« Suite à un test de dépistage effectué en juillet 1998 après un rapport non-protégé, et ce test s’étant avéré positif, j’ai demandé à bénéficier d’un traitement d’urgence. Le médecin m’a proposé d’entrer dans un essai dans le cadre de la primo-infection (QUEST : Abacavir, Amprénavir, AZT, 3TC). Il m’a dit qu’il supposait que d’ici 2 ou 3 ans je n’aurais plus à prendre de médicaments et m’a donné seulement la nuit pour y réfléchir ; sans avoir aucune information sur les effets secondaires de ces médicaments.
Le lendemain, faisant confiance au médecin, j’ai accepté le protocole. Au niveau psychologique, j’étais déprimé à cause de l’annonce de ma séropositivité et à l’idée de prendre un traitement à vie. Le médecin ne m’a jamais proposé un suivi psychologique.
Le premier mois de traitement s’est passé plus ou moins bien avec des oublis de prises dus à une période d’instabilité. J’ai dû arrêter un contrat de travail pour pouvoir « mieux vivre ». Durant le mois d’août, j’ai arrêté à plusieurs reprises le traitement à cause d’une mauvaise observance – je devais prendre plus de 20 comprimés par jour. Au mois de septembre, j’ai averti mon médecin que j’arrêtais le protocole et il m’a proposé tout de suite une trithérapie (d4T, ddI, Nelfinavir) avec le suivi du protocole QUEST. Pendant ce temps-là, ma situation sociale se détériorait : je n’avais aucune ressource, pas de travail ni de logement.
D’octobre 1998 à janvier 1999, j’ai suivi cette trithérapie mais avec une mauvaise observance qui était liée aux effets secondaires de l’antiprotéase. La relation avec mon médecin s’est dégradée fin janvier 1999. J’ai changé de médecin grâce à un ami qui m’a poussé à le faire. Ce médecin m’a supprimé l’antiprotéase qui était la cause de la mauvaise observance. L’ancien médecin m’a retiré du suivi du protocole parce que je l’avais quitté. Maintenant, ma situation commence à se débloquer : je supporte mieux le traitement, j’ai recommencé à chercher du travail mais, à ce jour, je n’ai toujours aucun logement.
Vers février, mon nouveau médecin m’a remis sous trithérapie avec Viramune après m’avoir laissé 15 jours en bithérapie ! Je ne sais pas où en sont mes résistances. J’en suis quand même à la 8ème molécule en l’espace d’un an ! Je m’aperçois que les médecins ne s’inquiètent pas de leurs patients au niveau des effets secondaires et préfèrent privilégier la recherche clinique aux dépens du patient. »
Le témoignage de Sébastien était prévisible. Dès l’annonce des essais sur la primo-infection, Act Up a signalé aux investigateurs que ces essais allaient être lourds pour les patients, surtout pour les jeunes.
Cet acharnement à inclure des personnes au moment de la découverte de la séropositivité sans accompagnement psychologique montre la science sous son aspect le plus abject. Parce que les théories de David Ho (thérapie lourde et continue, en l’espoir d’une éradication mathématique) ont entraîné les chercheurs dans une nouvelle piste fondamentalement « excitante », ils sont revenus à la case départ de la recherche VIH, c’est-à-dire une recherche sans vrai respect des malades. Il est quand même inquiétant de voir que les personnes découvrant leur séropositivité sont immédiatement mises sous traitement. Pour certains, cette possibilité thérapeutique est une aide : elle permet de faire face à la séropositivité, mais pour d’autres, c’est un piège, un leurre qui ne fonctionne ni pour la recherche, ni pour le malade.
Avec ces inclusions précipitées dans des essais, il n’y a plus de « séropositivité asymptomatique ». Les personnes concernées n’ont pas le temps de respirer, de se reposer, d’assumer leur séropositivité nouvelle. Là où elles auraient pu profiter d’un laps de temps sans traitement, comme n’importe quel séropositif, elles sont prises en charge brutalement, puis parfois lâchées sans aucun suivi, ni alternative thérapeutique. Certains médecins disent à leurs patients en primo-infection que d’ici 2 ans, ils n’auront plus de médicaments à prendre. Mais l’essai ANRS 053B prouve le contraire : sur 65 patients, seuls 7 ont une charge virale inférieure à 20 copies/ml. Le virus est toujours présent dans les cellules infectées latentes. Donc, l’éradication n’est pas possible au bout de 2 ans.
Enfin, on peut se demander si certains chercheurs réfléchissent à cette éventualité grave : et si un traitement précoce de l’infection conduisait à une impasse thérapeutique tout aussi précoce ? Quelle est la chance pour un jeune de 20 ans de suivre correctement un traitement antirétroviral comprenant 20 comprimés par jour ? On peut se demander comment ils peuvent ne pas voir l’essentiel : pour quiconque, associer en un temps record l’annonce de la séropositivité et un traitement lourd exige, en tout état de cause, un suivi psychologique et social intense.