Le 10 mai dernier, Act Up-Paris réunissait en assemblée générale des malades étrangèrEs issuEs d’associations ou non, des associations spécialisées et des travailleurSEs sociauxLES. Cette rencontre avait pour objectif de dresser l’état des lieux des renvendications, des perspectives et de la mobilisation. Deux émissions de radios sur Africa n°1 et RFI ont permis de relayer cette information vers le plus grand nombre. Au total, ce sont plus d’une centaine de personnes qui sont venues apporter leur expertise et leur expérience. En voici le compte-rendu.
Des constats toujours alarmants
Les premières prises de paroles ont pointé la dégradation du système législatif et réglementaire, ainsi que les pratiques toujours plus arbitraires et hostiles de la part des instances administratives et médicales.Jeanne : » Je suis militante à Act Up. Je suis camerounaise, malade du sida en situation d’échappement théra-peutique. Je suis hébergée par une association, mais pour combien de temps ? Je ne peux pas travailler car je n’ai pas d’autorisation, je n’ai aucune ressource, mais alors je vis comment ? Je reçois 5 chèques déjeuner de 3,60€ par semaine : comment voulez-vous que je me nourrisse convenablement et que je suive correctement mon traitement avec si peu d’argent ? «
Droit au séjour pour raisons médicales
La banalisation des refus de séjour a été l’une des premières préoccupations de cette réunion, notamment l’augmentation d’avis médicaux défavorables se fondant sur un prétendu accès aux soins dans le pays d’origine. A cet égard, la situation du Brésil a été longuement discutée, puisque les brésilienNEs malades du sida se voient de plus en plus souvent refuser leur renouvellement de titre de séjour sous prétexte d’une disponibilité des traitements dans leur pays. Des personnes présentes ont expliqué dans le détail les difficultés rencontrées pour accéder aux traitements de base (les pénuries sont fréquentes), mais aussi aux examens nécessaires (bilans sanguins, CD4, charge virale…) ou, plus souvent encore, à des antirétroviraux de 2ème et 3ème lignes pour ceux et celles qui sont en échappement thérapeutique. Ces difficultés, qui ont été pointées par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), sont volontairement ignorées par les médecins et les fonctionnaires chargéEs d’examiner les dossiers. Au-delà des questions de refus purs et simples, il a été abordé un autre dysfonctionnement particulièrement inquiétant : la multiplication des Autorisations provisoires de séjour (APS) de courte durée (le plus souvent de 3 mois). Cette pratique a de graves conséquences car une APS ne permet pas de percevoir des allocations et permet rarement l’accès à un emploi. Les titulaires de ces APS sont ainsi autoriséEs à rester en France pour se soigner mais sont dans l’incapacité de subvenir à leurs besoins les plus élémentaires.Un anonyme : » Mon amie est séropositive. Elle est sans papiers et sans traitement, nous vivons dans un foyer insalubre. En août 2003, un médecin de l’AP-HP a fait une lettre pour qu’elle obtienne une régularisation pour soins. Deux ans plus tard, toujours rien. Je suis allé voir le même médecin qui a accepté de refaire une lettre. Mais à quoi bon si les administrations refusent de l’entendre ? «
Accès aux soins
Sans titre de séjour, l’accès aux soins devient un véritable défi. L’Aide médicale de l’état (AME), destinée aux sans-papièrEs excluEs de la Couverture maladie universelle (CMU, qui n’a d’universelle que le nom), a subi de graves restrictions lors des réformes législatives de 2002 et 2003 : disparition de la procédure d’admission immédiate quand la situation l’exige, obligation de produire des justificatifs, nouvelle condition d’ancienneté de résidence et arrêt de la prise en charge à 100%. La mobilisation des associations avait permis de bloquer la publication de certains décrets et leur mise en application. Néanmoins cette demi-victoire a créé sur le terrain un flou législatif et a laissé aux Caisses primaire d’assurance maladie (CPAM) une grande marge d’appréciation fondée essentiellement sur l’arbitraire lors de l’examen des demandes d’AME. Plusieurs personnes ont témoigné de la fréquence des situations temporaires ou définitives de non-prise en charge par l’AME. Si dans les faits pour les malades du sida, et plus généralement en cas d’urgence médicale, le refus catégorique de soins reste rare, les personnes doivent passer par la Permanence d’accès aux soins de santé d’un hôpital (PASS). De nombreuses prises de parole ont montré le caractère totalement inadapté de ces dispositifs pour une prise en charge de longue durée : problèmes pour la délivrance de certains traitements, obligation de passer par des services hospitaliers déjà engorgés, discours culpabilisant du personnel médical qui n’hésite pas dire aux personnes « vous nous coûtez cher ».Nelly d’accueil Mijaos : » Tout le monde dira à quel point est dramatique le peu d’accueil (hébergement, alimentation…) des personnes étrangères séropositives et malades. On sait pourtant que le moment du diagnostic est le plus important, car il détermine l’initialisation des soins et donc les pratiques d’observance et de prévention de la personne atteinte. Il fut un temps où il y avait beaucoup d’associations qui assuraient ce type d’accueil aux malades en grande précarité sans titre de séjour. Aujourd’hui, les associations comme MIJAOS sont isolées, on est quasiment les derniers et sans aucun moyen : nous suivons environ 80 personnes à MIJAOS avec seulement un équivalent temps plein de travailleur social. C’est un cri ! «
