LA CROI est la conférence annuelle de la section USA de l’International Antiviral Society (IAS-USA). Elle est une des conférences internationales majeures dans le domaine de l’infection à VIH. Elle a lieu cette année du 13 au 16 février au centre de congrès de l’état de Washington, à Seattle WA. CROI est l’acronyme de Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections. Elle est essentiellement ouverte aux scientifiques du monde entier.
Cette année plus de 4200 personnes sont inscrites à la CROI en provenance de 90 pays. Sur les 1910 résumés de publication soumis, 1001 ont été acceptés et feront l’objet des 96 présentations orales, 905 présentations affichées des trois prochains jours. La plus grosse part de ces travaux vient d’Amérique du Nord (55%), puis d’Europe (22,5%), d’Afrique (14%), d’Asie (5,2%), d’Australie (1,8%) et d’Amérique Latine (1,5%). J’ai compté 24 présentations françaises (au risque de me tromper). Enfin, 300 personnes bénéficient d’une bourse de participation et 18% des participants viennent pour leur première CROI.
Alors autant rappeler un peu d’histoire, ça permet notamment de comprendre certains aspects que les novices ne devinent pas tout de suite, fascinés qu’ils sont par la pureté de la science. La CROI est née d’une division politique. Suite à la décision des Etats Unis de restreindre l’accès à son territoire aux personnes séropositives, l’IAS, fondée en 1988 lors de la 4e conférence mondiale sur le sida, voit la conférence de San Francisco boycottée par certains pays comme la France. Il n’y en aura plus d’autre sur le sol américain jusqu’en 2012, à Washington, l’année de la levée de cette restriction par le président Obama. Mais des scientifiques américains refusent ce dictat et fondent la CROI en 1993 avec l’ambition d’en faire la plus prestigieuse conférence scientifique sur le sida. D’une conférence très américaine, la CROI s’est progressivement internationalisée. Non sans intérêt, les premiers relents d’ouverture sur l’Afrique datent de la CROI 2003 (Boston) et coïncident avec le démarrage du plan de coopération américain sur le sida, le PEPFAR. L’IAS n’est pas restée sans réagir. Considérant que la nouvelle conférence américaine était décidément trop américaine, elle a créé sa propre conférence scientifique internationale en 2001 à Buenos Aires. La prochaine étape de cette conférence qui alterne avec la mondiale aura lieu à Paris cet été. En 2013, la CROI cesse d’être une obscure machinerie américaine et devient la conférence de la section américaine de l’IAS, telle qu’elle est aujourd’hui. Cela veut aussi dire qu’elle renouvelle ses cadres. Le « triumvirat » qui a régné sans partage sur la CROI pendant 20 ans cède la place à des chercheurs plus ouverts.
Ainsi cette année, la CROI est présidée par Susan P. Buchbinder du département de santé publique de San Francisco et ses « co-chair » sont Judith S. Currier de l’UCLA et Richard A. Koup du Vaccine research Institut. L’ambiance change. L’ouverture de la conférence ce soir est on ne peut plus politique avec une déclaration officielle de la présidente que voici traduite :
« La Conference on Retroviruses and Opportunistic Infections (CROI 2017) et l’International Antiviral Society – USA (IAS-USA) s’oppose fermement à toute restriction arbitraire de voyage uniquement basée sur une religion ou une nationalité. Ce type de restriction menace d’interrompre l’échange d’informations scientifiques de recherche qui sont vitaux pour la réponse mondiale à des menaces de santé comme le VIH/SIDA, Ebola, Zika et bien d’autres maladies infectieuses ».
La présidente détaille ce communiqué en précisant qu’elle n’a pas jusque-là eu connaissance de cas de personnes s’étant vu refuser l’accès à la conférence. Et elle ajoute, projection à l’appui, que le 22 avril 2017, journée de la terre, sera organisée à Washington une « marche pour la science » en précisant encore l’intolérabilité de mesures discriminatoires et en concluant, la science ce n’est pas le silence (Science, not silence).
Mais, comme a dit encore Susan P. Buchbinder, revenons maintenant à la science. Un programme chargé nous attend pour ces trois prochains jours. Détaillé ce matin au cours du très populaire atelier pour les jeunes investigateurs, ce programme peut être scindé en cinq groupes de thèmes abordés.
Paul Bieniasz (Howard Hughes Medical Center, New York, USA) en a détaillé les aspects de recherche fondamentale. Il sera question des mécanismes de transcription et de maturation des virus. Ces mécanismes ont longtemps été un peu laissés de côté. Mais on se rend compte maintenant qu’ils constituent des pistes thérapeutiques bien plus intéressantes qu’on ne le pensait au début. La virologie a fait des progrès. Tandis qu’on s’intéressait principalement aux mécanismes des enzymes viraux, ce qui a tout de même produit l’essentiel des médicaments utilisés à ce jour ciblant la transcriptase inverse, la protéase et l’intégrase, les travaux récent sur la formation de la capside virale et de sa libération après l’infection sont des ressources très intéressantes pour de futures approches thérapeutiques. D’ailleurs c’est déjà ce qui constitue le pipe-line des futurs traitements en cours d’expérimentation. Mais ces pistes seraient peut-être plus prometteuses qu’il n’y parait, pouvant aussi servir aux stratégies d’éradication et de guérison.
