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La 89ème Réunion publique d’information (RéPI) d’Act Up-Paris s’est tenue en Novembre et s’intéressait à une problématique souvent occultée aujourd’hui lorsqu’on aborde les questions de VIH/sida : celle de la mort. C’est ce qui a motivé l’étude « Mortalité 2010 », sur les causes de décès en France des adultes vivant avec le VIH, après celles de 2000 et de 2005. Que faut-il en retenir ? Comorbidités, coinfections, décès sida ou non-sida, impact de la charge virale ou des antirétroviraux sur la fin de vie, la professeure Dominique Salmon, membre du Comité de Pilotage de l’enquête a présenté ses résultats, dont vous retrouverez l’essentiel des propos ici.

Extraits de l’intervention de Dominique Salmon :

« Depuis 1996, une évolution des causes de mortalité
Pouvoir lutter contre certaines causes de mortalité, c’est aussi regarder objectivement de quoi les personnes vivant avec le VIH décèdent aujourd’hui et de focaliser certaines actions préventives en fonction des causes de décès. En fait, il s’agit de décrire les caractéristiques des personnes décédées : était-ce des personnes qui ne prenaient pas leur traitement ? Était-ce des personnes qui étaient très mal ou qui au contraire allaient bien ? Et de comparer les résultats de 2010, aux résultats des deux enquêtes antérieures de 2005 et 2000. Ce que l’on sait, c’est que depuis l’avènement des trithérapies, en 1996, on a assisté à une diminution très importante du nombre de décès, de l’ordre de 80%. Mais cela veut dire qu’on meurt toujours. Ce qui est assez notable, c’est qu’avant 1996, 85% des personnes décédaient du sida, mais très peu d’infarctus, d’accident vasculaire cérébral (AVC), ou d’hépatite. Depuis 1996, d’autres causes de décès sont arrivées, liées aux comorbidités, en particulier les hépatites, le diabète, l’hypertension, et à la chronicité de l’infection. Le risque de développer certains cancers augmente. Par ailleurs, la population des personnes séropositives vieillit et se trouve donc exposée plus tôt aux maladies liées aux vieillissement.

Ainsi, si on reprend la synthèse des résultats des enquêtes de 2000, 2005 et 2010.
En 2000, 47% des personnes décédaient du sida. en 2010 c’est 25%, soit un quart des personnes qui décèdent du sida. On observe que les cancers, non classant sida, augmentent : 11% puis 17%, puis 22%. Les atteintes hépatiques se sont stabilisées en 2010, alors qu’elles avaient augmenté en 2005, probablement du fait des traitements. Les atteintes cardiovasculaires et les autres causes augmentent aussi. Cela montre qu’en termes de prévention, comme de recherche, il faut s’orienter sur les cancers, le foie et les atteintes vasculaires.

Les caractéristiques des personnes décédées

En 2010, on a observé 728 décès dans les 90 centres participants, soit une file active de 82 000 personnes. On pense qu’en France il y a environ 120 000 personnes vivant avec le VIH, c’est donc une enquête assez représentative. Il s’agissait essentiellement d’hommes, dans 75% des cas. Il n’a pas été observé de différence particulière avec les femmes. La médiane d’âge est de 50 ans, ce qui reste très jeune, c’était 41 ans en 2000, 46 ans en 2005.
27% des personnes étaient nées à l’étranger parmi elles bon nombre étaient précaires.

La population homosexuelle n’est pas majoritaire. il y a parmi les décès il y a une surreprésentation des sujets qui ont un groupe de transmission par contamination hétérosexuelle ou par toxicomanie, très peu par transfusion, il faut dire que parmi les transfusés, malheureusement beaucoup sont déjà décédés.

Sur les causes des décès

Le sida demeure toujours la première cause de décès : près de 25% en 2010. Viennent ensuite les cancers non-sida (23%), les causes hépatiques (11%), puis on découvre qu’une personne sur dix est décédée d’une cause cardiovasculaire, chiffre qui augmente de manière importante. On a ensuite des décès dus à des infections, et d’autres causes non-sida comme les suicides (5%) chiffre comparable à la population générale, là où on aurait pu croire qu’avoir le VIH eût une incidence. On observe aussi des morts subites inexpliquées, près de 4%. C’est vraiment un grand point d’interrogation. Malheureusement, comme ces personnes sont mortes subitement, souvent à la maison, on n’a pas la cause, mais cela représente tout de même 26 cas.

