Le problème du recours tardif aux soins touche particulièrement les oubliéEs du système de santé français : les excluEs de l’assurance maladie et les précaires. C’est donc à double titre que les étrangèrEs y sont fortement exposéEs. C’est pourquoi nous revenons sur les enjeux de la prise en charge des personnes qui se présentent tardivement aux soins, alors que leur infection par le VIH est déjà avancée.
Le succès des trithérapies, qui permettent à beaucoup de séropos de continuer à vivre, a fait oublier que le sida est aussi un problème de prévention. Le fait de savoir très tôt (notamment grâce au dépistage anonyme et gratuit) que l’on est infecté par le VIH favorise l’accès à une prise en charge médicale de qualité : l’initiation du traitement antirétroviral peut être préparée, la mise sous traitement se fait dans de meilleures conditions, avec une meilleure participation de la personne concernée. Par ailleurs, la réussite du premier traitement est un facteur déterminant pour l’évolution à long terme de l’infection. Dans le cas des femmes enceintes, un dépistage précoce du VIH permet la mise en place d’un traitement évitant la transmission du virus à l’enfant. Enfin, connaître sa séropositivité permet de prendre toutes les mesures nécessaires pour ne pas contaminer son, sa, ou ses partenaires.
Beaucoup trop de malades découvrent leur séropositivité alors qu’ils et elles présentent déjà des symptômes de maladies opportunistes signant l’entrée dans le stade sida, ou alors que le virus a déjà causé de sérieux dégâts au système immunitaire (le nombre de CD4 de la personne infectée est inférieur à 200/mm3). Force est de constater que dans ces cas-là, la prise en charge, difficile, se fait souvent dans la précipitation. Le résultat ? Une personne prise en charge tardivement a un risque 16 fois plus élevé de décéder dans les 6 mois qui suivent le diagnostic de l’infection. Mais ce chiffre n’est pas une fatalité : en ayant conscience des difficultés liées à la prise en charge tardive et en s’informant sur les moyens d’y faire face, le ou la malade améliore fortement ses chances de combattre efficacement la maladie.
Combien de personnes découvrent-elle leur séropositivité trop tard ?
À ce jour, plus de la moitié des malades du sida suiviEs dans les hôpitaux français ont été prisES en charge tardivement. Au moment du diagnostic du sida, parmi les personnes françaises 1/3 d’entre elles ignoraient leur séropositivité; chez les personnes originaires d’Afrique sub-saharienne, cette proportion est d’environ 2/3. Ce dernier chiffre n’est pas étonnant : en effet, les autorités sanitaires se refusent à organiser une prévention adaptée et à améliorer l’accès aux soins pour les personnes migrantes. Tous les ans, en France, 20 femmes transmettent le VIH à leur enfant durant leur grossesse ; dans leur grande majorité, ces femmes n’ont pas bénéficié d’un suivi médical correct. De ce fait, leur séropositivité a été découverte trop tard.
Problèmes posés par la prise en charge tardive
Dans un contexte d’accès aux soins difficile, nombre de personnes souffrant des premiers symptômes d’une maladie opportuniste du sida se rendent aux urgences. En 2004, le « rapport Delfraissy » soulignait pourtant que le personnel médical de ces services n’est pas suffisamment formé pour reconnaître les infections opportunistes inaugurales du sida. Ainsi des malades infectéEs par le VIH, avec un sida déclaré, peuvent sortir des urgences sans avoir été orientéEs vers un service spécialisé. Une telle « erreur de parcours » peut coûter une vie. Apprendre sa séropositivité provoque un choc psychologique énorme. L’apprendre tardivement, alors que le virus a déjà infecté de nombreuses cellules, est d’autant plus difficile qu’il faut débuter un traitement antirétroviral rapidement, dans les jours qui suivent le diagnostic ; les malades n’ont alors pas le temps de se préparer à la nouvelle vie qui commence.
Cela se complique encore pour les femmes enceintes :
la découverte de la séropositivité peut aboutir à une mise sous traitement quasi-immédiate de la femme[[Dès que possible après la douzième semaine de grossesse pour limiter la toxicité des antirétroviraux sur le fœtus (cf Rapport Delfraissy 2004) ]]., visant uniquement à protéger l’enfant à venir d’une transmission du virus lors de la grossesse ou de l’accouchement. Ainsi, le risque de transmission du VIH à l’enfant est d’autant plus élevé que le traitement antirétroviral est débuté tard dans le cours de la grossesse, une fois passé la 12e semaine d’aménorrhée.
