Deux militants d’Act Up-Paris sont présents du 16 au 19 octobre à Bruxelles pour participer à la 14ème édition de l’European AIDS Conférence organisée par l’EACS (European AIDS Clinical Society). Cette conférence est l’occasion de chroniques afin de vous informer des principales réflexions et renseignements qui seront présentés, mais aussi des principaux points qui nous semblent mériter une attention ou une veille spécifique. Ces points feront également l’objet d’un ou plusieurs articles dans Protocoles.
Voir la chronique du jour 1 Le jeudi après-midi Julia Del Amo a présenté les résultats d’une étude mettant en lien les réponses immunitaire et virologique et niveau d’étude chez les personnes vivant avec le VIH en Europe (#PS5/2). Cette étude observationnelle a été réalisée grâce à COHERE, un regroupement de 33 cohortes européennes. Ici, 13 cohortes ayant collecté des données sur le niveau d’études selon la classification de ISCED de l’UNESCO ont participé. Les résultats se basent sur les informations recueillies sur 14 522 personnes qui ont débuté leur traitement ARV entre 1996 et 2011. Les personnes ont été classées dans 4 catégories par rapport au niveau d’étude : basique incomplet, basique, secondaire, tertiaire. Après redressements, un an après l’initiation du traitement, par rapport au groupe ayant une éducation tertiaire, le risque de sida ou de mort : – basique incomplet : le risque est 1,80 fois supérieur – basique : 1,61 – secondaire : 1,37 Sur le plan du succès virologique, voir la figure ci-dessous : Les personnes qui ont un faible niveau d’étude sont plus à risque d’avoir des moindres réponse virologique et reconstitution immunitaire ; ce qui peut les exposer à un risque accru de sida ou de mort. Par ailleurs, COHERE avait permis de montrer que les personnes à faible niveau socio-économique avaient un risque accru d’être dépistées tardivement et l’étude présentée par Eugenia Krastinova au séminaire de l’ANRS a montré qu’un faible niveau d’étude et des conditions de vies précaires pouvaient amené à retarder l’initiation du traitement. Cela est cohérent avec le fait visible dans la figure ci-dessus : l’initiation du traitement se fait à un niveau de CD4 plus faible pour les personnes ayant le plus faible niveau d’étude. Toujours grâce à COHERE, Susana Monge (Espagne) a pu réaliser une étude sur la mortalité des migrantEs VIH+ en Europe de l’Ouest en fonction de l’origine géographique et du sexe (#PS5/5). On été inclus 79 817 hommes et 31 386 femmes naïfs de traitement entre 1997 et 2011. Les migrants ne venants pas d’Europe Occidentale (WEWC) ont des taux de CD4 plus faibles et comptent plus de transmissions hétérosexuelles que ceux-là. Les taux de transmission par usage de drogues injectables et de cas de sida à l’entrée dans la cohorte parmi les migrants d’Europe de l’Est (EE). Quelle que soit l’origine géographique le taux de mortalité des hommes était supérieur à celui des femmes. Les plus hauts taux étaient ceux de l’Europe de l’Est, tant pour les hommes que pour les femmes. Parmi les hommes migrants VIH+, le taux était plus élevé chez les originaires d’Afrique du Nord et du Moyen Orient (NAME) que celui des Européens de l’Ouest, similaire chez ceux d’Afrique subsaharienne (SSA) et inférieur chez ceux d’Amérique latine, des Caraïbes (LAC) et d’Asie (ASIA). Parmi les femmes, toujours en comparaison au taux de mortalité des migrants d’Europe de l’Ouest, le taux était supérieur chez celles d’Amérique latine et inférieur chez celles d’Afrique du Nord, du Moyen Orient, d’Asie et d’Afrique subsaharienne. Les différences viennent probablement des différentes compositions des groupes en termes de mode de transmission et de raisons sociales conduisant à un retard de diagnostic et de prise en charge thérapeutique. A partir des données issues de la cohorte danois sur le VIH et du registre national danois de prescriptions, Line