Ce communiqué est une réaction aux propos tenus par Renaud Persiaux dans un article publié le samedi 12 mai sur le site Têtu.com. En effet, en tant qu’association de lutte contre le sida et en tant que membre du comité associatif de l’essai Ipergay (ANRS), nous ne pouvons tolérer les propos tenus par l’auteur, rédacteur de Têtu et salarié de l’association AIDES, opérateur de l’essai.
Tout d’abord, parlons un peu des chiffres. L’auteur reprend, comme nombre de médias la semaine dernière, le chiffre de 90% d’efficacité du Truvada en prévention. Ce chiffre est une valeur idéale obtenue à partir des données reprises dans l’essai iPrEx dans le cas d’une observance parfaite du traitement, ce qui est loin d’être le résultat moyen prenant en compte la diversité des comportements qui a montré une réduction du risque de transmission chez des homosexuels masculins et trans’ (homme vers femme) de 44% avec un intervalle de confiance allant de 15% à 63%, indiquant une reproductibilité très incertaine de ces résultats. On est loin des 90%, et lorsque des vies sont en jeu, les chiffres sont importants.
De même, l’article mentionne l’essai Ipergay, en cours de réalisation en France (l’essai est encore en phase de recrutement). Or s’il est vrai que cet essai a pour but de tester l’efficacité des PrEPs chez les HSH (hommes ayant des relations avec des hommes) à l’aide du Truvada, Renaud Persiaux dépasse les bornes de l’acceptable en indiquant que cet essai est « le seul moyen d’accéder gratuitement à la PrEP » : il s’agit d’une recherche biomédicale, avec un protocole aux critères très précis et qui n’a pour l’instant apporté aucune conclusion, pas d’un nouveau moyen de prévention à la demande ! Faire passer un essai pour une nouvelle offre de prévention à destination du public est dangereux et mensonger.
On pourrait multiplier les exemples d’inexactitudes et de mensonges que contient cet article, à commencer par son titre : « Un médicament en prévention du sida ? Des experts français y sont favorables ». Non, les experts français ne sont pas « favorables » à l’usage du Truvada en prévention, ils sont réservés et livrent un certain nombre d’arguments questionnant la pertinence de cette stratégie, sans bien sûr l’écarter. L’avis du Conseil national du Sida expose par exemple la situation ainsi :
«Développer une offre de PrEP pose donc, en termes d’allocation de ressources, une question à la fois éthique et de choix stratégique (…). Dans un pays comme la France, la perspective de déployer une offre de PrEP, du moins aux prix actuels des ARV, pose soit des problèmes d’inégalité d’accès, soit, si l’on imagine une prise en charge par la collectivité, un problème de choix d’investissement par rapport à d’autres besoins en santé ou également en prévention insuffisamment dotés. En l’absence de prise en charge, l’accès au nouvel outil de prévention, du moins tant que le coût des ARV ne baissera pas drastiquement, se trouverait limité de facto aux personnes disposant de ressources financières importantes, en contradiction avec les efforts menés en faveur de la réduction des inégalités de santé. Cette contradiction serait d’autant plus forte qu’une partie des publics cibles de la PrEP sont des personnes fortement exposées à la transmission du VIH en raison d’une grande vulnérabilité économique et sociale et/ou à dépendance économique à l’égard de leur(s) partenaire(s).» [[Avis du Conseil national du sida sur les PrEPs (publié le 11 mai 2012), p.22. Disponible en ligne à cette adresse suivante. ]]
De son côté, le groupe d’experts mobilisé sur cette question indique dans sa réponse au Directeur général de la santé que les données scientifiques actuelles ainsi que les nouvelles stratégies de dépistage mises en oeuvre depuis quelques années « ne permettent pas d’encourager actuellement le recours à cette méthode de prévention ni d’émettre un avis étayé quant à l’intérêt futur d’une application large du concept » [[Avis du groupe d’experts disponible à ce lien.]]…
Est-ce bien cela qu’on appelle « être favorable aux PrEPs » ?
En écrivant cet article, l’auteur se rend coupable d’un conflit d’intérêt évident, et la lutte contre le sida, après avoir de longue date exigé une déclaration systématique de telles compromissions de la part des médecins, devrait l’exiger de ses associations. En passant soigneusement sous silence son étiquette de salarié de Aides, opérateur de l’essai, Renaud Persiaux semble là plus inquiet du recrutement d’Ipergay que de l’information qu’il apporte aux lecteurs. Têtu doit prendre garde à ne pas publier de telles publicités mensongères pour un essai scientifique, sous couvert d’un travail journalistique. Dans le domaine de la prévention, l’usage abusif des chiffres et le détournement des expertises publiques se traduit en contaminations.