Bien que ces constats soient très inquiétants, il ne faut pas baisser les bras. Malgré les contraintes (beaucoup de médicaments à prendre contre le VIH, contre les infections opportunistes), malgré les effets indésirables des traitements, les antirétroviraux peuvent être efficaces même dans les situations graves. S’ils sont accompagnés d’une information suffisante et d’un suivi étroit, il y a toutes les raisons d’espérer un rétablissement rapide.
La mise sous traitement
Le choix du traitement antirétroviral doit répondre à deux exigences souvent contradictoires. D’une part, ce traitement doit être suffisamment efficace pour agir fort et vite sur le virus. D’autre part, il doit aussi être simple à prendre et le mieux toléré possible. Le choix du traitement est toujours individualisé et doit impliquer la participation du ou de la malade dans la limite de ses possibilités. Le, la, médecin a un devoir crucial d’information du ou de la malade sur les traitements.
Pour les femmes enceintes, le choix du traitement antirétroviral doit également tenir compte d’une éventuelle toxicité dirigée contre l’enfant à naître.
Les traitements
Les trithérapies avec 2 IN (Inhibiteurs nucléosidiques) + 1 IP (Inhibiteur de la protéase) constituent une option thérapeutique souvent préconisée dans les prises en charge tardives. Quand le nombre de CD4 est inférieur
à 200/mm3, les traitements préventifs contre la toxoplasmose et contre la pneumocystose pulmonaire (PCP, la pathologie la plus fréquemment en cause dans la mort des patientEs prisES en charge tardivement) sont indispensables. En raison d’interactions médicamenteuses, il faut parfois retarder le début du traitement antirétroviral de 2 ou 3 semaines, pour soigner en priorité une infection opportuniste. Ce délai doit être mis à profit pour informer le ou la malade sur sa future multithérapie , ainsi que sur l’importance de l’observance au traitement antirétroviral. Pour certaines pathologies opportunistes comme la leucoencéphalite multifocale progressive (LEMP) ou la cryptosporidiose, aucun traitement spécifique n’existe. Il est alors fortement recommandé de débuter le traitement antirétroviral dès que possible afin de restaurer rapidement les défenses immunitaires.
Chez les femmes enceintes prises en charge entre le huitième mois de grossesse et l’accouchement, la prescription d’une trithérapie associant deux IN (AZT et 3TC) et un IP (ritonavir/lopinavir) est recommandée. Si la découverte de la séropositivité a lieu quelques heures avant l’accouchement, la solution optimale consiste à mettre en place une perfusion d’AZT pendant l’intervention en association avec une monodose de névirapine. Dans les deux cas, l’enfant reçoit un traitement antirétroviral post-exposition dans les semaines qui suivent la naissance.
Essais thérapeutiques
Les personnes prises en charge avec un sida déclaré ou une forte immunodépression peuvent se voir proposer d’entrer dans un essai thérapeutique. Le plus souvent, ces essais visent à évaluer de nouvelles stratégies de traitement, à tester un nouveau produit antirétroviral, ou à en comparer l’efficacité et la tolérance avec un médicament de référence.
La participation à une recherche peut constituer une opportunité intéressante dans certaines situations. Cependant, l’entrée dans un essai implique d’en avoir bien compris les risques et bénéfices potentiels pour soi-même. Le 12 mars 2005, le Conseil national du sida (CNS) a rendu un avis précisant que « devant la nécessité pour les laboratoires pharmaceutiques d’obtenir aussi des données concernant les patients naïfs de traitement à un stade plus avancé de la maladie, le CNS estime que l’on peut étendre à de tels patients l’évaluation du nouveau traitement, mais uniquement dans un second temps, une fois la sécurité et l’efficacité établies chez des patients pour qui les risques sont moindres ». Autrement dit, les personnes n’ayant encore jamais pris d’antirétroviraux mais dont l’infection par le VIH est avancée doivent être très vigilantes avant d’accepter d’entrer dans un essai : elles doivent d’abord s’assurer que la dose optimale du nouveau médicament a déjà été définie chez des malades moins immunodépriméEs. Sinon, elles prennent le risque de recevoir une dose insuffisamment efficace, ou de subir une toxicité qui peut les décourager de prendre leur traitement. L’importance du premier traitement antirétroviral est cruciale ! Il ne faut pas prendre de risque lorsque l’on est à un stade avancé de l’infection à VIH.