Les causes sida

La distinction que l’on peut faire entre un cancer dû au sida et un cancer qui n’est pas dû au sida est assez artificielle, mais elle existe cependant, et les professionnels de santé sont tenus de la respecter. Cette distinction trouve sa source dans les années 1984-1990. À l’époque, on avait par exemple beaucoup de décès dus au sarcome de kaposi comme de décès liés aux lymphomes cérébraux, donc on a considéré comme cause sida les lymphomes non hodgkiniens. Certains cliniciens ayant observé des cancers du col de l’utérus, ces cancers ont été ajoutés à la liste des cancers «classant sida». Cette distinction apparaît aujourd’hui très artificielle pour Dominique Salmon, puisqu’on a vu ensuite émerger d’autres causes de cancers, notamment des maladies de Hodgkin : elles n’ont pas été considérées comme maladies opportunistes du sida, mais auraient très bien pu l’être .

Parmi les décès sida, on assiste à une évolution. Précédemment, on mourrait de pneumocystose, de toxoplasmose, de sarcome de Kaposi. C’est moins le cas aujourd’hui. Ce qui reste, c’est les lymphomes. Juste après, il y a la pneumopathie à pneumocystis. Ce qui montre que les gens ne prennent pas de Bactrim®, alors que ce traitement pourrait permettre d’éviter des décès.

La LEMP (Leuco Encéphalopathie Multifocale Progressive) est un virus qui attaque le cerveau : les gens sont paralysés et ont des troubles de conscience. Il n’y a pas de traitement, seuls les antirétroviraux freine le processus mais malheureusement s’il y a une nécrose de certains neurones, de certaines zones cérébrales, on en garde des séquelles importantes. La prévention de la LEMP consiste à ne pas descendre en-desous de 27 CD4, puisqu’elle arrive en cas de déficit immunitaire. Elle touche des gens qui ont subi des immunodépressions très sévères. Pour le Kaposi, on dénombre seulement 14 décès, ils sont donc plus rare en 2010 mais existent toujours. On peut voir aussi 4 cas pour le cancer du col de l’utérus. Il convient dans tous les cas de retenir que le lymphome doit être une préoccupation majeure pour la recherche clinique.

Les causes nouvelles ou « causes non-sida »

Les cancers. 33% des personnes sont décédées de cancers, et ce chiffre est tout à fait remarquable. Le premier cancer est le broncho-pulmonaire, ensuite viennent les cancers digestifs, du colon, ORL, hémato, de l’anus. Sur ce dernier, ce sont les papillomavirus qui sont cause, cela montre qu’il est très important de faire les examens proctologiques de manière régulière. On constate que le cancer du sein est assez rare. Les autres cancers sont multifactoriels, c’est dû au fait que malgré le traitement antirétroviral la réplication persiste entraînant une inflammation chronique.

En conclusion, si on n’observe pas de surreprésentation des cancers pour les personnes séropositives par rapport à la population générale, il est à noter qu’ils surviennent en moyenne 20 ans plus tôt, d’où cet âge médian de 50 ans.

Les autres causes

Hépatique tout d’abord. Il s’agit surtout du VHC (hépatite C), avant le VHB (hépatite B). On s’aperçoit que si le problème du VHB n’est pas complètement réglé il provoque très peu de décès. L’hépatite C demeure au premier rang des causes de décès hépatiques. Lors de la RéPI «Co-infection VIH-VHC : Réalités et perspectives» , on a vu que le problème devrait pouvoir se régler dans les années à venir avec des traitements sans interféron. Pour autant, pour les trois années qui viennent, en cas de fibroses sévères, il est indispensable de se faire traiter par l’interféron.
Ensuite on note des causes cardio-vasculaires : les infarctus, les accidents vasculaires… ce sont aussi des causes évitables, liées à l’hypertension, à l’hyperlipémie, au diabète… toutes ces causes peuvent être traitées.
On observe aussi d’autres origines: insuffisances cardiaques, hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), anévrismes, mais qui sont plus rares. Puis les infections : pulmonaires comme les pneumopathies sévères, des sepsis, des infections neuroméningées.