Rasmussen a montré que les prescriptions de psychotropes ont été plus élevées parmi les séropositifVEs que dans la population générales entre 1995 et 2009 : 1,13 fois plus pour ce qui est des antipsychotiques, 1,76 pour les anxiolytiques, 4,42 pour les hypnotiques et sédatifs et 2,28 pour les antidépresseurs (#PS5/4). Ces antidépresseurs étant particulièrement prescrits parmi les homosexuels. Aucune association entre le fait de prendre un traitement ARV et celui de prendre un médicament psychotrope n’a été démontrée dans cette cohorte. Line Rasmussen a conclu en indiquant qu’il convenait de diagnostiquer les troubles mentaux et de prescrire un traitement adapté. (Voir dans la chronique du jour 1 les conseils pour éviter les interactions) Christine Jacomet de la COREVIH Auvergne-Loire a présenté les premiers résultats d’une étude réalisé dans 59 centres VIH en France auprès de personnes s’étant rendues en consultation entre le 15 et le 19 octobre 2012 (#PS5/6). 653 personnes ont répondu au questionnaire sur les 876 passées en consultation ; leur profil est globalement proche de celui de la population VIH+ suivie en France décrite par VESPA2. L’âge médian est de 48 ans. 32% des participants sont des femmes. 21% ont été en stade sida et 94% sont sous traitement ARV, dont 9% depuis moins d’un an. 80% ont une charge virale indétectable. 15% sont co-infectéEs par une hépatite B ou C et 45% ont au moins une comorbidité ; tandis que 57% sont précaires. 86% et 60% ont respectivement consulté leur infectiologue et leur généraliste dans les 6 derniers mois. Fréquence des consultations VIH à l’hôpital : <3 mois : 11% 3-4 mois : 58% >4 mois : 32% Les facteurs à l’origine des plus courtes fréquences sont l’initiation du traitement il y a moins d’un an, un taux faible de CD4, une charge virale détectable, une ou plusieurs comorbidités, l’âge (jeune) et la précarité ; autrement dit, les facteurs qui demandent justement un meilleur un suivi. Cela montre que la fréquence des consultations s’adapte plutôt bien aux besoins. Christine Jacomet présentera des données beaucoup plus complètes lors de la Conférence de la Société française de lutte contre le sida, jeudi prochain à Poitiers. A suivre… Dans la soirée, Gilead a mis le paquet (de blocs-notes, crayons et même de graines de pavot !) dans le Gold Hall avec le symposium Rooted in Research (Enraciné dans la recherche). Anna Mia Ekström (Karolinska Institute) y a présenté les grandes dynamiques de l’épidémie mondiale, Pierre Corbeau (CNRS/CHU Nîmes et Montpelier) les stratégies devant mener vers la guérison (purge des réservoirs viraux, stopper la réplication virale et le contrôle de l’activation immunitaire) et Calvin Cohen a retracé l’histoire des stratégies antirétrovirales, de la monothérapie à la quadrithérapie, celle de Gilead bien sûr ! Le Stribild (ténofovir+emtricitabine+cobicistat+elvitégravir) a été approuvé par l’Agence européenne du médicament -sans que l’on ait de données suffisantes pour les femmes, d’où l’essai WAVES actuellement en cours- ; il devrait être disponible en France à la fin du premier semestre 2014. Et l’on nous promet de remplacer le vieux ténofovir actuellement dans Stribild par sa pro-drug, le TAF (ténofovir alafénamide fumarate), qui a le net avantage d’être moins toxique. Research is rooted in health & marketing… Lors de la 3ème journée de conférence, nous avons pu assister aux sessions traitant de : Vie à long terme avec le VIH Barrières patient/médecin à la mise sous traitement (PS11/1) VIH/sida – la stigmatisation toujours d’actualité en 2013 (ML1) Stigmatisation et discrimination – focus dans le secteur des soins en Biélorussie (PS11/6) Raisons de ne pas commencer le traitement antirétroviral : une enquête multinationale entre les patients et leurs médecins (PS11/1) Dans cette enquête multinationale (réalisée sur 34 sites dans 9 pays en Europe et en