Par ailleurs, après le choc de l’annonce de la séropositivité, lorsque l’on connaît encore mal la maladie dont on est atteintE, est-on réellement en mesure de savoir si la participation à un essai constitue une chance ou un risque inutile ? ChacunE est évidemment libre de choisir.
Mais toute personne nouvellement diagnostiquée avec une infection à VIH ou un sida doit savoir qu’il existe aujourd’hui des multithérapies antirétrovirales d’efficacité prouvée et de tolérance connue, auxquelles touTEs les malades peuvent avoir accès en France.
L’observance au traitement
La compréhension du traitement et le respect de la prescription sont des facteurs-clés de sa réussite. De nombreux effets indésirables peuvent être soignés par des traitements spécifiques. Certaines toxicités peuvent justifier une modification du traitement antirétroviral. Mais il ne faut en aucun cas arrêter ou oublier de prendre les médicaments prescrits sans en parler à unE médecin.
Si le début du traitement est difficile à supporter (effets indésirables, problèmes psychologiques liés à l’annonce de la séropositivité), il faut absolument en parler avec l’équipe médicale qui peut trouver des solutions : une hospitalisation d’une semaine est éventuellement recommandée au début du traitement ; des « consultations d’éducation thérapeutique » ou « consultations d’observance » doivent être proposées afin de donner au, à la malade les meilleures chances de réussite.
Le suivi
Une consultation de suivi doit être prévue 8 à 15 jours après l’initiation du traitement antirétroviral. Au cours de cette visite, tous les problèmes liés au traitement et à la qualité de vie du ou de la malade doivent être abordés. Cette consultation sera suivie « d’une surveillance médicale renforcée » qui pourra donner lieu à des visites fréquentes du, de la médecin. Par ailleurs, l’équipe soignante doit également s’assurer que l’accès aux soins et aux traitements gratuits est garanti pour les étrangèrEs et les personnes en précarité ; elle doit tout mettre en œuvre pour faire en sorte que les conditions de vie du ou de la malade lui permettent de suivre correctement son traitement antirétroviral.
Le soutien des proches, quand il est possible, et les conseils de membres d’associations engagées dans la lutte contre le sida sont souvent déterminants dans ce genre de situations.
En 2001, plus de 50% des personnes diagnostiquées en stade sida ne connaissaient pas leur séropositivité. En 1994, cette proportion n’était que de 20% !
La prise en charge tardive nécessite l’effort de l’ensemble de l’équipe soignante. Les services aguerris à ce type de prise en charge doivent êtres mobilisés en priorité.
Mais la véritable urgence, aujourd’hui, est de rendre les prises en charge tardives exceptionnelles. Cet objectif ne sera atteint que grâce à des choix politiques et sociétaux fermes en faveur d’une incitation au dépistage qui n’oublie personne. Trop de gens ne comprennent pas ce qui leur arrive : les unEs se croyaient à l’abri tandis que les autres ne sont pas informés sur le VIH et n’ont pas accès aux structures médicales capables de les conseiller.
La démarche de dépistage pour les étrangerEs en situation irrégulière est d’autant plus difficile que leur accès aux soins est limité. Il existe un réel manque d’information sur les dispositifs d’accès gratuit aux soins. Et lorsqu’on a l’information, il faut encore affronter de multiples difficultés administratives pour faire valoir ses droits.
Peut-on penser à se rendre dans un Centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) lorsqu’on ne sait pas où et comment accéder à une prise en charge médicale de base ? Va-t-on se faire dépister lorsqu’on ignore que l’on peut bénéficier d’un traitement antirétroviral gratuit, malgré l’absence de papiers et de couverture sociale ?
La prise en charge tardive reste la conséquence dramatique de la politique de l’autruche, tant pour les personnes qui ne se sentent pas concernées, que pour les pouvoirs publics qui cloisonnent, isolent, stigmatisent les unEs et n’éveillent pas la vigilance des autres.