été assez rapide ; la fois d’avant, c’était fâcheux. Du coup, je dois m’y prendre à l’avance pour aller le chercher. Annonces-tu la couleur / ta séropositivité à tes amants ?
Oui ! c’est un plus quand même ! Je l’ai même indiqué sur le profil de chat que j’utilise le plus, parce que je ne savais trop comment l’annoncer ni à quel moment. Et comme il arrive toujours un moment quand ça se passe bien avec quelqu’un dans la discussion, ou au moment de la rencontre, où il faut l’annoncer… _Il y a eu quelques fois un recul de la part de l’autre, ça ne fait pas plaisir. J’estime que je ne suis pas là pour me justifier : ça enlève déjà ceux qui ne veulent pas coucher avec un séropo ou qui ont peur.
Il y a aussi ceux qui ne lisent pas. Il y a des réactions assez étonnantes, des super intéressés, curieux : « c’est pas trop dur de prendre un traitement ? »… ça se transforme alors un peu en cours ! Ce n’est pas pour ça que suis sur un réseau, donc très vite, j’écourte la discussion en disant qu’on peut se rencontrer et en parler, mais qu’il y a des associations pour ça !
Et puis beaucoup réagissent en disant que c’est très courageux. Alors ça, ça me fait beaucoup rire parce que je pense que je ne le fais vraiment pas par courage, mais plutôt parce que je suis une grosse feignasse qui n’a pas envie qu’on l’embête ! C’est plus confortable pour moi de l’écrire plutôt que d’avoir à l’annoncer.
Il y a aussi ceux qui sont séropos et qui ne le disent pas a priori, mais qui me le disent au bout d’un moment. Et ça, c’est drôle parce que (je pense que c’est aussi le fait d’être à Act Up) du coup je suis assez étonné de constater que, soit les gens ne le disent pas, soit ils ont du mal à le dire !
Au début que j’étais séropo, je n’étais pas aussi à l’aise. Si quelque chose d’agréable s’installait, il y avait toujours un moment où je voulais le dire, et ne savais pas quand.
Ce nest pas toujours évident, parce que l’on n’a pas envie, parce que c’est toujours très désagréable d’avoir une réaction de rejet par rapport à ça.
En le disant avant, j’évite une part des rejets. Comment te protèges-tu / protèges-tu tes partenaires ?
Je me protège. Je crois qu’au début je me protégeais parce que je ne voulais pas contaminer l’autre. C’est peut-être quand on baise entre séropos, que quelquefois il peut y avoir de l’incompréhension de l’autre de se protéger. Mais même si je baise avec un séropo, on se protège. Il y a tellement d’autres trucs sexuellement transmissibles… Je n’ai pas envie de choper autre chose, et puis, il y a le risque de surinfection. J’ai pas la même vision de ça qu’il y a quelques années. C’est devenu un peu systématique. Est-ce que c’est parce que je suis séropo ? je suis pas persuadé. Il y a beaucoup de gens qui disent qu’ils se protègent. Et dans ces beaucoup, le peu que je rencontre, se protègent plutôt ! C’est parfois problématique au niveau de la pipe. Mais ça, ça restera entre la pipe et moi ! Dans 10 ans, tu te vois comment ?
Je me vois obligé de travailler, hélas ! Je ne vois pas les années… J’ai été contaminé relativement tard dans ma vie. Et dans 10 ans, si je suis toujours vivant, je serai un vieux pédé séropo… mais je pense qu’il y aura d’autres vieux pédés séropos autour de moi ! Je n’ai pas envie de me voir dans 10 ans. Que dirais-tu à quelqu’un qui pense que le sida, « c’est plus si grave que ça » ?
Ouais, en effet, c’est pas grave… surtout quand tu l’as pas ! Si là, juste là maintenant, je pouvais redevenir séroneg, je dirais oui, bingo ! C’est pas la peine de devenir séropo. C’est vraiment pas une expérience à tenter : c’est chiant, ça vaut pas le coup. Protégez-vous, faites tout pour ne pas devenir séropo.