Les facteurs de risques des personnes décédées

On constate notamment que :
– 71% des personnes fumaient, 25% buvaient de l’alcool de façon excessive.
– 33% avaient des antécédents psy (dépression, troubles psychiatriques…).
– 10% avaient du diabète (5% dans la population générale), 14% des dyslipidémie.
– 30 % avaient une hépatite C.

Ce sont généralement des personnes diagnostiquées en moyenne depuis 15 ans, cependant 9% des personnes avaient eu un diagnostic VIH récent c’est à dire dans les 6 mois précédent.

L’étude a cherché à montrer si ces personnes qui décédaient avaient des CD4 très bas ou si elles étaient en bonne santé.
Ainsi, en 2010 la moyenne des CD4 au moment du décès était à 243 copies/ml. Cela va de 91 copies/m à 451 copies/m, montrant ainsi le décès survient malgrè bonne imunité. Le pourcentage des CD4 inférieurs à 50 copies/m était à presque 40% en 2000, 28% en 2005, 17% en 2010.
20% des personnes décèdent avec un taux de CD4 supérieur à 500. Même observation pour la charge virale : 56% des gens décèdent avec des charges virales indétectables (inférieure à 50 copies/mL). Seuls 9% des personnes ne prenaient pas de traitement ce qui tend à montrer que globalement les personnes décédées étaient des personnes qui prenaient un traitement antirétroviral. »

Des décès liés aux traitements ?

La salle à fait observer à Dominique Salmon que certains effets indésirables de certaines classes d’antirétroviraux sont responsables de pathologies associées telles que les maladies cardiovasculaires provoquant les décès. Ce à quoi elle répond que : «l’enquête Mortalité 2010 n’a pas permis de démontrer que les décès étaient directement causés par la prise de traitements. Cette question a soulevé néanmoins celle des causes indirectes notamment des conséquences de la lipodystrophie, des troubles lipidiques, etc. Environ 20% des patients ont des troubles lipidiques, et ces troubles sont en partie liés aux traitements. Cependant Dominique Salmon juge les traitements antirétroviraux aujourd’hui beaucoup moins toxiques qu’ils l’ont été par le passé, comme le Trizivir® ou l’AZT. De même, les troubles cardiaques apparaissent plutôt être multifactoriels. Cela vient certes des effets indésirables, mais aussi du fait que l’on puisse avoir des prédispositions génétiques, qu’on a plus de cinquante ans, qu’on fume, etc. »

Un vieillissement prématuré des personnes vivant avec le VIH ?

Ce vieillissement était beaucoup plus net à l’époque où n’existaient pas les antirétroviraux. Pour autant il existe toujours et il est vraisemblablement dû à l’inflammation chronique généralisée chez les patients infectés par le VIH.
Ainsi, quand on ne maintient pas la charge virale indétectable, cette inflammation persiste. Mais même quand la charge virale est indétectable, cette inflammation, bien que réduite, demeure toujours plus importante que dans la population générale.

Le virus n’est pas éradiqué, on vieillit plus vite, et cela favorise aussi les pathologies cardiovasculaires et les cancers. »

Ce qu’il faut en retenir

– Le sida représente encore un quart des décès des personnes séropositives
– La majorité des patients décèdent alors que leur situation virologique est sous contrôle.
– En nette augmentation depuis 2000, les cancers, classant sida ou non-sida ou issus de causes hépatiques, sont devenus la première cause de décès des personnes séropositives, causant près de 35% . C’est le message principal de cette enquête.
– 9% des gens meurent en étant non traités, et avec des CD4 bas. Ce chiffre relativement élevé montre à nouveau que nous ne pouvons faire l’hypothèque d’une amélioration du dépistage et d’une prise en charge rapide des personnes séropositives.

L’enquête Mortalité 2010 loin de plaider pour une logique du tout-ambulatoire, montre au contraire l’impérieuse nécessité pour le patient de conserver un lien étroit avec l’hôpital et de disposer d’un suivi pluridisciplinaire. Les retours de la salle l’ont d’ailleurs montré : de l’avis général, l’optimisation de la prise en charge passe par cette multidisciplinarité et la nécessité d’accéder rapidement à un plateau de spécialistes.

Dominique Salmon a par ailleurs longuement insisté sur les risques de cancer, la nécessité pour les personnes séropositives de « dépister tout ce qui peut être dépisté : les mammographies, les colposcopies, les examens proctologiques, voire des scanners, des fibroscopies, des coloscopies. Si on vous propose cela, il faut le faire ».