Australie) présentée par Jon Fehr (Suisse) et sponsorisé par Gilead, 508 binômes patients/médecins ont répondu indépendamment avant la consultation de décembre 2011 à novembre 2012 via un questionnaire en 90 points sur les obstacles et la volonté de commencer ou de différer un traitement antirétroviral. Concernant les patientEs (à majorité des hommes dont l’âge médian est de 37 ans), les raisons les plus importantes pour ne pas commencer ou repousser le début de traitement antirétroviral étaient : « Je m’appuie sur mon corps pour me dire quand commencer », « l’absence de symptômes », « n’étaient pas prêt à démarrer » et « ne voulaient pas penser au VIH ». Du côté des médecins (globalement expérimentés – 90% ont pris en charge plus de 50 patientEs et 80% avaient plus de 5 ans d’expériences), les changements réguliers de recommandations, leur appréciation individualisée du moment de commencer le traitement antirétroviral ou des lignes directrices des recommandations influent sur la possibilité de faire débuter le traitement. Par ailleurs, leur relation personnel avec leur patientE influence aussi leur perception, le report de la mise sous traitement pouvant être justifié par des patientEs jugéEs « trop dépriméEs » ou qu’ils estimaient ne pas connaître depuis assez longtemps Le rapport au corps et l’absence de symptômes sont devenus les obstacles les plus courants pour les patientEs étant en possibilité de commencer un traitement antirétroviral. C’est une évolution par rapport à la période précédente où la toxicité des antirétroviraux et la quantité de comprimés étaient les principaux obstacles au début du traitement. Avec l’évolution des recommandations, un pourcentage plus élevé de patientEs asymptomatiques pourront être convaincuEs d’être misES sous traitement, en prenant en compte ces nouvelles barrières. VIH/sida – la stigmatisation toujours d’actualité en 2013 (ML1) Deniz Gökengin (Turquie) dresse un tableau très sombre des formes de discriminations, de stigmatisation et leurs conséquences. Grâce à plusieurs enquêtes et outils, notamment l’index de la stigmatisation des personnes vivant avec le VIH, il est possible de détecter les récurrences en matière de stigmatisation et de discriminations. Cet index – http://www.stigmaindex.org – est une initiative de plusieurs organisations ayant élaboré cette enquête depuis 2004 en mettant les personnes vivant avec le VIH au centre du processus : GNP+ (Global Network of People Living with HIV / Réseau Mondial des Personnes vivant avec le VIH), ICW (International Community of Women Living with HIV/AIDS / Communauté Internationale des Femmes vivant avec le VIH/Sida), IPPF (International Planned Parenthood Federation / Fédération Internationale pour la Planification Familiale), ONUSIDA (Programme commun des Nations Unies sur le VIH/Sida). Les nombreuses données collectées par ces biais permettent de rendre visible les stigmatisations et discriminations vécues par les PVVIH. Les formes de stigmatisation sont plurielles et cumulatives (ostracisme, violence physiques et verbales, perte de travail, employabilité moins importante, rumeurs, ragots, isolement, rejet, isolé des activités familiales, etc…). Leurs conséquences ont un impact médical et psychologique direct (mise sous traitement tardive, moins bonne adhérence au traitement, estime de soi dégradée, efforts de prévention amoindris…), d’autant plus quand elles s’additionnent à une autre source de discrimination (genre, classe, sexe, culture, sexualité, origine sociale…). Près de 50% des PVVIH ayant répondu à l’enquête du Stigma Index indiquent avoir été la cible de stigmatisation (essentiellement victimes de rumeurs, violence verbale due au VIH, isolement des activités familiales, violences physiques…). Les raisons de rejet invoquées sont : la peur d’être contaminé et « le VIH est lié à la honte ». Il semble cependant exister un « continuum » de