Des conditions de vie délétères
Ces difficultés administratives entraînent d’autres discriminations dans l’accès aux soins. Celle du logement est sans aucun doute la plus criante. Si elle n’est pas spécifique aux étrangerEs malades, cette précarité a de très lourdes conséquences pour les personnes qui ont des problèmes de santé importants nécessitant des traitements lourds et une observance rigoureuse. Il arrive fréquemment qu’un traitement ne puisse être initié en l’absence de conditions d’hébergement adaptées.Amar : » Je suis algérien, et je vis en France depuis 2 ans. Je suis initialement venu rejoindre ma femme et mon fils qui ont été gravement brûlés dans un accident et ne pouvaient être soignés en Algérie. Mon fils devra être suivi ici de façon permanente jusqu’à l’âge de 18 ans. Je suis donc resté près de ma famille. Le problème des papiers s’est présenté ensuite, surtout pour moi qui n’étais pas malade. On a tous les 3 obtenu une APS. Mais le paradoxe, c’est que ma femme, qui est malade et alitée, est autorisée à travailler et moi pas ! […] Et le plus dur à supporter, c’est l’attitude des médecins et des personnels administratifs. Les médecins en particulier sont incités à ne pas remettre de certificats médicaux. Un jour, à l’hôpital, ils ont dit à ma femme « Madame, on ne fait pas du social, ici ». C’est grave. «
Une plate-forme de revendications minimales communes s’est élaborée :
Une CMU vraiment universelle. Même si cette revendication est à mettre en perspective avec le fait que le statut de « sans-papierEs » continue de produire des problèmes de santé, de précarité et d’exclusion… Le vrai enjeu reste la régularisation de touTEs mais, dans l’urgence, il est nécessaire d’obtenir l’ouverture de la CMU aux sans-papierEs. Une circulaire interministérielle qui règle les problèmes administratifs liés aux titres de séjour pour soins. Pour s’assurer que, en application de l’article L-313-11 11°, toutes les personnes atteintes de pathologies graves obtiennent une véritable régularisation, c’est-à-dire, au minimum, une carte de séjour temporaire. L’abolition de la double peine. La légère réforme de Nicolas Sarkozy est à cet égard totalement insatisfaisante, y compris pour les malades étrangèrEs que la loi protège désormais contre les peines d’expulsion. En effet, pour celles et ceux qui ont été déjà victimes d’une peine d’expulsion, rien n’a été prévu pour lever les interdictions du territoire français ou les arrêtés ministériels d’expulsion, et ils et elles continuent à être assignéEs à résidence (l’expulsion ne pouvant être mise en œuvre du fait de leur état de santé). Un programme de financement du logement d’urgence et l’augmentation du parc locatif social. Notamment des logements adaptés aux pathologies lourdes. Que les pouvoirs publics communiquent plus et mieux en direction des médecins. Pour que ceux-ci et celles-ci soient clairement informéEs des procédures à suivre tant en matière d’accès aux soins que de droit au séjour pour raisons médicales.Serge : » Nous savons très bien les ravages que fait le sida, a-t-on besoin d’une table ronde pour cela ? Sommes-nous obligés d’exposer notre vie comme l’ont fait nos camarades ? On n’est pas des martyrs ! Beaucoup de travailleurs sociaux continuent comme si de rien n’était, alors qu’ils voient très bien notre situation. Tout est absurde : on vous donne des papiers, mais vous n’avez pas de logement. Vous n’avez pas le droit de sortir du territoire, mais vous n’existez pas sur le territoire, voire vous êtes assigné à résidence. Vous avez le droit de rester pour vous soigner, mais vous n’avez aucun moyen de subvenir à vos besoins. On fait de l’humanitaire ? Mais de régularisations de sans-papiers, on n’entend plus rien. Pourtant on ne fait pas l’aumône, on n’a pas demandé à être malades. Les « papiers », c’est juste une fausse joie : j’ai 3 mois, j’ai 6 mois, c’est cool… mais c’est un manège avec des chevaux de bois, où l’on tourne sans avancer : il faut y retourner 3, 6 mois plus tard, faire la queue des heures alors qu’on est malade et qu’on n’a toujours pas de logement. Et tout ça pour avoir à nouveau une APS de 3 mois. »
Avec cette AG nous voulions poser les bases d’une mobilisation et profiter de la (petite) fenêtre médiatique offerte par l’année “ SIDA Grande Cause Nationale”, notre association étant chargée de co-organiser en septembre 2005 des actions sur la question des migrantEs. Le temps passé à dresser le tableau général de la situation ne nous a pas permis de construire collectivement une stratégie d’actions pleinement aboutie. CertainEs se sont même interrogéEs sur le sens d’autant de témoignages dans un lieu réunissant des personnes déjà conscientes de ces problèmes. Plus qu’une stratégie de mobilisation très précise, le premier objectif que nous nous sommes donné est précisément de sortir de cet “entre-soi”, de rassembler des acteurRICEs souvent isoléEs et de porter une parole collective forte dans l’espace publique, dans les médias et auprès des institutions et des administrations.