Richard A. Koup (Vaccine research institute, NiAiD, NIH Bethesda, USA) a fait ensuite le point sur l’avancement des recherches sur les anticorps neutralisants. C’est le sujet de prédilection des recherches vaccinales. Et bien entendu, il est question ici aussi bien de prévention que de traitement. Mais si les mécanismes et les solutions techniques semblent aujourd’hui de mieux en mieux maitrisées, il reste des questions non résolues et pourtant essentielles : les anticorps neutralisants sont-ils suffisants pour prévenir une infection ? A quelle dose sont-ils efficaces ? Une plénière, de nombreuses communications et un symposium seront consacrés à ces pistes de recherche.
James A. McIntyre (Anova health Institute, Johannesburg, Afrique du Sud) a tenté d’expliquer aux jeunes investigateurs la nécessité de la recherche en prévention biomédicale. Il y avait 1,9 millions de nouvelles infections au VIH en 2010 dans le monde. La pente est décroissante d’environ 6% par an. Comment peut-on arriver à moins de 500 000 en 2020 pour tenir les objectifs de l’ONUSIDA ? Des progrès sont à réaliser non seulement sur les techniques mais aussi sur l’implémentation. Il a ensuite passé en revue les principaux aspects de ce champ d’investigation. La prévention de la transmission de la mère à l’enfant est un succès. C’est avant tout une question d’implémentation en Afrique surtout. Mais de grands progrès ont été réalisés ces dernières années. En Afrique du Sud, la réduction est en passe d’atteindre les 2% (li est pratiquement à zéro dans les pays occidentaux). Le TasP a connu ses grandes heures en 2016 avec la publication des résultats finaux des deux plus grandes études sur le sujet, HPTN052 et PARTNER. Il reste à atteindre les objectifs de mise sous traitement universels. La PrEP connait aussi un essor. Les résultats de San Francisco montrent sans conteste son intérêt de même que les récentes données d’impact épidémiologique en provenance de Londres. Pour ce qui est de la PrEP pour les femmes, un certain nombre d’études seront présentées, éclairant d’un jour nouveau la question de l’interaction des antirétroviraux avec le microbiote vaginal. D’autres pistes se poursuivent aussi pour simplifier la question de l’observance avec les propositions de médicament à action prolongée. Le concept de prévention combinée fera l’objet d’une présentation en plénière. Enfin, dans le domaine de la recherche vaccinale, l’annonce d’un essai de vaccination de phase trois prometteur devrait permettre de progresser vers une issue utilisable.
Judith S. Currier (UCLA, Los Angeles, USA) nous a décrit le programme des jours à venir à propos des complications et des comorbidités. Rappelant que les progrès de la prise en charge et l’utilisation précoce des traitements antirétroviraux avait amélioré considérablement les risques des séropositifs, elle a aussi rappelé que parallèlement, la population de ces malades vieillit. L’interaction entre la personne et son mode de vie, le virus et son contrôle et les traitements est une alchimie qui demande à être comprise et évaluée. Les marqueurs évoluent, les médicaments aussi. Il sera question de tout cela dans les sessions consacrées aux complications, qu’elles soient liées à l’âge de patients ou aux années passées avec le virus. Et puis ces problèmes deviennent de plus en plus planétaires puisqu’en 2015, 46% des personnes séropositives sont sous traitement.
Enfin Nicolas Chomont, le plus français de nos américains (université de Montréal, Canada) nous a dépeint les sessions à venir sous l’angle de sa spécialité, la question des réservoirs viraux et des recherches sur l’éradication, voire la guérison. Ces questions sont sous le feu de deux controverses aussi vieilles que l’épidémie et qui persistent. La première est celle de la réplication virale sous traitement. Autrement dit, deux thèses s’affrontent, celle qui décrit une réplication virale minimale permanente même sous traitement, qui entretient l’état inflammatoire et le réservoir viral. L’autre version est celle qui montre que la seule persistance des cellules latentes infectées suffit à maintenir le risque de rebond viral en cas d’arrêt de traitement. Ce réservoir viral, dont on nous explique que sa demi-vie est de 74 ans, exclut toute sortie de la maladie sans intervention. D’où les recherches sur les possibilités de s’attaquer au réservoir. Différentes techniques sont possibles, reste à savoir quelle sera la bonne entre celles qui proposent des manipulations génétiques et celles qui tentent de purger les cellules latentes. Pour l’instant tout ceci est encore très expérimental et peu abouti. Reste encore un sujet de discussion qui marquera certainement cette conférence comme beaucoup d’autres avant elle, comment évalue-t-on la taille de ce réservoir ? Le sujet n’est pas sans intérêt si l’on veut pouvoir évaluer les techniques susceptibles de s’y attaquer.
Voilà largement de quoi remplir bien plus que trois jours de conférence et un millier de communications scientifiques. Nous tâcherons de vous faire profiter au mieux des découvertes intéressantes dans tous ces domaines.