la honte due au VIH allant de « coupable » à « innocent » en fonction des origines de la contamination, les plus coupables de s’être contaminés étant les usagers de drogues et les HSH, les plus innocents étant les enfants contaminés par voie verticale. Globalement l’idée de « maladie honteuse » persiste notamment pour les usagers de drogue et les HSH, ceux ci étant accusés de « desservir » l’image des séropositifs (autrement dit, ceux qui sont « victimes » et qui ne l’ont pas cherché). L’effet de la stigmatisation a par ailleurs un effet encore plus dévastateur chez les femmes (refus du traitement, abandon de projet d’enfant, stérilisation…). Cet ensemble de stigmatisation peut entrainer une peur du dépistage, une peur de la stigmatisation aussi forte que la peur de la maladie en elle-même, cette peur pouvant entrainer un dépistage tardif, retarder l’accès au traitement, réduire l’adhérence du patient, impliquer des ruptures… Stigmatisation et discrimination – focus dans le secteur des soins en Biélorussie (PS11/6) Lors de cette présentation, Vera Ilyenkova (Biélorussie) rappelle que la stigmatisation et la discrimination sont considérées unanimement comme des obstacles à l’accès aux soins et aux traitements du VIH. En Biélorussie, la réglementation est telle que les résultats de l’enquête sur l’indice de la stigmatisation des PVVIH montrent que 40,5% des répondants ont eu leur diagnostic divulgué en violation du secret médical par des travailleurs de la santé, et 15,5 % ont connu des refus soins médicaux. Une enquête a alors été menée par le département de la santé publique de l’Université médicale d’État de Biélorussie et des ONG. Elle a examiné les motifs de la stigmatisation liée au VIH dans le secteur de la santé, et enquêter sur les connaissances, les idées fausses, les attitudes et motivations en matière de VIH/sida parmi les travailleurSEs de la santé non systématiquement impliquéEs dans les soins du VIH. Bien que l’échantillon soit petit (40 personnes), les résultats indiquent un sérieux problème de stigmatisation et de discrimination de la part des travailleurSEs de la santé en Biélorussie : 25% ne sont pas disposéEs à fournir des services aux PVVIH, plus de 50% sont prêt à violer les droits des patientEs et à les tester à leur insu. La majorité a exprimé certains stéréotypes négatifs sur les PVVIH conduisant à la discrimination en dehors de leurs activités professionnelles (changer de coiffeurSE car séropositifVE, conseiller à leurs enfants de réduire les contacts avec les camarades de classe seropositifVEs…). Prêt de 2/3 expriment être prêt à isoler les PVVIH si elles ne sont pas leurs amiEs ou parentEs. Une journée de sensibilisation de deux ateliers portant sur la législation de la Biélorussie sur le VIH/sida, la réglementation médicale, les droits des patientEs et de la confidentialité, la stigmatisation et de la discrimination a été organisée, en y intégrant des jeux de rôle de sensibilisation. A l’issu de ces ateliers, il semblerait que les travailleurSEs de la santé ayant participé à cette enquête ne réalisent pas la stigmatisation et les discriminations induites par leurs actions et leurs attitudes. Le manque de connaissances de ce personnel – en contact direct avec des PVVIH – sur l’infection à VIH a entraîné une peur du contact avec les patientEs encore considéréEs comme « immorauxALES et dangereuxSES » car assimiléEs aux « populations traditionnellement à risques » (usagerEs de drogues, travailleurSEs du sexe, etc…). Ces stéréotypes négatifs, pouvant entrainer des refus de soins, semblent ne pouvoir être réglés et améliorés par de simples ateliers de sensibilisation et un travail approfondi et personnalisé avec les travailleurs de la santé semble nécessaire quant aux questions liées à la stigmatisation et aux discriminations. Nous reviendrons sur des sessions qui se sont déroulées les jours 2 et 3. A suivre…